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Festival d’Annecy 2021 : regard sur la Compétition courts-métrages – Partie 1
Chaque année, la compétition des courts-métrages du festival d’Annecy laisse éclore une quantité si vaste de talents, de sensibilités et d’expérimentation qu’on ne peut qu’avoir envie de s’y replonger. Regroupée en cinq sections, la compétition démarre en tout cas sur les chapeaux de roue avec une première salve marquée par une prédominance de petits films animés centrés sur le thème de l’échappée (onirique ou hallucinatoire).
De l’influence de Lynch
En l’état, sur un genre aussi codifié, ça passe ou ça casse. Au pire, ça donne l’ibérique "Dad is gone" de Pere Ginard et ses quatre minutes de montage clignotant, où s’alternent les plans visibles et les écrans noirs sur fond d’une armada de bruitages et de triturages sonores. Le procédé a beau titiller parfois l’agencement sonore d’un David Lynch, il fait surtout penser à un enfant qui jouerait avec le disjoncteur d’une pièce et provoquerait ainsi la coupure sans cesse répétée d’un film.
Au mieux, ça donne "Have a Nice Dog", clairement la plus belle pépite de cette première sélection. Encore du Lynch par-ci par-là en matière d’ambiance, pas mal de perspectives hallucinatoires et mémorielles qui vont toujours plus loin en matière de visions cauchemardesques, le tout dans une animation sublime à cheval entre la couleur et le noir et blanc. La poésie de l’ensemble, associée à un scénario centré sur l’isolation psychologique en temps de guerre, renvoie à certains vieux films d’Europe de l’Est qui poétisaient la grisaille ambiante sur fond de conflit. Quelques pincées de surréalisme font mouche (les pièces qui se déforment !) et une très belle idée est même à retenir : des angoisses qui s’animent sur un papier toilette à mesure que le jeune héros en déroule frénétiquement le rouleau.
Des délires kafkaïens
On est toujours preneur des délires kafkaïens, et le réalisateur arménien David Babayan nous comble avec "Le Rêve de Kafka". Une large partie de l’œuvre du célèbre écrivain, perfusé aux métamorphoses identitaires et à la critique sociale virulente à l’envi, se retrouve compressée dans ces huit minutes aussi zarbies que magnifiquement animées. Pas de quoi grimper au plafond (notons un passage chanté à base d’éternuements qui suscite une gêne carabinée) ni donner chair aux visions les plus folles de la folie contemporaine (le fait d’y voir des cafards laisse à penser que le réalisateur a un peu louché du côté de William Burroughs), mais la modestie du résultat fait plaisir.
Enfin, "Le Monde en soi" achève le tableau hallucinatoire de cette sélection par un concept à la Satoshi Kon, illustrant la perte de repères d’une jeune peintre trop absorbée par sa propre création à l’approche de sa première exposition. Encore et toujours ce chaos hallucinatoire qui brouille la dichotomie réel/fiction, mais que Sandrine Stoïanov et Jean-Charles Finck traitent ici avec inspiration. L’animation, disparate à souhait, est absolument superbe, lorgnant parfois du côté des cartoons freestyle de Walerian Borowczyk et donnant vie à une galerie de mutations animées très séduisantes (bestiaire mi-humain mi-animal, corps de femme qui se fond dans l’espace urbain, etc…). Peut-être que le résultat aurait gagné à être un peu plus resserré, histoire de ne pas donner parfois la sensation d’étirer son pitch dans le seul but de frôler la durée d’un moyen-métrage.
Le reste du buffet
Le reste de la sélection, comme toujours, ressemble à un buffet où l’on picore le bon comme le mauvais. La Russie montre de séduisants atouts avec l’amusant "Boxballet" d’Anton Dyakov, rencontre amoureuse entre une ballerine longiligne et un boxeur empesé. Sans surprise, tout tient ici dans un pur contraste formel et corporel, en soi générateur de gags et d’ironies situationnelles, sur la base d’un scénario qui suggère presque un « transfert de sensibilités » à la suite d’un sauvetage de chat coincé dans un arbre. Sans jamais utiliser le dialogue ni prétendre lorgner vers les enjeux les plus éculés du genre (on est assez loin de l’histoire de Rocky et d’Adrian !), ce court-métrage cherche une émotion simple et universelle, et se fait même promoteur de l’âme russe au détour d’une visite de musée (quelques peintures russes sont incrustées dans le découpage) et d’une pirouette finale sensiblement satirique.
Du côté de nos voisins allemands, "People in Motion" repose sur un concept génial : un étrange objet lumineux cause une agitation dans un pays sans lumière, révélant du même coup l’égoïsme et la cupidité de chacun. Tournée en stop-motion, cette belle parabole sur la face obscure des comportements humains offre ainsi un enjeu narratif – la lumière qui perce l’ombre – qui rejoint en tous points l’enjeu d’une mise en scène de cinéma. On rêve déjà d’un long-métrage de cinéma capable de décliner ce concept, tant il reste ici un poil schématique et quelque peu abîmé par une voix-off omniprésente. Prometteur, en tout cas.
Quant à l’Américain "No Leaders Please", il consiste en une sublime succession de morphings animés sur des travaux inspirés par des artistes tels que Banksy, Basquiat ou Weiwei sur fond d’une récitation d’un poème de Bukowski sur l’invention de soi. Ça dure deux minutes, c’est très beau et ça s’oublie assez vite.
Deux (grosses) déceptions ferment la marche. D’abord avec "Dans la nature" de Marcel Barelli, petit film suisse gorgé de promesses en raison de son concept rigolo (révéler l’homosexualité chez les animaux), mais qui, en raison d’une voix-off d’enfant qui paraphrase l’image sur un ton extrêmement pédago, semble s’adresser à un public avec cinq ans d’âge mental et une culture littéraire limitée à Tchoupi ! A l’exception d’un poisson qui passe du mezzo au baryton au moment du changement de sexe, c’est d’autant plus morne plaine que la succession ininterrompue de « Dans la nature, un couple c’est ceci… mais pas toujours ! » finit par nous taper sur le système. Il aurait sans doute fallu le trait provocateur d’un Picha pour que le résultat soit aussi drôle et désinhibé que prévu…
Ayce Kartal joue de son côté la carte du foutage de gueule pur et simple avec "I gotta look good for apocalypse", sorte de collage plastique élaboré en vue de capter la déréalisation de nos vies sous l’effet du confinement et de la pandémie. Il faut attendre l’édifiant carton final pour clarifier le schmilblick : « Les dialogues et les peintures animées de ce film reproduisent des contenus trouvés en ligne. Les séquences de jeu en réalité virtuelle proviennent directement d'Internet. Les émotions viennent de ce que nous appelons la vie réelle ». Dans la mesure où on n’y voit seulement qu’un défilé hasardeux d’espaces vides griffonnés (ou rotoscopés) à la va-vite et d’images 3D incrustées à la hussarde, le tout avec une narration tout bonnement inexistante, on confirmera que, oui, ce n’est pas dans ce machin irréel que les « émotions de la vie réelle » peuvent être glanées.