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WE NEED TO TALK ABOUT KEVIN

Un film de Lynne Ramsay

Je t’aime, mon fils

Dans une atmosphère irréelle, une meute de gens chahute et se bouscule dans une bouillie de tomates. De cette vision ubuesque, Eva Khatchadourian se réveille au beau milieu de cachets et affaires étendues sur le sol… Lorsqu’elle sort de chez elle, elle trouve les murs de sa maison arrosés de peinture rouge. Visiblement, elle n’a pas les faveurs de ses voisins…

Avec une première séquence à la plastique digne d’un Jodorowsky, le début de ce film anglais déroute pour ensuite enchaîner sur les souvenirs diffus d’un personnage principal à la dérive, portant les stigmates d’un passé que l’on imagine douloureux. La mise en scène, soignée, organique et colorée, varie intelligemment les focales pour disséminer des indices sur le mystérieux passé de cette femme affaiblie. Lynne Ramsay (« Le Voyage de Morvern Callar »), qui s’inspire ici l’un des romans de Lionel Shriver, nous plonge alors dans les souvenirs épars et confus d’une femme, dont la vie a radicalement changé à la naissance de son fils. Le design sonore, immersif, signé John Greenwood du groupe Radiohead, happe instantanément dans les méandres de la mémoire d’Eva. Le montage de ses souvenirs est d’autant plus fascinant qu’il suit la logique de la mémoire à la perfection. Les situations présentes évoquent des réminiscences qui ressurgissent, rappelant aussi bien les moments de bonheur que les moments douloureux.

Cette passionnante et intrigante reconstruction de la première heure, traduisant un troublant chaos mental, perd malheureusement peu à peu de son envergure, une fois les principales ficelles mises à jour. La dernière demi-heure ne prépare finalement qu’à un dénouement logique, implacable et attendu. Qu’importe, Tilda Swinton y est impeccable et la mise en scène clinquante de la réalisatrice n’efface jamais l’impressionnante prestation de l’actrice, qui enchaîne les métamorphoses avec une facilité déconcertante. A cela s’ajoutent des séquences de guerre entre mère et fils aussi ahurissantes qu’hilarantes, qui évoquent le rapport entre l’amour maternel feint et le comportement troublant du petit Kevin. Dans ce rôle, le jeune Jasper Newell est effarant, tandis que Ezra Miller (qui joue le Kevin adolescent) confirme qu’il est un espoir à suivre. L’enfant se met entre ses parents, feignant le fils modèle devant son père et adoptant des attitudes de petit démon face à sa mère.

Toute la puissance du film réside dans ce parti-pris qui ne s’attache qu’aux conséquences et élude intelligemment la démonstration de la violence. Lynn Ramsay évoque aussi la difficulté de devenir parent sans l’avoir forcément choisi. Ses réticences et son absence de fibre maternelle n’auraient-elles pas été mises à nues par son fils, qui dénonce l’expression d’un amour totalement hypocrite ? Un film bien plus profond que sa forme, à la limite de l’esbroufe, ne le laisse présager.

Alexandre RomanazziEnvoyer un message au rédacteur

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