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Festival d'Annecy 2021 : regard sur les films en réalité virtuelle (Oeuvres VR)
La sélection 2021 des œuvres en réalité virtuelle fut de haute qualité, regroupant une bonne dizaine de films, parmi lesquels il est bien difficile de distinguer un favori.
"Madrid Noir" parmi les favoris
Parmi les films les plus ambitieux, réellement interactif, "Madrid Noir" (James A. Castillo, 42 mn) se trouve avoir beaucoup d’atouts. Le spectateur doit d’abord se saisir d’un dossier, afin de choisir grâce à un empreinte de mains entre (on suppose) 5 histories différentes. Celle à laquelle nous avons pu participer met en scène une jeune femme rangeant les affaires de son oncle et se souvenant de son enfance avec ce mystérieux personnage. Située juste avant la guerre civile, en 1935, le film nous projette dans la même pièce que la femme et nous permet d’interagir avec elle et avec des objets (développement de photos, manipulation de cartes postales, pipe, revolver...).
Il nous permet aussi d’observer, à la manière de décors miniatures, différents souvenirs, apparaissant à différentes emplacements et recréant les agissements de l’oncle dans des ambiances urbaines nocturnes souvent inquiétantes. L’animation est de grande qualité, les décors fourmillent de détails, avec quelques bonnes idées comme le découpage de certaines scènes en pas japonais, certains personnages étant réduits à leurs empreintes de pas pour mieux centrer notre attention sur la petite fille en pleine enquête, ou l’apparition des meubles de l’appartement qui se fait à la manière de pop-ups venus du sol. Une vraie réussite, sans doute parmi les favoris.
Une impressionnante plongée sous marine avec "Biolum"
Autre projet fascinant, plutôt orienté contemplation et danger potentiel, "Biolum" (Abel Kohen, 25 mn) propose de nous mettre dans la peau d’une plongeuse, exploratrice des profondeurs océanes au niveau d'une fracture, qui, pénétrant dans une grotte, découvre plantes et créatures luminescentes. L’animation est de toute beauté et l’interaction simple : on avance d’étape en étape lorsque qu’un parcours en rouge s’affiche, accompagné en voix-off du dialogue entre la plongeuse et sa « cheffe » qui la guide. La sensation de flottement est assez réussie et même si le dénouement relève plus de l’anecdote pas très utile (alors que l’idée principale de la plante s’agrippant au visiteur est très bonne), l’interaction ponctuelle participe de l’expérience immersive (utilisation d’un projecteur, écartement des plantes en fonction de la lumière...). On en redemande.
Des sujets d’actualité avec "Replacements" et "Dislocation"
Alors que l’on pénètre dans une tente de fortune où est écrit « Ou sont les droits de l’homme », "Dislocation" (Veljko et Milivoj Popovic, 8 mn) nous met dans la peau d’un migrant échoué sur une côte. En trois tableaux où l’on doit à la fin pénétrer dans le corps du personnage afin de découvrir ses lieux de vie en pleine dislocation, on expérimente à la fois sa solitude et sa peur : sur la plage, dans le désert, puis dans une forêt. Le migrant est symbolisé par une silhouette composée de traits blancs, manière de le déshumaniser ou de ne pas le rattacher à une ethnie en particulier, et quelques éléments rouges viennent ponctuer le beau décor noir et blanc (zodiac dégonflé, gilets de sauvetage...). Le film est porté notamment par Amnesty International.
Nous positionnant sur le trottoir d’une rue d'Indonésie, face a une maison traditionnelle, "Replacements" (Jonathan Hagard, 12 mn) donne à voir l’évolution d’une ville et de son peuplement au travers d’une animation traditionnelle qui fourmille cependant de détails à explorer à 360 degrés, les quelques bruits ou voix nous attirant vers certains changements. De l'évolution des morphologies et des fonctions urbaines (apparition d’immeubles, de tours, de commerces plus ou moins franchisés...) aux changements sociaux (décrépitude des murs, pauvreté, squatte, terrain vague, domination d’une nouvelle religion...), le film déroule un condensé de nostalgie et d’inquiétude plutôt édifiant.
Enfin "4 Feet High VR" (Maria Belen Pncio, Rosario Perazolo Masjoan et Damian Turkieh, 36 mn, déjà passé par Venise en 2019) rejoint également ce groupe de films, puisqu’il s’agit ici de donner à voir la vie à hauteur d’une jeune femme en fauteuil roulant. Une manière intelligente d’aborder les questions d’inclusion dans la vie de tous les jours.
Une histoire sans doute trop compliquée pour "Paper birds"
Si l’on devine bien l’intention des auteurs de créer une histoire autour du besoin de création et de la musique, le très beau film linéaire "Paper birds" (Federico Carlini et German Heller, 35 mn), s’il propose de magnifiques décors au caractère délicieusement lugubre (la montée en téléphérique est un passage proprement envoûtant...), nous perd un peu en route à vouloir raconter trop de choses en même temps (le spleen d’un garçon accordéoniste, la perte d’inspiration de son grand père, l’amour d’une petite sœur disparue, l’existence d’un autre monde sensible aux mystérieux oiseaux de lumière...).
La coupe est donc trop pleine, malgré de très beaux décors façon miniatures et quelques jolis moments où nos mains servent à émettre des flux lumineux ou à distordre des bandes lumineuses sonores. Un film accompagné par une très belle partition signée Cyrille Marchesseau (qui semble très inspiré par Bruno Coulais), qui aurait mérité un peu de tri côté scénario.
Des expériences visuelles
"Recoding Entropia" (François Vautier, 8 mn) est un exercice de style plutôt captivant. À partir d’une forme pyramidale qui semble se disloquer c’est toute une succession de fusions, désagrégations, imbrications qui se déroule et nous englobe, générant des formes minérales et associant la notion de code ou de génétique, avec par moments comme des touches de machines à écrire sur lesquelles se devinent des chiffres. Visuellement bluffant.
Enfin "Strands of mind" (Adrian Meyer, 12 mn) nous propose de fusionner avec l’énergie qui parcoure la nature, en nous immergeant dans une forêt, nous faisant pénétrer dans les fondements d'arbres parcourus par des flux luminescents, générant ainsi quelques paysages cauchemardesques entre organique et minéral. Un vrai voyage jusqu’aux origines, avec encore ici un fœtus (une figure récurrente des longs métrages de cette sélection 2021) et une nuée d’éclairs menaçants. Fascinant et effrayant à la fois.
Une œuvre particulièrement sombre
Terminons par "The Hangman at home" (Michelle et Uri Kranot, 25 mn), en partie interactif, puisque l’on peut à la fois se déplacer grâce aux manettes, mais aussi saisir des objets (une boîte d’allumettes que l’on peut allumer...), mais tout à fait perturbant. Il est en fait question ici de la famille d’un bourreau, montrant différents moments de sa vie (enfance, paternité, vieillesse...) qui se terminent toujours par un regard frontal provoquant une certaine gêne, le spectateur étant positionné en observateur à chaque fois qu’il pénètre dans une pièce. Accédant à ces différentes pièces en ouvrant une porte fenêtre, une armoire, ou franchissant une cheminée, chacune est vide et comporte une sorte de fenêtre théâtrale aux décors en plusieurs couches donnant la profondeur. Le tout se termine par une scène dérangeante avec celle qu’on suppose être la mère de ce futur bourreau... un film à ne pas rater et qui pourrait bien l’emporter par son mélange de sérieux, d’interaction et de graphisme avancé.