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Festival de Venise 2011 : Jour 4 – Poulet aux prunes séduit, le film grec Alps intrigue et Soderbergh ennuie par excès de réalisme

4 septembre 2011

Samedi 03 septembre 2011

Dernière grosse journée du Festival de Venise 2011, dont le programme va s'alléger quelque peu en film attendus à partir de demain dimanche, laissant ainsi la porte ouverte à des découvertes potentielles, ce samedi a vu défiler Mathieu Amalric et Chiara Mastroianni pour le très réussi « Poulet aux prunes », Gwineth Paltrow, Matt Damon et Laurence Fishburne pour « Contagion » de Soderbergh, et Marie Gilain pour nouveau film du français Philippe Lioret.

Remplacer les morts pour aider au deuil : la sublime idée de « Alps » de Yorgos Lanthimos

Le metteur en scène du remarqué et torturé « Canine » revient sur le devant de la scène, avec un film mystérieux intitulé « Alps ». Une œuvre perturbante, une fois de plus fourmillante d'idées, et dont le pitch avait de quoi faire saliver. Car ALPS est en fait le nom d'un groupe de quatre personnes, qui se font appeler chacun par un nom de sommet des Alpes (et sont donc logiquement sous la coupe d'un certain Mont Blanc !), qui loue ses services aux gens ayant récemment perdu un proche, pour le remplacer pendant quelques temps, histoire de les aider au deuil. On assiste donc, effarés, à des scènes de théâtre, mal jouées, car ils ne sont pas censés être des acteurs professionnels, ayant tous leur propre profession (gymnaste, entraîneur, infirmière...), à la fois risibles et inquiétantes.

Yorgos Lanthimos touche ici à l'intime, au deuil et à la mort, devenus une marchandise comme une autre. Installant ainsi un malaise dès que le spectateur aura compris les ressorts de l'action du groupe, il renforce encore celui-ci avec les macabres scènes de recherche de potentiels clients en hôpital. Ainsi, l'infirmière deviendra amie d'une jeune tennisman aux portes de la mort, de manière à pouvoir proposer ses services aux parents. Mais elle aura la mauvaise idée, crise oblige, de cacher ce marché au groupe et à son patron, déclenchant alors de nouveau événements dramatiques. Même si le film est loin d'avoir fait l'unanimité, l'auteur prouve donc encore une fois, un an après « Attenberg », que le cinéma grec a décidément le vent en poupe.

La bien tiède épidémie du siècle par Steven Soderbergh et son casting quatre étoiles

Le film commence par un écran noir, avec un bruit de toux en fond sonore. Comme pour signifier ce que beaucoup de scientifiques semblent annoncer : malgré la fausse alerte du virus H1N1, un jour surgira une grande épidémie, à échelle mondiale, qu'il sera difficile d'enrayer, et peu importe d'où elle viendra, de qui toussera le premier. Alternant avec régularité les petits films expérimetaux et les grosses productions hollywoodiennes, Steven Soderbergh a donc offert au Festival de venise la primeur de son nouveau film, « Contagion », dont le casting est impressionnant : Kate Winslet, Gwineth Paltrow, Matt Damon, Laurence Fishburn, Jude Law, Marion Cotillard... On devinera donc ainsi facilement de laquelle des deux familles de films celui-ci fait partie.

Pourtant Steven Soderbergh et son scénariste n'ont pas choisi la voie du sensationnel, mais celle du réalisme, décortiquant les rouages de la lutte, à échelle internationale, pour éradiquer le virus et trouver un remède le plus rapidement possible. Le problème est qu'un tel sujet aurait mérité en soi bien plus qu'un simple film d'une heure quarante cinq. Du coup, on a l'impression que chaque élément du puzzle, voulu humain par le réalisateur, est sacrifié au plus vite (par son décès, pour Kate Winslet ou Gwineth Paltrow, ou par sa disparition pratique du récit, pour Marion Cotillard), est sacrifié bien trop vite, le script ne faisant qu'esquisser son rôle. Certes le catalogue est complet, de la recherche de la souche aux recherches et tests pour un vaccin, de la poursuite du patient 0 aux estimations du nombre de cas, des intérêts des labos pharmaceutiques aux enjeux politiques et personnels, des problèmes de hiérarchisation de la distribution de l'antidote aux évacuations, rien n'est laissé de côté. Mais c'est sûrement là ce qui ne permet pas à « Contagion » de provoquer une réelle émotion, les personnages défilant aussi vite que les problèmes et solutions envisagées. Dommage.

Marjane Satrapi adapte sa bande dessinée en live, avec Mathieu Amalric

Marjane Satrapi et Vincent Parroneaud nous reviennent, quelques années après leur Prix du jury à Cannes et le triomphe de « Persepolis », mais ils ont choisi d'adapter une autre bande dessinée signée Marjane Satrapi, « Poulet aux prunes ». Point de dessin animé cette fois-ci, mais un film « live » avec en vedette Mathieu Amalric (Nasser Ali), Maria de Medeiros (sa femme) et Chiara Mastroianni (sa sœur). Le récit, divisé en deux partie, l'une sur la famille d'un certain Nasser Ali, violoniste amer à la recherche d'un nouvel instrument, l'autre relatant ses amours contrariés. La première adopte le ton de la comédie, permettant de présenter de nombreux personnages, la seconde s'enfonce dans le drame.

Histoire beaucoup plus personnelle que pour « Persepolis », est avant tout celle d'un mariage contrarié et des ravages d'un accord parental refusé. Celle de l'influence d'un amour impossible sur le talent que peut avoir un musicien ou des signes d'un amour qui n'existe pas, dont le symbole restera justement le poulet aux prunes, seul plat qui déclenche chez Nasser Ali, des mots doux envers sa femme. Inventif, le film ressemble parfois à du Jeunet et Caro, lorsque les commentaires sur certains traits de caractères ou événements sont illustrés, dans la présentation des enfants de Nasser Ali, Lili ténébreuse fille (dont le père aura brisé les illusions lors d'un spectacle de marionnettes) et son fils pétomane à ses heures qu'il imagine gâcher les dernières paroles d'un célèbre philosophe grec. « Poulet aux prunes » enchante donc une nouvelle fois par son univers fantaisiste qui réussit à faire d'un drame personnel, un conte à la fois universel et bouleversant.

Pascale Bussières aux prises avec le deuil dans « Marécages »

Le deuxième film de la compétition de la semaine de critique était un film canadien remarquablement maîtrisé, intitulé « Marécages ». Débutant comme une chronique sociale sur les difficultés d'une exploitation agricole au Québec, le film offre d'ensoleillées premières minutes qui illustrent la complicité et le désir unissant encore un couple de quarantenaires (Pascale Bussières et Luc Picard) et la manière dont leur fils, en fin d'adolescence, refuse cet héritage paysan, cette ferme, se réfugiant dans les moments de crise dans les jupes d'une grand-mère compréhensive. Puis le récit bascule, avec un accident idiot qui entraînera la mort du père. Le film se transforme alors en un récit doux-amer centré sur le deuil et les interactions avec une communauté pas si ouverte d'esprit.

Alors que le fils est sujet à ses premiers émois, et qu'il semble plus attiré par le jeune homme venu les aider que par les danseuses d'une boîte de strip-tease dans laquelle il se retrouve embringué, la mère lutte contre la tentation de retoucher à la bouteille, et s'éloigne peu à peu des obligations qu'impose le maintien de la ferme. Tous deux laisseront alors entrer le loup dans la bergerie, en la personne d'un autre agriculteur, supposé les aider au quotidien, mais assurément intéressé. Le film trouve son climax dans une scène de fête de village, entre aspect répétitif de la danse country et défoulement salvateur, la mère tentant désespérément de ressentir quelque chose. Au final, « Marécages » constitue un très beau double portraits d'adulte et ado en deuil, qui ne savent plus quel chemin prendre, ni que faire d'un héritage peu désiré, lieu où le manque est aussi présent que d'insupportables et envahissantes taches quotidiennes.

Philippe Lioret s'égare un peu, entre militantisme politique et drame intimiste

Le très attendu film de Philippe Lioret, « Toutes nos envies » caresse le spectateur dans le sens du poil. L'auteur de « Je vais bien ne t'en fais pas » et « Welcome » y choisit de mêler deux histoires autour du même personnage, jeune juge d'instruction interprété par Marie Gilain : celle d'un soutien à la jeune mère d'un camarade de classe de son fils, en situation de surendettement (ce qui deviendra un combat politique), et celle d'une lutte personnelle contre la maladie (un type particulier de tumeur au cerveau). Malheureusement à force de personnages ayant quasiment tous de bonnes intentions, Lioret agace un peu, finissant par rendre peu crédible son discours politique visant les organismes de crédit à la consommation et leur responsabilité dans le phénomène grandissant de surendettement. En effet, d'une part la jeune femme mise en cause ravale bien trop vite son orgueil affiché dans les premières scènes pour finir par accepter robes et autres cadeaux de la part de la juge, et d'autre part, les libertés prises par les deux juges (Gilain et Lindon) avec la déontologie achèvent de rendre leurs personnages bien peu crédibles. Reste la partie consacrée au drame personnel que vit le personnage principal, délicatement traitée, qui ne manquera pas de vous tirer quelques larmes.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur