INTERVIEW
PUPILLE
Jeanne Herry
Dans le cadre de l’avant-première lyonnaise du film Pupille, Jeanne Herry, réalisatrice et scénariste du film, est venue à la rencontre du public et des journalistes.
Inspiration, recherche et écriture
Après son premier long, "Elle l’adore", Jeanne Herry cherchait un sujet pour son prochain film. Elle était en train de faire une mise en scène de théâtre lorsque l’une de ses proches l’a appelée pour lui dire qu’elle allait avoir un enfant. Elle savait que cette personne était engagée dans le processus de l’adoption, et les services venaient de l’appeler. Elle était alors paniquée, c’était brutal, c’était fort pour elle et cela a donné naissance à tout un questionnement chez la réalisatrice. Elle voulait comprendre pourquoi cela créait tant d’électricité, pourquoi les gens la prévenaient au dernier moment, d’où venait ce bébé… Et ça l’a « allumée ». Elle a voulu savoir ce qu’étaient l’origine et le protocole qui avaient conduit à cet appel.
Jeanne Herry avait un contact dans l’adoption qui était à Brest, elles ont échangé au téléphone et à la suite d’une invitation, elle est allée rencontrer les professionnels lors de quatre voyages. La documentation fut assez lourde, car c’est difficile de comprendre qui fait quoi précisément et là où s’arrête la responsabilité de chacun. Toutefois, la réalisatrice trouvait cela passionnant. Elle apprenait beaucoup sur son pays, sur ses lois et sur elle-même. Elle sentait également un terreau fertile très fort pour écrire de la fiction, ainsi qu'un moment de l'adoption peu connu et documenté.
Le sujet de l’adoption est souvent évoqué à propos de la recherche des origines. Jeanne Herry voulait traiter cette origine, ce moment assez court où un enfant va passer « des bras de l’une au bras de l’autre. En passant par tous ses bras-là qui vont l’amener jusque bon port ». Et plus elle avançait dans ses recherches, plus la réalisatrice s’est rendu compte à quel point les enjeux étaient élevés pour tout le monde et que parvenir à faire arriver ce nourrisson à bon port est un vrai triomphe du collectif. Elle a aussi pris conscience qu’il y avait des scènes à faire partout : des adultes qui parlent au bébé, c’est un travail intéressant pour les acteurs.
Le choix de la scène d’ouverture
La scène d’ouverture a été pensée dès l’écriture comme telle, car elle était autobiographique et que le film était arrivé à la réalisatrice par cet intermédiaire. Mais il y avait un doute. Cela lui semblait être une bonne entrée. Elle ne voulait pas partir sur le suspense, mais plus sur un procédé à la Colombo où le spectateur sait déjà comment ça se termine et se pose la question « comment ? ». C’était également pour elle l’occasion d’introduire le personnage d’Élodie Bouchez (Alice) qui allait ensuite être absent pendant plus de quarante minutes. Il fallait jouer sur deux temporalités : celle très brève du bébé et celle beaucoup plus longue de la mère et du processus d’adoption. Cette séquence donne le ton du film, au niveau de la musique et de l'état d'esprit du personnage.
Tourner avec des bébés
Pour Jeanne Herry, il était essentiel de tourner avec de vrais nourrissons, c’est sur ce postulat qu’elle a bâti tout son film. Elle précise que ce n’était pas un enfant, ce n’était même pas un bébé, mais un nourrisson. Il s’agit du moment par lequel tout le monde est passé et qui est le moment où nous sommes le plus fragile, mais aussi le plus expressif. « Si on prend du plaisir à regarder un nourrisson, c’est un petit peu comme un feu de cheminée, c’est assez hypnotique, on peut passer du temps à la regarder. » C’est donc pour cela qu’elle est allée tourner en Belgique, où les normes sont plus souples qu’en France (qui exige que le bébé soit âgé de plus de trois mois). Il n’était pas possible économiquement de tourner pendant 3 mois, ils ont donc déterminé trois âges pour Théo : autour d’une semaine, puis entre une semaine et trois semaines et, après l’ellipse, un Théo de deux mois/deux mois et demi.
Travailler avec les bébés représente beaucoup d’anticipation, un gros travail pour les assistants afin de trouver les bons bébés. Et comme en France, ils n’ont le droit de tourner qu’une heure avec un bébé, il y a une vraie tension, une sorte de poids. Ils tournaient, ils tournaient, et dès que la réalisatrice avait la bonne ambiance, la bonne météo, elle tournait très vite et c’était bon. Au final, il y a eu beaucoup de bébés concernés mais très peu ont tournés. « L’avantage avec les bébés, c’est que si ça ne va pas, on le sent, on le voit et on l’entend toute suite. » Tourner avec des bébés a permis de faire un tournage très doux et très respectueux. Le mot d’ordre, pour les interprètes du film, est qu’ils croient à ce qu’ils disent quand ils déclarent que les bébés ressentent et épongent tout et donc qu’il faut être accueillant et doux avec eux.
Il a fallu être vigilant, attentif, bienveillant et détendu au tournage. Les enfants et les adultes étaient très précieux pour la réalisatrice, elle ne voulait pas se « foirer » donc elle a été très vigilante à l’écriture. Elle ne sait pas si elle sait faire des bonnes images, mais elle sait qu’elle sait travailler sur la sensation et qu’elle peut faire passer des choses aux gens par la sensation. Et les bébés font passer de la sensation.
La communication “parfaite” entre les nourrissons et les acteurs vient de la magie du montage. En effet, pour les « moments forts », comme ceux où Élodie Bouchez, Sandrine Kiberlain ou Clotilde Monet interagissent avec le bébé, la réalisatrice n’avait pas envie de traumatiser trop de nourrissons. Les séquences ont donc été tournées avec des poupées. Le contrechamp est tourné avec de véritables bébés, et la magie du cinéma opère. Cela dit elle souligne le talent des interprètes pour leur performance devant une poupée, même très réaliste. Jeanne Herry raconte qu’aujourd’hui Élodie Bouchez ne se souvient pas que, pour la scène où elle fait sa déclaration de rencontre au bébé, elle parlait à une poupée.
Le casting
Jeanne Herry raconte qu’elle a écrit en pensant à Gilles Lellouche et à plusieurs actrices avec qui elle avait déjà travaillé : Olivia Côte, Sandrine Kiberlain, Clotilde Mollet, Stéfi Celma et Élodie Bouchez. Elle dit avoir eu la chance que tous acceptent.
La réalisatrice reprend les mots d’Élodie Bouchez qui lui disait que, pour ce rôle, elle avait eu l’impression de passer des haies, de sauter des obstacles. Elle a le parcours émotionnel le plus riche. Elle savait que ce personnage allait être une cocotte-minute d’émotions et qu’elle ne pourrait pas toutes les jouer en même temps sous peine d’avoir un bouillon “dégueulasse”. Il fallait donc qu’elle passe d’une couleur franche à une autre. Elle aurait pu avoir une petite liste avec des émotions à cocher.
La réalisatrice livre une anecdote sur la séquence du bain et la petite blague « névrotique de possessivité et de jalousie » de Gilles Lellouche qui passe mal : cette séquence a été tournée au deuxième ou troisième jour de tournage d’Élodie Bouchez, donc c’était l’occasion pour la réalisatrice de voir si elle avait sélectionné la bonne actrice. La comédienne se lance alors dans cette séquence complètement à fleur de peau et, à la première prise, elle joue cette espèce de panique. Après avoir coupé, la réalisatrice se souvient d’avoir regardé son chef opérateur puis Gilles Lellouche avec de grands yeux et restée bouche-bée avant de se féliciter.
La réalisatrice a pensé directement à Gilles Lellouche, pour mettre un homme dans ce monde de femmes, qui plus est un homme qui a représenté une certaine image de la virilité un peu brute. Elle aime les groupes de femmes, mais elle n’a rien contre les hommes. Elle a fait ce choix pour les besoins de la fiction, car elle trouvait ce choix fort. Puis elle s’est amusée à l’écriture pour créer un personnage masculin fort. Elle conçoit le personnage de Jean comme un idéal. Et elle a pensé à Gilles Lellouche tout de suite, à l’écriture, sans le connaître, car elle ne voyait pas beaucoup d’acteurs capable de jouer ce rôle. Elle explique également qu’il y a un aspect ludique pour elle, à l’écriture, de mettre un homme qui a incarné la virilité absolue en France dans un rôle comme celui-là. C’était un choix judicieux et payant visuellement pour elle. L’image d’un homme avec un bébé est toujours une image forte.
Jeanne Herry connaissait Clotilde Mollet du théâtre et son jeu la fascine. Elle a en plus un naturel très décalé qui renforce cette fascination. Et c’est donc pour cela qu’elle l’a choisie et qu’elle est très satisfaite du résultat dans le jeu de cette partition à la fois très procédurière, mais également très forte émotionnellement.
Déjà présente dans "Elle l’adore", le premier long-métrage de la réalisatrice, Sandrine Kiberlain campe ici une femme forte, dont la vie part à vau-l’eau et qui mange des bonbons, sans rien laisser paraître. La réalisatrice explique que l’origine des bonbons est double. La première version du scénario, qui ne contenait que des noms de femmes, était assez pénible à lire et il a donc fallu trouver des petites caractéristiques pour situer les personnages. L’autre origine est que la réalisatrice, qui voulait retravailler avec Sandrine Kiberlain, lui avait demandé de lui faire une liste des rôles qu’elle aimerait bien jouer. Dans cette liste, il y avait une femme de pouvoir qui cache une addiction. La réalisatrice a coupé le pouvoir et, pour montrer qu’elle était au bout du rouleau, elle a cherché différents types d’addictions, comme l’alcool ou la drogue, mais elle a préféré se rabattre sur une addiction moins usitée qui est celle au sucre. Elle explique aussi que, comme Sandrine Kiberlain a beaucoup de cachet, la mettre avec un chewing-gum crée un effet particulier. Elle prend l’exemple de Brad Pitt qui adore passer son temps à manger des aliments très gras qui l’empêchent le plus de parler, car cela donne de la vie, de la profondeur et du corps à un personnage.
Thomas Chapelle Envoyer un message au rédacteur