ARTICLES
CANNES 2011 - La difficile tâche d'être parent
A Cannes cette année, si les stars furent légions, de Penelope Cruz à Brad Pitt en passant par Kirsten Dunst ou le tandem Catherine Deneuve / Chiara Mastroianni, côté films, les thématiques dominantes furent non seulement la politique (La Conquête, Pater, L’exercice de l’Etat), les femmes en pleine rébellion ou affirmation (La Source des femmes, Sleeping beauty, En ville, Polisse, Et maintenant on va où ?), mais aussi les difficultés des relations entre parent et enfant.
Affrontements
Si la mise au monde d’un enfant est rarement sans douleur, le reste de la relation entre une mère et un fils n’est pas sensé relever du calvaire. Après une scène d’accouchement filmée au travers de miroirs, reflets déformés par la douleur du visage de Tilda Swinton, « We need to talk about Kevin » de Lynne Ramsay se transforme en chemin de croix, pour une mère qui finira rongée par la culpabilité suite à un terrible drame, occulté jusque dans les dernières minutes. Le récit, alternant entre deux temps délimités par cet évènement, nous montre la rébellion gratuite d’un gamin devenu adolescent, qui passe son temps à tester un amour parental indéfectible, parfois bien difficile à communiquer. Lynne Ramsay génère une mise en scène sensorielle et réussit à nous faire trembler de peur pour son personnage principal, aux prises avec un enfant prêt à s’en prendre à sa propre sœur, effaçant progressivement les limites entre réalité et imagination, jusqu’à l’inévitable paranoïa.
André Dussollier doit faire face lui aussi à une fille qui ne croit pas en l’amour parental. Elle se dit qu’avoir un gosse est une mauvaise idée, et que l’on « devrait interdire la procréation ». Dans « Impardonnables » (17 août 2011), le nouveau film d’André Téchiné, il incarne un écrivain qui s’installe à Venise et retrouve sa fille droguée (Mélanie Thierry), dont il ne sait plus comment s'occuper. Si lui tente de la contrôler, en la faisant suivre, alors qu'elle s'acoquine avec un dealer vénitien, elle préfère lui montrer sa sexualité dans une vidéo des plus… intimes. C’est là le seul vecteur qu’elle finit par trouver pour provoquer ce géniteur, qui n’arrive pas à la voir comme une adulte.
Liens du sang ?
Entre la mère et la fille des « Biens aimés », la nouvelle comédie musicale de Christophe Honoré (24 août 2011), la communication est également difficile. Catherine Deneuve est distante envers son enfant (Véra, interprétée par sa propre fille Chiara Mastroianni), même une fois l’âge adulte atteint. Parfois seul un lourd secret peut expliquer la perte d'affection. Mais les conséquences du désamour ne sont jamais négligeables et déteignent sur l'attitude de l'enfant. Ici, Véra voudra un enfant, mais choisira des pistes impossibles (un ami gay...), jusqu'à un dénouement infiniment triste.
Dans le fond, il y a ceux qui font passer en priorité leur propre histoire d'amour, celui ou celle qu'ils ont aimé, qu'ils ont pu, à un moment donné, choisir comme étant la personne de leur vie... Et il y a ceux qui transfèrent cet amour sur le ou les enfants, parce qu'ils l’emportent en importance, ou parce qu'avec le temps la passion s'étiole, et naît dans le couple, une nouvelle sorte d’affection. Mais les liens du sang ainsi tissés, sont-ils réellement plus forts que tout ? Et quelle est la part des codes sociaux dans ce comportement ? C’est ce qu’interroge le réalisateur de « Le retour », Andrei Zvyagintsev, qui met en scène dans « Elena », un mari riche et âgé, qui déshérite sa nouvelle femme en faveur de sa fille, droguée, qui pourtant ne manifeste envers lui que des signes de malveillance.
Abandon et rivalité
Le désamour est d’évidence bien difficile à intégrer pour l’enfant. Ainsi, dans « Le gamin au vélo » (actuellement en salles) des frères Dardenne (Grand Prix du jury), un fils de 12 ans souhaite revenir auprès de son père (Jérémie Rénier), refusant de croire qu’il l’a volontairement abandonné, luttant jusqu'à l'épuisement contre cette possibilité qui ne fait pas partie du schéma père-fils. Mais il lui faudra d’abord le retrouver, puis affronter la réalité en face. Entre temps, il rendra la vie impossible à celle qui la prendra sous son aile (Cécile de France), ce malgré l’amour sincère qu’elle pourra lui témoigner, et il risquera de mal tourner. Prendre le mauvais chemin, pour punir les autres ou se punir soi-même, est ainsi une autre option, visant à oublier le désamour. Une option d’autant plus aisée qu’est facilement influençable l'enfant qui n'a plus confiance.
Mais cette confiance réciproque est à travailler dans les deux sens. Joseph Cedar (réalisateur israélien) montre comment la perception de l’amour filial peut se détériorer lorsque les propres expectatives du père n’ont pu se réaliser. « Footnote » (19 octobre 2011) constitue ainsi la chronique d’une jalousie paternelle, la notoriété et la réussite du fils, ayant depuis fort longtemps dépassé celles du père. Loin des classiques clichés sur les espérances mises dans l’enfant (sensé réaliser les rêves des parents, et réussir là où ils ont échoué), il s’agit là d’une œuvre maligne, à la construction fort originale.
Rude éducation
Avec sa Palme d’or, Terrence Malick nous propose une réflexion quasi mystique sur la formation de la personnalité, et l’influence des deux parents, comme de l’éducation. Son « The Tree of life » (actuellement en salles) nous offre des bribes de portraits de deux enfants, chacun réagissant à sa manière, et empruntant « la voie » de la mère ou celle du père. Crainte du père, étreintes forcées auxquelles l’on répond à peine, manque de communication, envie de tuer le père, tout est ici suggéré dans un tourbillon de plans incroyablement maîtrisés, faisant chavirer le spectateur. Face à un père autoritaire qui vous traite en adulte depuis votre plus tendre enfance, et plus généralement face à la vie, il y a ceux qui arrivent à tout supporter, à affronter les soubresauts de l’existence... et il y a ceux qui ne survivent pas (le frère, ici décédé prématurément...).
Jouant le fils devenu adulte dans « The Tree of life », Sean Penn incarne également Cheyenne, chanteur déchu, devenu dépressif après le suicide de jeunes fans, dans le nouveau Paolo Sorrentino « This must be the place » (24 août 2011). Adulte traumatisé, il exprime avec difficulté son désir tardif d’avoir un enfant. Son père lui a rendu la vie impossible, à tel point qu’ils ne se sont pas parlé depuis 30 ans. L’humour désenchanté de ce magnifique récit initiatique fait mouche. Et l’émotion est au rendez-vous, grâce à cette étrange histoire, dans laquelle un homme jamais vraiment sorti de l’enfance apprendra, en reprenant les traces d’un père qui rêvait pour lui de grandeur et de persévérance, à enfin s’affirmer. D’autant que le subtil scénario aborde avec tact une autre question, celle de l’espace de vie qu’il reste à chacun. Car, et c’est joliment bien dit, l’on passe trop vite, sans s'en apercevoir, du moment où l’on dit « ma vie sera... » à « c'est la vie »…
Mais cette difficile tâche d’être parent se confronte à la vision que la société a de celle-ci, se heurtant d’un côté aux difficultés matérielles qui mettent à mal le bien-être et l’avenir des petits, comme aux normes et règles établies qui régissent son fonctionnement, qu’elles soient légitimement morales ou autres. Ainsi l’Etat ou un organisme représentant la société entre parfois en jeu, comme le fait la Brigade de protection des mineurs (BPM) dans le percutant « Polisse » de Maïwenn, film aux nombreuses facettes, qui notamment questionne la légitimité de cette intervention, faite au nom de la dignité, de l'éducation... D’une mère d'origine africaine qui vient « donner » son fils en espérant qu’on lui trouvera un logement alors qu’elle se retrouve à la rue, aux parents indignes (une mère droguée qui masturbe son bébé pour le calmer, un père qui se croit intouchable alors qu’il s’adonne lui-même à des attouchements sur sa fille…), la peinture d’une éducation difficile s’y transforme peu à peu en vision d’une certaine inconscience dans le traitement de l’enfant, mettant en évidence ainsi les difficultés du travail de la BPM.
Informations
Heureusement, au final, les rêves de parenté de certains sont fait d’une tendresse toute simple, que le simple regard d’un enfant, aussi petit soit-il, suffit à réveiller. Relevant d’un élan naturel chez l’homme, ils sont parfois enterrés depuis longtemps, comme pour ce chauffeur de poids-lourds dans « Las Acacias » (Caméra d’or), qui se rapproche peu à peu de sa passagère et se découvre un instinct paternel dans les grands yeux de la petite fille qu’elle transporte avec elle. Une histoire toute simple, porteuse d’un espoir et d’une promesse : prendre soin de l’autre.
Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur