Olivier Gourmet
Il m’est impossible d’écrire un portrait « classique » d’Olivier Gourmet. Je l’ai en effet croisé à deux reprises, dans des circonstances totalement différentes (l’une incongrue, l’autre à caractère professionnel). Même si cela tient peut-être plus de l’anecdote et de mon histoire personnelle, il me semble qu’un bref récit de ces rencontres peut permettre de faire ressurgir des aspects non négligeables de la personnalité de cet acteur belge.
Ainsi, en 2001, alors que j’ai très brièvement travaillé dans le restaurant Quick de Gare du Nord, le seul client que j’ai eu l’opportunité d’encaisser était Olivier Gourmet lui-même. Surpris de me retrouver face à lui, je n’ai pas résisté à prononcer la remarque idiote suivante : « mais vous êtes Olivier Gourmet ? » ; ce à quoi il a répondu oui avec un air surpris. Cette anecdote apparemment banale me paraît malgré tout révélatrice du statut paradoxal de cet acteur : même si Olivier Gourmet est un immense acteur (notamment récompensé, rappelons-le, par le prestigieux prix d’interprétation à Cannes en 2002 pour "Le Fils"), il faut bien admettre qu’il n’est pas une star et sa réaction montrait alors qu’il n’avait sans doute pas l’habitude d’être reconnu ainsi, surtout dans un endroit tel qu’un vulgaire fast-food. Convenons toutefois que cet épisode survenait alors que Gourmet était bien plus confidentiel qu’aujourd’hui : pas encore de prix cannois donc, et pas encore non plus de films grand public comme "Les Brigades du Tigre" (2006), "Jacquou le Croquant" (2007) ou encore "Mesrine : L’Ennemi public n°1" (2008). Mais même en 2013, il y a fort à parier que le grand public le connaît peu et qu’il passe encore inaperçu dans la rue. Il faut dire aussi qu’Olivier Gourmet est doté, à première vue, d’un physique relativement ordinaire. C’est même ce qui lui a sans doute permis de jouer des rôles d’hommes simples auxquels les spectateurs peuvent facilement s’identifier. Les frères Dardenne ne s’y sont pas trompés en faisant de lui leur acteur fétiche (cinq collaborations à ce jour, depuis "La Promesse" en 1996) : il est en effet parfait dans ces films sociaux qui parlent de la « vraie vie ». A contrario, ce physique un peu passe-partout lui a également permis de ne pas rester cantonné à ce type de rôle d’homme « normal ». Au contraire, il a su tirer profit de ce côté caméléon pour interpréter une grande diversité de rôles et mettre ainsi en avant sa grande polyvalence d’acteur : le myopathe recherchant désespérément à faire l’amour une dernière fois ("Nationale 7"), le patron salaud adepte du chantage ("Sur mes lèvres"), le forain à mi-chemin entre proxénète et maître d’esclave ("Vénus noire"), le ministre faisant face à l’hypocrisie du pouvoir ("L’Exercice de l’Etat"), l’inventeur naïf en quête de ses origines ("Congorama") ou encore des personnages plus comiques comme Robert Darzac ("Le Mystère de la chambre jaune" et "Le Parfum de la dame en noir").
Ma deuxième rencontre avec lui fut bien plus longue : en 2004, pendant plus d’un mois, je l’ai en effet côtoyé sur le tournage de "La Petite Chartreuse" (où j’officiais comme modeste assistant régie). Un tournage, c’est l’une des rares expériences qui puisse permettre de capter ce que j’appellerais la triple personnalité d’un acteur : celle, artistique, qu’il développe au fil des personnages ; celle, publique, qui est étalée dans les médias ; et celle, plus réelle et plus méconnue, qui transparaît dans sa vie quotidienne et ses rapports humains variés. Cette expérience, donc, m’a permis de comprendre qu’il y avait un étonnant point commun entre ces trois personnalités chez Olivier Gourmet : la discrétion. Discret, il l’est dans les médias : peu invité, pas traqué… Discret, son personnage d’Etienne Vollard dans "La Petite Chartreuse" l’était aussi (et d’autres rôles de sa filmographie s’en rapprochent plus ou moins). Discret, Olivier (permettez-moi de l’appeler Olivier comme pendant le tournage !) l’est aussi dans son travail et dans ses relations avec les autres. Je me souviens notamment de deux faits précis, qui tranchent avec ce qu’on voit ou entend souvent à propos des acteurs (exubérants, exigeants, prétentieux, capricieux, faux… rien de tout cela chez Olivier). Lorsque je venais le chercher en voiture pour aller tourner dans une rue de Grenoble située à une bonne vingtaine de minutes à pied de son hôtel, il me remerciait sincèrement et me disait qu’il aurait pu venir tout seul – rien à voir avec une actrice secondaire du même film (dont je tairai évidemment le nom), véritable bourgeoise hautaine et hors des réalités, qui se faisait véhiculer sur une distance de quelques centaines de mètres, sans réelle reconnaissance, s’autorisant à fumer dans la voiture de production malgré l’interdiction qui valait pour tous et traversant sans regarder comme si la rue lui appartenait ! Olivier, lui, avait (et a toujours, j’imagine) cette simplicité généreuse qui avait parfois tendance à faire exploser les habituels rapports hiérarchiques qui valent sur un plateau de tournage. C’est là qu’intervient mon deuxième souvenir précis, qui me semble révélateur de la personnalité d’Olivier Gourmet : il aidait parfois l’équipe technique pour des petites tâches que certains acteurs trouveraient dégradantes ou indignes d’eux, comme nettoyer le pare-brise du camion que conduisait son personnage dans le film (la preuve par l’image).
Cette modestie et cette chaleur humaine dont j’ai été le témoin privilégié m’ont ainsi permis d’accorder à Olivier Gourmet une estime qui dépasse la simple reconnaissance de son talent de comédien. Sa carrière hétéroclite, vous pouvez l’appréhender facilement en piochant dans son impressionnante filmographie (plus de 70 longs métrages et une dizaine de productions télévisuelles à son actif depuis 1996 !). Derrière ces rôles, vous saurez désormais qu’il y a aussi une belle personnalité. En ces temps où reviennent les débats de type « un artiste peut-il être un salaud sans qu’on lui en tienne rigueur », c’est bon d’avoir un tel contre-point !
Filmographie sélective
1996 : "La Promesse" de Jean-Pierre et Luc Dardenne
1998 : "Ceux qui m’aiment prendront le train" de Patrice Chéreau
1998 : "Nadia et les hippopotames" de Dominique Cabrera
1999 : "Rosetta" de Jean-Pierre et Luc Dardenne
1999 : "Peut-être" de Cédric Klapisch
1999 : "Nationale 7" de Jean-Pierre Sinapi
2001 : "Sur mes lèvres" de Jacques Audiard
2001 : "Mercredi, folle journée" de Pascal Thomas
2001 : "Le Lait de la tendresse humaine" de Dominique Cabrera
2001 : "De l’histoire ancienne" d’Orso Miret
2002 : "Le Fils" de Jean-Pierre et Luc Dardenne
2002 : "Une part du ciel" de Bénédicte Liénard
2002 : "Peau d’ange" de Vincent Pérez
2003 : "Le Temps du loup" de Michael Haneke
2003 : "Le Mystère de la chambre jeune" de Denis Podalydès
2003 : "Adieu" d’Arnaud des Pallières
2004 : "Les Fautes d’orthographe" de Jean-Jacques Zilbermann
2004 : "Folle Embellie" de Dominique Cabrera
2004 : "Quand la mer monte…" de Yolande Moreau et Gilles Porte
2004 : "Le Pont des Arts" d’Eugene Green
2004 : " La Petite Chartreuse " de Jean-Pierre Denis
2005 : "Le Couperet" de Costa-Gavras
2005 : "Le Parfum de la dame en noir" de Denis Podalydès
2005 : "Sauf le respect que je vous dois" de Fabienne Godet
2006 : "Les Brigades du Tigre" de Jérôme Cornuau
2006 : "Congorama" de Philippe Falardeau
2006 : "Mon colonel" de Laurent Herbiet
2007 : "Jacquou le Croquant" de Laurent Boutonnat
2007 : "Pars vite et reviens tard" de Régis Wargnier
2007 : "L’Affaire Ben Barka" (téléfilm) de Jean-Pierre Sinapi
2008 : "Coluche, l’histoire d’un mec" d’Antoine de Caunes
2008 : "Mesrine : L’Ennemi public n°1" de Jean-François Richet
2010 : "Vénus noire" d’Abdellatif Kechiche
2010 : "Blanc comme neige" de Christophe Blanc
2011 : "Robert Mitchum est mort" d’Olivier Babinet et Fred Kihn
2011 : "Légitime Défense" de Pierre Lacan
2011 : "L’Exercice de l’Etat" de Pierre Schoeller
2012 : "Hénaut Président" de Michel Muller
2012 : "Le Guetteur" de Michele Placido
2013 : "La Tendresse" de Marion Hänsel
2013 : "Grand Central" de Rebecca Zlotowski
2013 : "Violette" de Martin Provost
2013 : "La Marche" de Nabil Ben Yadir