LE DIABLE S'HABILLE EN PRADA
Harcèlement moral dans le monde de la mode: Meryl Streep en grande forme
"Le diable s'habille en Prada" nous propose de suivre le quotidien d'un véritable "dragon" du monde de la presse et de la mode. Accompagnant le personnage d'Anne Hathaway, devenue assistante malgré elle, le spectateur découvre un à un les us et coutumes de sa mégère en beaux habits de patronne, avec tout comme elle, étonnement, stupéfaction et parfois horreur. Ainsi l'on découvre la sale habitude qu'elle a de lancer ses manteaux et sacs sur le bureau de son employée-boniche, ses habitudes alimentaires nécessitant des timings précis, ou encore le rituel du book qu'il faut livrer à 22h directement dans l'appartement de la tigresse sans se faire remarquer.
Mais plus qu'une simple satire du milieu de la mode, avec ses classiques figures du couturier extravagant ou des clientes imbuvables, le film de David Frankel, réalisateur de quelques épisodes de "Sex and the city", est surtout un formidable portrait de femme (sur)-active et une critique acerbe du monde du travail. Sans rien de réducteur, il nous décrit une femme dont le travail semble être la seule raison de vivre et dont l'exigence, aussi importante qu'incompréhensible par moments, frise à maintes reprise le harcèlement moral (allez donc faire décoller un avion par temps de cyclone, ou trouver le dernier manuscrit d'Harry Potter non encore publié!).
Bien sûr, le scénario, hollywoodien, lui donne un côté humain sur la fin, mais qui malgré l'introduction d'une certaine émotion, ne rend nullement pardonnables les trahisons et manipulations qu'elle opère sans vergogne, mais permet juste d'apercevoir quelqu'un derrière la femme d'affaires. Dans ce qui est avant tout une comédie, chacun supporte de multiples humiliations pour garder sa place, chacun joue à un grand jeu de rôle aussi pathétique que nécessaire à sa propre survie. Et le spectateur, en bon sadique, s'amuse des malheurs de tout ce beau monde, car personne ne tombe ici en dépression profonde. Pas même la première assistante qui finit à l'hôpital, mais pour d'autres raisons.
Meryl Streep trouve en Miranda Priestley un très bon rôle, et sait rester sobre dans le mépris comme la tenue. Elle est l'ignominie incarnée, de celles qu'on trouverait quasi normale chez un homme dans la même position, et provoque ainsi un rire décalé. Côté assistantes, Anne Hathaway ("Brokeback Mountain") en digne jouvencelle, se prête aux pires bassesses avant de se rebeller à minima. Et le film offre aussi un rôle en or à Emily Blunt (remarquée dans "My summer of Love"), en godiche totalement soumise à sa maîtresse et prenant le moindre signe de respect pour un don du ciel.
"Le diable s'habille en Prada" est ainsi plus une peinture de la cruauté facile dans le monde du travail, tout en mettant en avant un certain ridicule du milieu de la mode (excès de pouvoir des critiques, marketing du goût des clientes, luttes intestines...). Tout en surface n'est que fêtes somptueuses, défilés, apparences et maigreur. Tout en dessous n'est qu'hypocrisie, négociations, tractations, loin d'un glamour affiché. Et cela donne en fin de compte une très bonne comédie certainement un peu moins féroce que le livre dont elle est inspirée, mais jubilatoire grâce à une interprétation enlevée.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur