INTERVIEW
PRÉSIDENTS
Anne Fontaine
réalisatrice et scénaristeEn sortant juste après la réouverture des cinémas sont nouveau film intitulés « Présidents« , Anne Fontaine a surpris tout le monde. D’abord par la légèreté de son propos puisqu’il s’agit d’une comédie autour de François Hollande et Nicolas Sarkozy, décidant de s’allier pour reconquérir le pouvoir, mais aussi par sa capacité à tirer le meilleur de Jean Dujardin et Grégory Gadebois. Elle est venue à Lyon rencontre les journalistes, peu avant la sortie du film.
Un scénario original qui prend des libertés
Il est bien légitime, à la vision de "Présidents", de ce demander à quel point, comme il s’agit d’un scénario original, Anne Fontaine a pu se documenter sur ces deux personnalités bien connues des Français. La réalisatrice indique notamment « qu’elle n’avait pas lu le livre de Yasmina Reza » sur Nicolas Sarkozy (L’Aube le soir ou la nuit). Elle estime que ceux-ci alternent entre leurs modèles et un autre personnage. Car elle a « vécu avec ses personnages de manière quasi quotidienne » et a de plus mêlé à l’observation ou à leur image, des « souvenirs qu’elle avait elle-même sur ces deux personnalités ».
Un nom devenu obsession : Macron
Si le nom de Le Pen n’est quasiment jamais prononcé, celui d’Emmanuel Macron, clairement nommé, était amusant à tourner en obsession pour les deux personnages. Il entraîne même la réactivité immédiate de Hollande, comme un déclencheur. Et c’est donc logiquement que « c’est finalement devenu une sorte de concept ».
Elle a écrit le scénario durant le premier confinement, à un moment où il y avait alors quelque chose de fort « lié à l’incertitude de l’avenir ». Puis elle l’a terminé et ils ont tourné à la campagne en Lozère pendant le second confinement, où là elle a pu un peu plus se lâcher. Car elle avait alors envie de quelque chose de joyeux, d’une comédie.
Des entourages qui n’ont pas été prévenus
Pour François Hollande, elle l’a rencontré avant le tournage. Il a parlé surtout de la Corrèze de manière très chaleureuse et il voulait savoir la fin ! Pour Sarkozy, ça c’est fait plus tard, autour d’un thé, avec Jean Dujardin.
Pour les personnages des deux femmes, elle a eu l’idée de la vétérinaire comme d’une femme concrète, équilibrée, qui ne soit pas dans la représentation. Et c’est le petit chien de Nicolas qui permettait de faire le lien. Quant au personnage de Carla Bruni, cela l’amusait de mettre entre ses mains « une chanson nihiliste, avec des paroles un peu déroutantes », et d’en faire « une femme qui est de gauche... mais qui ne sait pas pourquoi ». Ces deux personnages arrivent à un moment important du film et ils relancent le sujet. Cela l’amusait aussi de mettre en les mains d’une des deux la biographie de Charles De Gaulle, alors qu’on s’attendrait à ce que ce soit l’homme qui la lise. Cela crée un contraste assez inattendu, d’autant plus qu’elle est gracile et légère.
Comme le souligne un autre journaliste, il y a aussi deux personnages importants que sont les gardes du corps. Elle confirme que, tels des confidents, ce sont « des personnes avec lesquelles les hommes politiques partagent beaucoup ».
Une addiction au pouvoir au cœur d’un film apolitique
Certes, elle met en évidence dans son scénario, « une addiction au pouvoir » qui est tellement forte que « quand ça s’arrête il y a comme un vide qui apparaît comme ingérable ». Dans le film justement, le personnage de Nicolas est « dans cette zone dépressive ». « Il a l’impression de ne pas être capable de vivre dans les choses classiques », comme ne serait-ce que passer l’aspirateur.
Pour autant elle n’a pas souhaité faire un film partisan. Mais pour elle tout film est politique. Ici finalement c’est le rapprochement humain qui caractérise cette rencontre de ces deux personnages. Interrogée dans la foulée sur la présence, à la toute fin du film, d’une chanson écrite par Charles Aznavour, mais interprétée par Thierry le Luron, elle avoue qu’elle n’avait « d’abord pas reconnu Le Luron » et indique qu’il s’agissait là d’un dispositif ludique, et que « cette chanson est décorrélée de tout message politique ». Elle insiste d’ailleurs sur le fait qu’elle n’est « pas quelqu’un qui fonctionne sur l’idéologie, ni en mettant des symboles partout » : elle préfère laisser une part de mystère.
De l’ambiance bon enfant sur le tournage
Selon Anne Fontaine, les photos du générique de fin reflètent parfaitement l’ambiance du tournage. Elle indique que Jean Dujardin « était très impliqué dans ce rôle » et qu’ils ont poussé ses propres problèmes de diction ou de syntaxe, notamment sur la prononciation de « EELV », l’une des scènes les plus drôles du film, avec la séance photos. Pour cette scène justement, il y avait « un vrai photographe qui devait venir sur le tournage », mais elle a finalement été improvisée. Il lui a fait la surprise de parler en allemand et du positionnement droite-gauche. Dujardin a un peu craqué et Gadebois l’a rattrapé (rires).
C’est en tout cas Dujardin lui-même qui a apporté le vocabulaire récurrent comme le terme « tectonique » ou la formule « elle sait pas qui je m’appelle »… Elle revendique ainsi ce côté spontané, même si très écrit, comme tous ses films, mais allant jusque dans les repérages ou le tournage, où elle a pris « des décors tels quels », y compris « les nappes orange du restaurant », ou le gars passant « en bord de chemin avec un tracteur » pour figurer dans le film.
Elle termine l’interview par une anecdote, alors qu’elle répond à une question sur l’imaginaire charrié par des présidents récents (plus que des anciens), en précisant qu’elle n’est pas « une obsédée des présidents », mais que lorsqu’elle avait fait tourner Michel Bouquet, elle lui avait dit qu’ « il aurait fait avant Mitterrand ». Et c’est Guédiguian qui lui offrira ce rôles quelques années plus tard.
Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur