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INTERVIEW

STAY ALIVE MY SON (VR)

Victoria Bousis

réalisatrice et scénariste

C’est dans une pièce circulaire tout en haut du Forum des Images, dans le cadre du Festival New Images 2024, fin avril, que nous avons pu rencontre Victoria Bousis, réalisatrice de l’œuvre VR « Stay Alive My Son« , qui nous plonge dans les souvenirs de Pin Nathay, survivant du génocide khmer rouge, au Cambodge. Retour sur 25 minutes d’échanges passionnants autour d’un film qui vient également d’être présenté au Festival d’Annecy 2024.

© Ume Studio

Journaliste : Il me semble que le film a déjà été présenté à Venise, il y a deux ans ?

Victoria Bousis : Il est très différent de la version de l'époque. L'usage des souvenirs est différent. Il n'y a pas de casse-têtes. Et il n'y avait pas de partie documentaire à la fin.

La découverte de cette histoire très personnelle

Journaliste : Comment avez-vous eu connaissance de cette histoire très intime ? Par le livre de Pin Yathay ?

Victoria Bousis : J'ai découvert le livre au Cambodge, en 2013. J'ai été touchée par le thème, en plus de connaître les gens, cela aide à connaître le pays. Je voulais en faire quelque chose, d'abord un film, mais ça n'a pas marché. Alors on a eu l'opportunité d'en faire une expérience VR, et il [Pin Yathay] a donné son accord. J'ai alors pris un vol pour Paris. Et cela a été le début de notre relation, notre amitié, de presque 10 ans, autour de ce projet.

Je suis venue en France de nombreuses fois en fait. Une pour juste faire une interview de lui, lui poser des questions sur le livre et parler de détails sur lesquels j'avais besoin de plus d'informations. La fois suivante je voulais qu'il voie une première version du scénario. J'avais besoin qu'il la voie, comme c'est une histoire très personnelle. Je suis revenue pour le rencontrer, avec une photo digitale de son fils, qui avait six ans quand il l'a laissé, vieilli grâce à l'intelligence artificielle. Et je lui ai dit que l'idée était de mettre cela à la fin, afin qu'on puisse éventuellement retrouver son fils, que quelqu'un le reconnaisse. Je lui ai demandé ce qu'il en pensait, et il a dit : « il a mes lèvres », mais « ce n'est pas mon fils, mon fils est un enfant de six ans ».

C'est là que je me suis dit que l'histoire allait bien au-delà du livre. Que cela relevait d'une histoire contemporaine de séparation familiale. Parce qu'il s'agit d'un homme, qui 45 ans plus tard, cherche toujours son fils et se questionne toujours sur le passé et sur le fait d'avoir pris la bonne décision. C'est comme ça que le scénario s'est étendu, pour commencer aujourd'hui et plonger dans ses souvenirs. À la fin de l'interview il a dit qu'il a modifié le passé : en survivant, c'est sa famille qui a survécu.

Le design du film et l’implication de Pin Yathay

Journaliste : Est-ce que Pin Yathay a lui-même participé au graphisme du film ?

Victoria Bousis : Le dispositif global vient de mon imagination : c'était l'expression extérieure d'un espace intérieur, qui connectait symboliquement avec des lieux réels (Angkor Wat, S21...). Sa maison en 1975, je ne savais pas à quoi elle ressemblait, car il n'y a aucune photo. Du coup on a passé beaucoup de temps, avec mon chef décorateur, à chercher des références et à lui demander si cela ressemblait à sa maison. Il réagissait en indiquant de changer la couleur ici, d'utiliser ce tissu là... Il a donc été impliqué à ce niveau-là, en envoyant aussi des photos personnelles, dont une où on le voit monter les escaliers chez lui, et des photos de sa maison actuelle, qu'on voit au début film.

Mais le plus touchant, il y a une chanson dans le film, à la plage. Je lui ai demandé s'il y avait une chanson qu'ils partageaient avec sa femme. Et ce fut une question difficile à poser évidemment, car il s'agit d'une femme qu'il a aimée et qu'il a perdue. Et il a commencé à m'envoyer des tas de chansons qu'ils aimaient, email après email. Et j'ai fini une sélection, pour arriver finalement à celle qu'on entend dans le film.

Une importance de la symbolique dans le parcours

Journaliste : Au niveau symbolique, vous avez choisi de représenter les lieux de rééducation où ils ont été envoyés, comme un long tunnel, avant qu'on arrive dans la forêt vierge, où on retrouve un sens d'une possible liberté : la liberté de sa famille quand ils tentent de s'échapper et sa liberté à lui quand il est libéré... Comment est venue cette idée du tunnel, où la végétation, les arbres sont tout de même présents... ? Est-ce aussi un moyen de guider le spectateur ?

Victoria Bousis : La première intention c'était qu'il fallait apprendre des choses aux gens, sur ce qui s'est passé. Je me suis dit qu'il fallait représenter une prison mentale. Parfois quand on fait des choix, on rejoue sans arrêt les mêmes souvenirs. « Est-que j'aurais pu faire quelque chose différemment ? » « Est-ce que j'aurais pu faire un choix différent ? » « Ai-je fais le bon choix ? » Et je vois à quel point on peut être coincé dans un labyrinthe. D'où le fait que sa prison mentale a une structure de labyrinthe. Et en faisant plus de recherches, S21 a été une influence avec ces couloirs et ces espaces fermés.

Je voulais qu'on ait la sensation de ce confinement. Quand vous avancez dans ce tunnel sombre, vous vous sentez mal à l'aise, vous ressentez de l'anxiété, comme pour cette famille qui était dans l'incertitude après avoir été emmenée. Je voulais que quand vous franchissiez un angle, vous ne sachiez pas ce qui va se passer. Car alors que vous approchez du bout, non seulement vous entendez des tirs, mais vous avez peur pour votre vie, car des gens meurent, des os apparaissent... Du coup le premier niveau est le décor physique, le second est le symbolisme attaché à ces lieux, et le troisième est l'arc émotionnel que je voulais créer chez le spectateur. Au moment où vous ouvrez la dernière porte, je voulais que vous ayez la sensation de pouvoir respirer à nouveau. C'est ce que vous dites ce que vous avez ressenti...

La représentation des souvenirs

Journaliste : Vous avez aussi choisi de représenter les personnages, dans les souvenirs, avec seulement une facette. Ce qui fait que quand vous vous déplacer à l'arrière, ils disparaissent en partie... Ils n'ont pas de face arrière. Est-ce que c'est une manière de leur donner un aspect fantomatique ? Ou aussi de représenter le fait que, comme des souvenirs, ils disparaissent peu à peu... ?

Victoria Bousis : C'est exactement cela. Je voulais honorer cette famille, ces membres qui dans son cœur sont toujours très vivants. Et je voulais du coup utiliser de vrais acteurs, pour leur redonner vie. Mais ce sont en effet des souvenirs, et par essence ils sont imparfaits. Je voulais qu'on ait l'impression de rêve : quand on rêve on ne voit pas l'arrière. Je voulais aussi qu'il y ait un côté rêve par les couleurs et l'éclairage, car cela devait être poétique.

Journaliste : Ils ont des couleurs que vous ne voyez pas dans le reste du décor... Était-il important pour vous, d'avoir à la fois cette scène de départ, où c'est Pin Yathay lui-même qui nous embarque dans son histoire, et ce passage à la fin, où c'est vous qui ramenez de l'espoir en lui offrant ce projet comme un moyen de retrouver son fils... ?

Victoria Bousis : Pour l'introduction c'était évident. Je pense qu'en effet, quand on regarde de la réalité virtuelle, on doit rencontrer la personne que l'on va devenir. Parce que sans former une connexion avec cette personne, cela n'a pas de sens. Je voulais qu'on le rencontre, qu’on puisse voir comment il est accueillant et chaleureux, comment il est finalement accompli dans sa vie. On peut comprendre cet homme, on veut l'aider, et on s'investit émotionnellement.

Et pour la fin, c'était important que les gens se rappellent qu'il s'agissait de quelqu'un qui existe. C'est ce qui touche le plus les gens. Quand on montre la rencontre avec lui à la fin, on partage un lien avec cette personne, à la fois comme réalisatrice qui adapte sa vie, mais aussi à un niveau humain. Et je voulais vraiment le remercier pour cette histoire, mais aussi lui montrer que je croyais sincèrement que son fils est encore en vie. Et il le croit aussi. Et peu importe que les probabilités soient faibles, je pense que cet espoir ne disparaît jamais.

Une œuvre comme un tout

Journaliste : Il est indiqué des chapitres 1 et 2. Mais finalement il s'agit d'une œuvre en un seul morceau... Pourquoi ?

Victoria Bousis : A Venise, on avait une version complètement différente. La moitié de mon équipe était ukrainienne et la guerre a éclaté. On ne savait pas encore comment représenter les souvenirs. Il n'y avait pas de réelle séparation. Même si pour moi aujourd'hui le chapitre 1 se termine au moment où vous sortez de prison. Quand vous ouvrez la porte, il y a un fondu au noir... Et le deuxième chapitre serait donc la marche en forêt, Angkor Wat, et le documentaire. Venant du cinéma, où on travaille beaucoup en trois actes, j'ai quand même trouvé que cela marchait très bien comme un tout.

Le ressenti de Pin Yathay lui-même

Journaliste : C'est un film très dur et émouvant, où la musique apparaît sur le tard. Est-ce que Pin Yathay a pu faire ce trajet en VR lui-même ?

Victoria Bousis : Oui, il l'a fait. Au début il a eu un peu le mal de mer. Mais ça a passé, et j'ai trouvé qu'il allait vraiment lentement, regardant dans les détails, les scènes où les souvenirs de sa famille, qui sont dans le livre, prenaient vie, avec ses mots. Je l'ai vu approcher la famille de très près, comme s'il revoyait celle-ci. Quand j'ai fait le casting, il avait aussi apprécié les choix que j'avais faits...

La présence de vrais acteurs

Journaliste : Pour les souvenirs avec les acteurs, vous utilisez la technique de la rotoscopie ?

Victoria Bousis : Elodie Yung a elle-même une famille victime des khmers rouges. Arnold Chun, Abraham Sigler et elle ont tous un lien avec la séparation familiale. Comme c'est une expérience interactive, qu'on bouge en 3D, on utilisait une caméra volumétrique avec un fond vert, et une caméra normale pour les couleurs, attachée à elle. Mais on avait la contrainte de devoir tourner en une seule séquence, car à ce moment-là on ne peut pas couper comme dans un film. À partir de « mash », avec le logiciel Houdini, on permet de pouvoir passer au travers, cela devient ce qu'on appelle de la 2D et demi.

Une reconstitution à l’impressionnant niveau de détails

Journaliste : Quand je fais ce genre d'expérience, j'aime regarder les détails, m'approcher, m'agenouiller si besoin. Ici en pointant la lampe torche, on peut regarder les détails des feuilles des arbres, des affiches sur les murs... il y a un vrai sens de la matière... C'est avec vos recherches que vous êtes arrivée à ce niveau de réalisme ?

Victoria Bousis : Quand on fait le choix du photoréalisme on doit aller jusqu'à ce niveau de détails. Ca demande beaucoup de travail, mais je suis heureuse du travail de mon équipe, du studio que j'ai créé. Après avoir récolté des tas d'éléments, ils ont travaillé à partir de cela, sur les carreaux de faïence par exemple, pour créer des variations, des usures, pareil pour les murs, les posters... Tout devait sembler être là depuis très longtemps... afin qu'on ait la sensation qu'il [Pin Yathay] y repense depuis 45 ans.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur