PATER
Tout simplement bluffant !
Alain Cavalier invite Vincent Lindon à venir déguster des truffes et autres produits du terroir. Le réalisateur en profite pour proposer à son acteur un nouveau projet : il souhaite le nommer Premier ministre et préparer avec lui un projet de loi fixant un plafond pour les hauts salaires…
Déjà lauréat du prix du jury en 1986 pour « Thérèse », Alain Cavalier aurait bien mérité le même prix cette année pour son dernier film qui brille par son originalité. On connaissait déjà le réalisateur pour ses expérimentations cinématographiques (« Le filmeur », « Irène ») mais son « Pater », c’est franchement du jamais vu. Deux acteurs, une caméra DV et un jeu de rôle : Cavalier se prend pour le président de la république française et nomme son ami Vincent Lindon Premier Ministre. A la clé, un projet de loi, hautement d’actualité, doit voir le jour : il déterminera un plafond pour les plus gros salaires. Les premières séquences présentant Vincent Lindon énumérant ses principes pour la France, dont il sera le premier ministre, tombent à pic et se révèlent absolument jubilatoires. Celles-ci ont d’ailleurs provoquées tonnerres d’applaudissements lors de la séance officielle à Cannes.
« Pater » repose essentiellement sur les irrésistibles répliques et monologues largement improvisés entre les deux compères, qui développent une complicité quasi filiale, passionnante à observer. Le jeu d’échange de cravates, les dégustations de produits délicats du terroir ou les coups de gueules de Lindon, sont autant de moments saisis sur le vif qui participent à la création d’une délicieuse connivence avec le spectateur. L’acteur y est d’ailleurs formidable de naïveté, de naturel et de spontanéité, lui conférant un charisme d’homme d’État. Encore un peu et on serait prêt à lui demander de se présenter en 2012 !
Mais ce qui rend cette expérience de cinéma encore plus intéressante, ce sont ces insertions rappelant les acteurs à la réalité. Les réflexions de Vincent Lindon réalisant qu’il se prend un peu trop à ce jeu de rôle, aussi espiègle que sérieux, font parties des meilleurs moments du film. Cavalier berce ainsi le spectateur dans un séduisant principe d’incertitude. On se retrouve constamment à s’évertuer à démêler le vrai du faux, le faux-documentaire du making-off, l’utopie de la réalité, le jeu de personnes de celui de personnages, dans un stimulant exercice cognitif.
Avec cette évidente allégorie du cinéma, détaillant les rapports entre réalisateurs et acteurs, Cavalier signe aussi un film qui rappelle, tout comme « L’Exercice de l’Etat », toute la réalité du jeu politique. En effet, la mise en place d’un projet qu’un ministre s’engage à porter à bout de bras est bien souvent confrontée aux clivages et aux pressions des alliés de son propre parti. Truffé de vérités et remarquablement intelligent et léger, « Pater » fonctionne aussi comme un véritable document sur les dessous de la politique, infiniment plus fort et plus fin que « La Conquête ». On a parfois la sensation de se retrouver devant « Le Président » d’Yves Jeuland. Il est par ailleurs stupéfiant de constater à quel point l’hilarante discussion sur la photo compromettante d’un adversaire politique trouve une évidente résonance avec l’actuelle affaire DSK. Et quelle délectation de se rendre compte que les tensions de cette politique fictionnelle rejaillissent sur ses créateurs, au point de créer des frictions entre acteur et réalisateur ! Celles-ci sont, certes, jouées, mais leur effet reste néanmoins saisissant et elles contribuent à cette excitante mise en abîme imaginée par Cavalier.
Bref, ni une critique, ni une analyse de cet OFNI ne sauraient rendre compte de l’expérience unique que « Pater » procure en tant que spectateur. Un film à voir. Un film à vivre.
Alexandre RomanazziEnvoyer un message au rédacteur