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Festival d'Annecy 2021 : Regard sur la Compétition courts-métrages – Partie 3
Cette troisième section nous a fait péter un câble : sa dernière proposition animée s’est avérée si dévastatrice qu’elle a presque réussi à nous faire oublier tout ce qui a précédé ! Bon, du calme, il y avait quand même de très jolies choses à picorer avant d’en arriver là…
Pas de quoi s’emballer
Comme on va finir par le meilleur, autant commencer par le pire… Mieux vaut ne pas découvrir "Easter Eggs" de Nicolas Keppens en s’imaginant que le titre a quoi que ce soit à voir avec un terme que les gamers connaissent très bien. On perçoit quand même un peu de ça dans cette histoire de deux potes qui tentent de revendre des oiseaux exotiques échappés d’un restaurant chinois. Mais impossible de se sentir stimulé par l’histoire (insignifiante), par le graphisme (encore moins soigné que celui de "Beavis & Butt-Head") ou par la composition des cadres (isolé dans un affreux format rectangulaire à mi-chemin entre l’iPad et le 4/3 !). Avançant au rythme d’un escargot shooté à l’éther, et ce jusqu’à une fin aussi sanglante qu’ironique, le résultat suscite un ennui qui n’a hélas rien de poli. Passons.
Ça s’arrange un peu mieux avec "A la maison" d’Andrea Dorfman, énième exemple de voix-off pédago – ici celle de la poétesse Tanya Davis – qui veut interpeller le spectateur sur un sujet sensible (ici la solitude). A l’écran, un simple plan fixe sur un livre avec des mains qui tournent les pages et de petites animations qui surgissent à la manière d’une publicité. Même si le visuel est séduisant, ce court ressemble beaucoup trop à ces spots de prévention qui circulent actuellement en boucle pour nous alerter sur le respect des gestes barrières en période de pandémie. Pas de quoi être emballé…
La violence du monde extérieur
Les films douloureux qui mettent en avant la violence du monde extérieur reviennent aussi en force avec deux courts qui se rejoignent assez bien. D’un côté, le très sombre "Mom" de Kajika Aki enregistre la traque d’une petite fille par une meute de chiens enragés, le tout filmé par des caméras de surveillance dans ce qui se présente comme une monde dystopique et voyeuriste. Assez voisin de "Valse avec Bachir" dans son animation, cette sombre histoire s’achève sur un plan édifiant : un zoom arrière sur une jeune fille morte, entassée sur un tas de cadavres humains et figée dans un doigt d’honneur !
De l’autre, "Bête" joue la carte du huis-clos politique en s’intéressant à une spécialiste du renseignement chilien et en cherchant à capter le global via le particulier. Si l’on en croit le synopsis, ce qui se déroule dans cette maison entre cette femme (en porcelaine) et son chien (en coton) se veut une métaphore directe d’une « fracture » au sein de la société chilienne. C’est surtout la fin très brutale de ce court qui nous en donne une idée, figurant alors la trajectoire d’un missile dans une maison afin d’évoquer la percée d’un crâne par une balle de revolver, et ce avant qu’une énigmatique scène finale ne nous fasse s’interroger sur la réalité de ce que l’on vient de voir. On saluera aussi une très belle stop-motion à la Wes Anderson, où les mouvements de caméra latéraux se mêlent à des plans à la composition symétrique très appuyée.
Le très beau "Ce qui résonne dans le silence" de Marine Blin en rajoute une couche sur le thème de l’enfance confrontée au deuil, mais en s’intéressant davantage aux répercussions de ce deuil sur l’âge adulte. A travers les gestes d’une maquilleuse pour salon funéraire (et le récit de ses pensées en off), ce court évoque un lien tactile qui permet de tisser une jolie passerelle entre le monde des morts et celui des vivants. Très émouvant et extrêmement pudique sur un sujet qui aurait facilement pu encourager au pathos le moins subtil.
De vraies curiosités
Du côté des curiosités zarbies, "See me" en tient une jolie couche avec sa vue subjective d’un petit enfant qui se confronte à un amas de textures composites et de visions effrayantes. On sent surtout que le résultat était prévu pour une projection avec lunettes 3D, ce qui nous aurait ainsi offert un regard plus réfléchi sur ce dédale entre réalité et cauchemar, où l’animation ne cesse d’alterner le beau et le moche.
On tire en revanche notre chapeau à Jeanne Apergis pour ses "Zoizoglyphes", sans doute l’ovni de cette sélection ! A l’écran, tout semble simple : on voit plein de silhouettes noires sur fond blanc, tantôt regroupées tantôt dispersées. A mesure que cette scénographie se voit bouleversée, ce que l’on voit peut évoquer différentes choses : des foules agitées, une guerre violente, des conflits divers, des bugs informatiques, etc… A tout prendre, et au vu d’un travail sonore très élaboré, cette nuée d’individus nous fait surtout penser aux notes d’une partition musicale dont le mouvement créerait à chaque fois un son précis. C’est là notre interprétation, mais rien ne vous empêche d’avoir la vôtre !
Un bijou absolu
And last but not least… le bijou absolu "Swallow the Universe", que l’on doit à un jeune artiste français nommé Nieto ! Précisons tout d’abord qu’il va falloir s’accrocher pour cette expérience animée à fond dans le Grand-Guignol, sorte de manga fleuve de type emaki (un rouleau peint à la narration horizontale de droite à gauche) qui relate l’épopée folle d’un jeune enfant perdu dans les jungles profondes de Mandchourie.
Démarrant paisiblement comme l’équivalent graphique d’un haïku, ce court animé se prolonge soudain sous la forme d’une plongée en apnée dans un amas de visions baroques qui font s’étirer et s’entremêler les textures et les entités. Tandis que le support BD joue les intrus par petits à-coups (quelques surgissements d’idéogrammes chinois), le surréalisme prend les commandes du récit, tantôt déjanté tantôt carrément gore, et ne cesse de repousser plus loin l’incarnation animée du primitivisme à mesure que son jeune héros déclenche à son corps défendant des réflexes pulsionnels humains (donc potentiellement déviants) chez la faune environnante. Le tout relève alors du pur chaos graphique, imprévisible à souhait et tellement virtuose dans sa mise en images (la 2D et la 3D s’imbriquent à merveille) qu’on en sort avec les orbites en feu et les sens en surchauffe. Le genre de folie totale qui nous fait hurler au sans-faute, sans honte ni retenue.