INTERVIEW
RESTE UN PEU
Gad Elmaleh
réalisateur, scénariste et acteurC’est au Festival de Sarlat, dans la foulée de son échange de l’après midi avec plus de 600 lycéens, conquis par son film, que Gad Elmaleh a pu donner une conférence de presse sur « Reste un peu« , un projet très personnel, en présence de quelques journalistes.
Une quête spirituelle des plus personnelles
Gad Elmaleh avoue d’emblée que « dans le film il y a des choses autobiographiques » et « d’autres pas vraies », mais qu’il ne dira pas lesquelles. Mais « la quête spirituelle, tout est vrai là-dedans, la recherche, l’introspection ». Cette chose que sa sœur dit « en rigolant à moitié : tu aurais pu nous faire une crise de la cinquantaine classique », un peu ringarde, avec tatouage… est une remarque générale qui vaut pour cette histoire.
Il a « vraiment eu ce moment », où il a réfléchi beaucoup à cela. Il s’est passé plein de choses dans sa vie qui ont mené à cette quête, où il a voulu interroger [sa] propre identité. Mais « le film n’est pas une chronique sur ce moment » de sa vie, car cette quête continue.
D’un point de vue personnel, selon lui « le chemin a alimenté le film, et le film a été une force pour faire ce chemin », ça se nourrit l’un l’autre. Il met en parallèle le fait que quand il est parti aux États-Unis pour faire du stand up en anglais, il a décidé de réaliser un documentaire là-dessus. Et ce documentaire l’a aidé à aller sur scène en anglais, et le fait d’aller sur scène en anglais l’a aidé à nourrir ce documentaire. « La seule différence c’est que le chemin continue et que le film s’est arrêté ». Il espère que le prochain film sera autant personnel.
Aux lycéens, qui s’interrogeaient surtout sur la fin du film, sa conclusion, il a surtout voulu faire passer le message qu’ils avaient « le droit de s’interroger sur ce qu’on leur a donné », sur leur identité. C’est le même process que quelqu’un qui voudrait vivre à l’étranger, ou s’interrogerait sur sa sexualité… À un journaliste qui compare justement le processus à une sorte de coming out, il répond avec humour que oui, mais « qu’un coming out passerait beaucoup mieux dans une famille juive » dans l’époque d’aujourd’hui. Il y a un côté séisme, un sentiment de trahison, mais il verrait bien une mère juive dire : « tant que tu deviens pas catholique » (rires).
L’importance de la vierge Marie
Interrogé sur le rapport maternel et la Vierge Marie, il se remémore la question de Léa Salamé en interview peu avant : « mais entre la vierge Marie et votre mère, il y a une place pour une femme dans votre vie ? » (rires). Plus sérieusement il précise qu’il n’a pas choisi cette figure, car quand gamin il n’avait pas le droit de rentrer dans les églises, ce qu’il trouve absurde, la figure de la vierge Marie l’a bien bouleversé, et « c’est le point de départ du film ».
Mes potes athées l’analyse en disant que « c’est la protection, c’est une femme parfaite, c’est l’absolu ». Elle sourit tout le temps, elle t’emmerde pas (rires). Elle lui a procuré une vraie lumière quand il était gamin, et il n’a pas arrêté de penser à elle. Mais au-delà de la « légende », c’est comme « ce qui est écrit dans les tables de la loi, ça a du sens ».
Il admet que « sans la notion d’interdit, il ne serait jamais rentré dans une église », s’il avait « grandi dans le catholicisme, il n’aurait jamais fait ce film et il n’aurait jamais vu le catholicisme de l’extérieur ». Pour lui il n’aurait même pas pu le « critiquer, au sens affectueux du terme ». Quand il dit dans ses spectacles que « les cathos ne s’assument pas en France », « si un humoriste catholique fait cette observation là, il est pas pris au sérieux », alors que « si c’est quelqu’un d’une autre communauté, c’est intéressant ». Ça le laisse perplexe. C’est pas branché d’être catho en France, c’est paradoxal…
Mais comme les communautés ne se parlent pas en France, lui qui est attaché à la laïcité, le vivre ensemble ne semble pas réellement effectif. Apprendre la citoyenneté à l’école c’est normal, et les religions doivent se parler entre elles. Il a fait le choix de montrer dans le film, avec les deux rabbins, donc la femme, Delphine Horvilleur, « un judaïsme en mouvement, libéral, éclairé, réformé », et cela lui tenait à cœur. Delphine incarne l’ouverture, une fraternité, l’autre est peut être plus fataliste, tout en étant sensible à la beauté.
De sa propre approche des religions
Selon Gad Elmaleh, « on doit s’éloigner du dogme et de la loi », même du culte, pour pouvoir saisir le message du livre. Il faut pouvoir être ouvert à une comparaison des religions. Dans la quête il ne faut pas s’arrêter au dogme, car il nous bloque dans la capacité à assimiler ces textes.
Mais en termes d’éducation, il a du mal à croire quand on lui dit « mon enfant choisira ». Ce n’est pas juste de lui transmettre rien, à moins de transmettre qu’il n’y a rien (l’athéisme). Mais il préfère qu’on leur donne le choix, en leur montrant deux cultures par exemple. Dans son cas ce serait le christianisme et le judaïsme, mais cela dépend du contexte de chacun bien sûr. Il ne faut pas que les enfants puissent nous reprocher de ne leur avoir rien transmis. Avec les histoires (arche de Noé, l’histoire de Moïse…), on arrive à transmettre des choses, à inspirer…
La qualité de jeu surprenante des membres de sa famille
« Le fait qu’ils ne disent pas des dialogues écrits, mais qu’ils parlent avec leurs mots », qu’il leur souffle des situations, a joué. Il avoue qu’il aurait aimé « en tant qu’acteur, jouer avec cette méthode », surtout avec de grands réalisateurs comme Lelouch (qui l’utilisait). « Ce doit être grisant ». Il s’agissait pour eux de « rester dans le sens de la signification de la scène », mais avec leurs propres mots.
Pour ses parents, « il y en a un qui est plus doué que l’autre » (rires), « c’est [sa] mère, elle vole la vedette à tout le monde ». Mais, « les scènes étaient très longues, il a fallu piocher chez eux ce qui était le plus drôle, le plus percutant ». Il prenait ainsi chez eux ce qui pouvait correspondre au scénario. Mais le scénario est tout de même très très écrit, toutes les scènes, les dialogues.
Son frère (Arié) n’est pas dans le film. Il l’a vu et a été très ému. Il y avait « une petite scène où il aurait pu être, dans l’anniversaire ». Quand il lui a proposé le film, il a demandé le sujet et qui jouerait dedans… et « très gentiment, il a dit ça va merci… » (rires) « Il a pas mesuré l’importance de ce projet là ». Tout en se disant qu’il aurait peut-être du insister, Gad Elmaleh avoue qu’il ne sait pas s’il regrette, mais sait qu’il a été très touché, et rajoute qu’il « sera dans le 2, quand [il] devient bouddhiste.
De la place de l’improvisation…
Quand sa sœur dit qu’il prend toute la place dans la famille, « c’est son improvisation, c’est son cœur qui a parlé », et c’est son producteur qui l’a encouragé à garder cette scène. Il admet qu’il pense que ça a dû arriver, mais « qu’on ne s’en rend pas compte ». Pour lui, « le fait d’occuper la place, c’est la conséquence du fait qu’on a besoin d’attention », car « si on le savait, et qu’on aimait un peu ses frères et sœurs, on se pousserait un peu ». Quand on perd pied on n’est pas au courant, mais avec le recul on peut analyser les choses.
Il n’y a pas de choses qui sont sorties spontanément comme cela qui l’auraient blessé. Il fallait en tous cas qu’il y ait d’autres regards sur le film, avec la monteuse, le producteur, le co-scénariste, car il aurait sûrement « voulu trop en dire » ou « cacher aussi ce genre de choses », forcément. Il a « aussi écrit des répliques où il y a de l’autodérision », notamment celle du vieux monsieur, qui dit « c’est vrai que t’es humoriste toi, dire que j’ai connu Le Luron !». C’est une manière de se mettre une claque à soi.
Aimer jouer avec les mots
Il n’a pas beaucoup lu dans sa vie. Faisant le film, il a voulu lire beaucoup, par curiosité. « L’amour des mots vient de la tradition orale », qui peut se vivre au Maghreb beaucoup, sur une tradition imagée. Il a d’ailleurs lui-même toujours « pensé le mot comme une image ou un son, c’est pour cela qu’ [il] peut le casser, le déconstruire, le détourner pour faire rire avec ». Donc en effet ce sont les mots qui ont conduit à l’écriture. Il parle 4 langues (anglais, français, arabe et hébreux), et toutes ces langues parlent en nous, « on fait des liens entre les mots », les idées…
Un autre regard sur soi-même, en tant qu’acteur
Les gens qui ont vu le film lui ont expliqué que « en fait tu fais dans ce film ce qu’on pensait que tu aurais fait chez un autre réalisateur ». Comme le sujet le portait, « était délicat, fort, passionnel, perso et intime », il n’avait pas envie de trop jouer, cet espèce de rythme, calme et apaisé, de la quête, s’est imposé à lui.
En tournant dans "Le capital" de Costa Gavras, il faisait « ce mouvement que font tous les comiques pour qu’on les prenne au sérieux », il fabriquait quelque chose. « Mais on vous prend surtout au sérieux avec un sujet », pas avec un rôle. Après il faut être honnête, « ceux qui s’attendent à me voir ici dans "Chouchou 5" ou "Coco 4" vont être déçus, il faut être honnête avec ça ». La proposition qu’il fait là est différente, et même s’il a été invité déjà dans d’autres univers de cinéastes, c’est son univers.
Une fin ouverte…
« Ne faites pas comme Michel Drucker, il raconte la fin des films » (rire). C’est en effet une fin ouverte tout est possible à ce moment-là. Ce n’est pas impossible que le chemin, soit se complique, soit se confirme (« sans mauvais jeu de mot »)…
Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur