INTERVIEW
UN AMOUR IMPOSSIBLE
Catherine Corsini, Elisabeth Perrez et Niels Schneider
Conférence de presse du film « Un Amour Impossible« , en présence de la réalisatrice Catherine Corsini, de la productrice Elisabeth Perrez et de l’acteur principal Niels Schneider.
Les personnages
Virginie Efira est Rachel Schwartz. Alliant activité et passivité, elle est une mère courage qui subit les outrages de l’amour pour un pervers narcissique et la condescendance d’une fille qui reproduit inconsciemment le système de pensée que son père bourreau lui a inculqué.
La réalisatrice explique qu’elle n’avait pas du tout pensé à Virginie Efira pour le rôle de Rachel. Pour elle, c’était une actrice de comédie. Elles se sont rencontrées par hasard dans une émission de radio après qu’elle l’a découverte comme actrice dramatique dans "Victoria", film qu’elle venait justement présenter avec la réalisatrice Justine Triet. Catherine Corsini l’a trouvée très vive, avec un côté droit, dans la défense d’une histoire, d’un regard et d’une vraie protection de la réalisatrice, sans tirer la lumière vers elle, ce qui est assez rare.
Elle a ensuite appelé sa productrice pour lui dire qu’elle retrouvait dans Virginie la droiture qu’elle cherchait pour Rachel. Elles ont donc contacté son agent. Virginie Efira avait lu le roman de Christine Angot et avait très envie du rôle. La réalisatrice lui a donc proposé de faire une journée d’essai, alors qu’il est assez rare de prendre une journée entière pour faire des tests. C’était nécessaire pour la réalisatrice, car elle avait besoin de vérifier que Virginie pouvait convenir à ce genre de rôle, si c’était possible au niveau de l’âge, mais aussi sur le côté maternel et les scènes d’émotions. L’idée était de voir si une base de travail commune était possible, sans pousser trop afin de ne pas tout travailler dès les essais.
Virginie travaille très rapidement et sans que ce soit de la composition. Pour la réalisatrice, c’est quelque chose de l’ordre du vécu.
Ainsi, pour la Catherine Corsini, Virginie Efira a su incarner cette héroïne silencieuse, cette femme simple dans une vie simple pendant l’après-guerre. Elle ne se vit pas comme une victime. Elle a eu un enfant de l’amour. Elle revendique que le père donne son nom à sa fille, ce qui était héroïque à l’époque. Elle est indépendante financièrement, elle élève son enfant en donnant une bonne image de son père, elle a tout bon et donc quand lui va arriver, il va s’ingénier à la réduire. C’est une féministe avant l’heure : malgré la domination, elle a un cheminement d’émancipation qui la désaliène.
Pourtant, il y a une certaine part égoïste dans ce que fait Rachel, car elle prend pour elle tout ce que Philippe fait à sa fille. Elle ne voit que les choses par rapport à elle. La fille en veut à sa mère de ne pas avoir vu et de ne pas parler. Ce qui est pourtant tout à fait normal. Mais le personnage de Rachel est dans un tel état de sidération qu’elle a un morceau de cœur qui a gelé, elle ne sent plus rien, alors que la fille ne peut pas se détacher du personnage de son père. Car il est à l’origine des premières formes d’amour qu’elle connaît. Et le dire deux ans plus tard, c’est très difficile. Certaines personnes passent leur vie sans rien dire.
Niels Schneider est Philippe Arnold. Originellement prénommé Pierre dans le livre, il joue le rôle du père de Chantal et l’homme dont tombe amoureuse Rachel. C’est aussi un odieux personnage, un pervers narcissique très adepte de la condescendance. Catherine Corsini a fait des choix en écrivant le scénario d’"Un amour impossible", car elle souhaitait créer une œuvre originale. Ainsi, le personnage de Pierre devient Philippe dans le film, un changement qui fait que l’acteur Niels Schneider n’est pas allé piocher dans le livre originel.
Pour sa performance, l’acteur explique s’être inspiré de personnes réelles. Ce qui lui fait le plus peur, ce sont ces personnes qui ont un masque même dans leur voix, avec une voix très douce et un petit sourire angélique, comme certains réalisateurs. Il en parle parce que c’est son fantasme ; ce sont des réalisateurs qu’il ne connaît pas du tout. Il pense à Arnaud Desplechin ou Joachim Lafosse : ils n’ont jamais un mot plus haut que l’autre et pourtant, on sent qu’ils installent une domination extrême. Ce type de personnage est plus intéressant à jouer qu’une brute.
Niels Schneider aime les salauds au cinéma, même les salauds très humains comme Jean Yanne dans "Nous ne vieillerons pas ensemble". Il explique que son travail avec la réalisatrice a été de créer un être nuancé en se demandant à quel moment révéler sa perversion. Faire un travail de subtilité pour montrer comment, en étant tout caressant et très doux, il établit une forme de domination. Ce qu’il trouvait vraiment génial, c’est qu’il n’est jamais vraiment brutal, que rien n’est jamais vraiment révélé. La brutalité est off.
Niels Schneider explique que certaines scènes du tournage étaient jubilatoires, tant son personnage était odieux. Il prend l’exemple d’un dialogue, coupé au montage, qui devait se situer juste avant que le capot de la voiture ne se soulève quand ils se retrouvent pour la première fois hors de Châteauroux : le dialogue portait sur Cocteau, qui était le seul homo que Philippe disait pouvoir supporter.
Il explique que souvent, quand un personnage vous plaît et que vous allez le tenir sur tout le film, il y a quelques scènes où l’acteur sait qu’il va pouvoir vraiment s’amuser avec le personnage. Avec Philippe, la scène la plus horrible est la scène où il annonce à Rachel qu’il s’est marié avec une Allemande et qu’il a un petit discours sur les Allemandes et les Japonaises qui seraient les meilleures femmes car elles s’occupent vraiment des hommes alors que trop sont morts au front. Et il observe l’effet de ses mots. C’est du pur sadisme et de la perversion narcissique. Il schématise et théorise tout. Et il a une manière à la fois très gentille et très ferme d’exclure Rachel et de jouer sur son complexe d’infériorité.
Niels explique que ce qui lui a d’abord plu chez Philippe, c’est qu’il n’est pas monolithique. Il est certes odieux, mais il ne l’est pas dès la première scène. Avec la réalisatrice, il voulait en faire un personnage charmant, lumineux dans les premières scènes, afin que le spectateur comprenne pourquoi Rachel tombe amoureuse de lui.
Le travail de la réalisatrice Catherine Corsini
Le texte de Christine Angot lui a été amené par sa productrice, car elle voyait dans ce livre une cohérence avec les thèmes que la réalisatrice abordait dans son cinéma.
La réalisatrice a donc lu le livre, l’a beaucoup apprécié et s’est posé la question : a-t-on vraiment besoin d’adapter un roman qui nous plaît autant ? La réponse qu’elle a trouvée est dans le cinéma de Truffaut : "Jules et Jim" et "Les Deux Anglaises et le Continent" sont issus de grands romans et les films sont eux aussi magnifiques. La solution était donc de prendre le texte et les mots de l’auteur et de malaxer, déformer, tendre et mélanger l’histoire pour produire une œuvre originale.
Selon Corsini, la vie de Christine Angot était déjà parfaite d’un point de vue dramatique : il y a une situation initiale, puis le parfait antagoniste arrive, puis elle prend des coups, il s’en va, elle se reconstruit, puis il revient. Cette histoire était déjà parfaite dramaturgiquement. Sa vie marche comme un scénario. Quand elle a conçu son propre scénario, Catherine Corsini a voulu prendre le temps de développer les personnages. Elle voulait vraiment rester proche du personnage principal.
La réalisatrice explique que ce projet lui vraiment plu pour le travail avec les comédiens : ils se sont vraiment comporté comme s’ils étaient face à une fiction qu’elle avait créée. Ils ont utilisé les rôles comme des personnages en s’affranchissant de la réalité et du roman. Ceci a été renforcé par les changements de certains prénoms (pas de changement pour Rachel, car Corsini n’a rien trouvé d’aussi beau pour ce personnage).
Comme elle vient du théâtre, adapter les mots de l’auteur a été un exercice qu’elle a trouvé passionnant, car elle a vraiment réécrit, recomposé, tout en gardant des dialogues du roman. Et aussi parce que restituer une langue participe de ce que veut raconter l’histoire. C’est justement pour ça qu’elle effectue des essais avec les acteurs. Certains font entendre les dialogues, d’autres non.
Sur le plateau
Pour expliquer son travail en tant que réalisatrice sur le plateau, son rapport avec les acteurs et les équipes techniques, Catherine Corsini revient sur deux scènes : l’arrivée de Chantal et l’aveu.
En France, il est interdit d’avoir un bébé de moins de trois mois dans un film. Mais la réalisatrice voulait absolument un bébé donc la production a cherché des femmes qui allaient accoucher pendant le tournage. Ils ont trouvé un couple qui les a recontactés juste après l’accouchement.
La réalisatrice savait très précisément ce qu’elle voulait, s’inspirant d’une photo de sa mère le jour de son accouchement, avec le visage un peu fatigué. Comme il fallait tourner très vite, le bébé étant très petit, Virginie Efira l’a eu très peu de temps dans les bras et la réalisatrice se souvient de la rapidité et de la souplesse de l’actrice, de la spontanéité avec laquelle elle a pris cette expression fatiguée qui la touchait intimement.
La scène de l’annonciation a été tournée une première fois sur le parking de ce qui devait être la Sécurité sociale à Reims. Tout le monde est ravi de la journée, sauf Catherine Corsini. Pour elle, il manquait quelque chose. La séquence a été préparée en regardant des grandes annonciations comme celle du "Choix de Sophie" avec Meryl Streep. Ce qui n’allait pas pour la réalisatrice, c’est qu’elle sentait un petit peu le jeu dans le relâchement du visage. La scène a donc été retournée à Paris, et la première prise était alors la bonne ; c’est celle-ci qui a été montée.
Préparation
Bien que Catherine Corsini vienne du théâtre, elle ne répète pas du tout, car le numérique permet de tourner beaucoup. Comme sa cheffe opératrice, Jeanne Lapoirie, est très rapide, elle « saisissait » ses acteurs, comme en cuisine, dès qu’ils arrivaient sur le plateau. La réalisatrice a peur que la meilleure performance soit réalisée lors des répétitions et qu’elle ne soit pas filmée. Il y a donc des répétions avec caméra.
Le numérique est un gain de temps phénoménal. Corsini raconte que parfois, plutôt que dire « couper », elle laissait tourner la caméra jusquà la scène suivante (avec un vrai bazar sur le plateau le temps que les techniciens préparent le cadre pour la scène d’après) et ils enchaînaient. Elle travaille comme ça pour trouver l’étincelle, la vérité. Avec des acteurs habiles, elle sait que les accidents vont créer quelque chose. Comme Jeanne Lapoirie était très souple, ils expérimentaient parfois et recomposaient une scène selon un autre point de vue. Certaines choses étaient tournées en off et n'étaient pas montées, mais servaient à nourrir la vie des personnages.
Pour le personnage de Rachel, qui a une vie intérieure très complexe, il y a eu des dialogues avec Virginie Efira. Il fallait incarner une femme qui, un jour, s’est mis des œillères. Virginie était inquiète et lui disait qu’il faudrait que la réalisatrice la maintienne dans cette direction pendant le tournage, mais les choses se sont finalement faites naturellement.
Niels explique que les prises s’enchaînaient très vite pour garder l’énergie. Comme certaines scènes ont été très tordues, elles ont parfois été jouées de façons très diverses. Parfois, entre les prises, la réalisatrice ne leur disait pas ce qu’il y avait à changer. Elle disait « on la refait », en étant très attentive à l’apparition d’une magie, d’une étincelle. Catherine Corsini revient sur cette méthode en expliquant que le risque avec les commentaires entre les prises, c’est que l’acteur ne retient que la dernière chose qui a été dite et qu’il essaie de s’y conformer alors que ce qui est intéressant, c’est la somme des prises et la recherche. Alors parfois, en ne disant rien de plus que « on recommence », l’acteur sait que quelque chose doit changer, alors il propose quelque chose.
Mais pour Catherine Corsini, dans un film d’époque comme celui-ci, c’est le stade des costumes qui est essentiel, car ils donnent une réalité, un corps aux personnages. C’est une vraie recherche de costumes et d’objets, de marqueur temporels, qui aide à trouver des personnages. Il y a eu aussi les essais avec le vieillissement, ce qui a vraiment aidé les comédiens à entrer dans les rôles. Elle cite Visconti qui aurait dit à un acteur qui lui demandait des indications de jeu : « Je vous ai donné le rôle, le scénario et vous avez le costume, alors allez-y ».
Philosophie du travail
Comme Pierre Salvadori, son grand ami, Catherine Corsini croit vraiment en la fiction, mais pas au même endroit, car lui fait de la comédie et elle fait des mélodrames, car elle a envie que ses films provoquent des émotions fortes. Elle ne veut pas prendre les spectateurs en otage, mais qu’ils découvrent et qu’ils réfléchissent. Elle cherche une vérité des sentiments et des relations. Il faut qu’elle croie elle-même à ce qu’elle voit. Elle dit souvent qu’il y a des acteurs qui jouent en général, et que c’est ce qu’il y a de pire. Au contraire, il faut jouer précisément.
Par ailleurs, que le film ne plaise pas aux acteurs lui aurait posé problème, mais que le film ne plaise pas à l’auteur, c’est presque normal, car la trahison fait partie du travail d’adaptation.
Thomas Chapelle Envoyer un message au rédacteur