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INTERVIEW

PERFECT DAYS

Wim Wenders

réalisateur et scénariste

Après avoir reçu le Prix Lumière 2023 la veille à l’amphithéâtre 3000 (voir la News signée Amande), le metteur en scène allemand Wim Wenders est venu a l’Institut Lumière donner sa conférence de presse devant un parterre de journaliste locaux, nationaux et internationaux. Un événement forcément marqué par la sortie proche de son nouveau long métrage, « Perfect Days« , dont l’acteur principal a été primé à Cannes, comme de son nouveau documentaire, « Anselm« .

Entretien Interview Rencontre
© Haut et Court

De la dimension musicale dans ses films

Un journaliste fait remarquer qu’il y a toujours eu une dimension musicale très forte dans le cinéma de Wim Wenders, et qu’il s’agit même d’une touche très caractéristique de son œuvre, de "Paris Texas" à "Buena Vista Social Club". Interrogé sur sa rencontre avec Ry Cooder et cette collaboration qui ne s’est pas maintenue, faisant qu’il « n’est pas devenu [son] Nino Rotta », Wim Wenders indique qu’il voulait « qu’il fasse la musique pour "Hammet". Il connaissait ses deux premières disques et savait qu’il n’avait jamais travaillé pour le cinéma. Le studio a dit que « c’était un guitariste », et que eux « voulaient un compositeur… ». Il a donc dû lui dire que ça n’allait pas marcher, mais que la prochaine fois qu’il serait son propre maître [sur un film] ils travailleraient ensemble.

Concernant sa manière de travailler sur ses films, il indique qu’ « il attendait de voir le film dans la salle de montage ». Il a beaucoup aimé, mais voulait des indications. Car il voulait faire comme Miles Davis pour "Ascenseur pour l’échafaud", car il avait lu qu’il avait amené ses musiciens et un ingénieur dans une salle de cinéma, qui jouaient devant l’écran. « Il a fait des répétitions, jusqu’à 20 fois, jusqu’à ce que sa guitare colle parfaitement à l’image ». Lui, avait l’impression que son « film était en train d’être retourné avec la guitare de Ry Cooder ». C’était quelqu’un qui n’écrit pas la musique, il la joue directement.

Un personnage apaisé, comme Wim Wenders aujourd’hui ?

Si le prix Lumière est pour toute une carrière, Wim Wenders, lui, continue à faire des films. Dans "Perfect Days", son personnage semble plus apaisé, alors que ses personnes d’habitude se déplacent beaucoup. Mais Wim Wenders indique qu’il n’est « pas nécessairement apaisé » lui-même. « Le personnage est content, avec une vue assez réduite, tellement tranquille ». Ce qui a fait que le tournage est devenu un peu comme ça. « Le cameraman, qui a tout fait à l’épaule, était très proche [de lui], et s’est adapté à son rythme ». C’était sans doute son film le serein, puisqu’il porte un message sur le fait de « profiter de la vie ». Chaque scène a ainsi été tournée avec seulement des prises en une fois, car l’acteur faisait tout si justement.

Un état du cinéma de 1982, revu par une autre réalisatrice

Il y a 40 ans, Wim Wenders réalisait "Chambre 666", et ces jours-ci soit "Chambre 999", qui évoque l’érosion du cinéma à cause du numérique. Wim Wenders a été « touché que Lubna (Playoust) lui demande de faire une suite ou un remake de son documentaire ». Il était curieux de ce qu’elle allait faire et des réponses qu’elle allait avoir. Il constate qu’elle a obtenu plus de réponses que dans le sien, et se doute que le film a sans doute été plus difficile à monter, à cause de la complexité des réponses. C’était pour lui tellement intense, que quand le film s’est terminé à Cannes, les gens se sont mis à parler entre eux, chacun ayant son propre avis. Il espère que dans 30 ou 40 ans, quelqu’un fera le même type de film, et il souligne au passage avec humour qu’il est « le seul survivant de l’édition de 82 ».

Sur son hommage aux Lumière et à la lumière rendu la veille

« Chaque film a sa propre lumière, il faut la réinventer chaque fois, en fonction de la lumière qu’on veut donner sur des personnages ». La lumière était au début du film "Perfect Days", car c’est à cause de celle-ci que le personnage est devenu qui il est. « Il n’a pas toujours été nettoyeur de toilettes, mais avec une vie qu’on sent très privilégiée ». La boîte de chocolats que lui amène sa sœur, est un cadeau très cher. Et la pauvre petite fille doit retourner dans cette voiture, qui est un peu un piège.

Il indique avoir lui-même raconté à l’acteur « l’histoire » qu’il s’est fait, écrite dans son carnet seulement pour lui. Selon lui, le personnage « était un businessman divorcé et aisé, mais très mécontent de sa vie, qui buvait, trouvait ça vide. Il était au bout du rouleau, chaque nuit dans un autre hôtel avec une autre fille. Un matin il est prêt à se suicider, mais voit un jeu de lumières, le soleil qui passe à travers les feuilles d’un arbre. C’est la première fois qu’on fait attention à cela, même si au Japon on plante des fois l’arbre à côté de la maison exprès pour cet effet. Il se rend compte que cette lumière est seulement pour lui et a fait un très long voyage. Et ça le rend heureux et c’est le début de sa deuxième vie : il devient jardinier et va aimer les arbres ».

Sur ses craintes pour l’Europe

Un journaliste souligne qu’il a évoqué la veille ses craintes pour l’Europe, mais en profite pour lui demander si les résultats des élections en Pologne lui donnent de l’espoir, 30 ans après son film "Lisbonne Story", qui marquait l’ouverture à l’Europe. Wim Wenders se souvient qu’ils avaient alors « fait ce voyage de Berlin à Lisbonne pour filmer un peu de chaque pays, en traversant les frontières sans que personne ne les arrête ». Cela faisait du sens dans l’histoire, car l’ingénieur du son avait besoin aussi d’emmener son matériel… et donc cette voiture.

« Aujourd’hui on recule, les idées ne sont plus qu’économiques ou financières, et l’Europe des citoyens ne semble plus exister. L’Europe est devenue pour beaucoup un de ces ennemis, qui imposent ses lois ou règles, et [les gens] veulent donc redevenir souverains. On a vu la Grèce, le résultat en Angleterre, entendu les voix en Italie et en France aussi. En Hongrie, ils se comportent comme s’ils étaient déjà partis ». Lui-même n’en croyait pas ses yeux l’autre matin, et connaît beaucoup d’amis polonais désespérés de vivre dans un pays aussi réactionnaire. « On oublie le nombre de guerres qu’ont générées ces pensées nationalistes ». Il ajoute que son « prochain film devra sans doute parler de ça ». Mais il est un peu superstitieux, alors il préfère ne pas en parler.

Comprendre le travail de l’autre

Lorsqu’un journaliste l’interroge sur le choix d’un documentaire sur Anselm Kiefer plutôt qu’un autre artiste comme (Gerhard) Richter, Wim Wenders indique qu’il connaît son travail, mais pense qu’il a déjà répondu à toutes les questions au travers de son œuvre. « Alors qu’avec "Anselm" », lui-même n’arrivait pas à comprendre « comment on peut tout peindre… avec une œuvre aussi riche, géante, mais aussi petite ». Il précise d’ailleurs que dans le documentaire, ils n’ont « pas eu le temps de montrer ses aquarelles en petit format ».

« Mais son travail contre l’oubli est au cœur de son œuvre. Il est curieux de tout : philosophie, poésie, les sciences, etc. Il a une énorme bibliothèque » et Wim Wenders s’est rendu compte que tous [les livres] étaient annotés et qu’il avait donc tout lu. « Il a fait des peintures incroyable autour d’une théorie scientifique, mais qui ont été coupés au montage » (le string Theory). Lui, voulait surtout « comprendre comment quelqu’un peut être aussi têtu, et capable de tout peindre ».

Sur l’importance des grèves aux États-Unis

Quand il a tourné "Chambre 666", Godard avait fait une remarque super intéressante. Il avait développé la théorie que les studios américains allaient faire de moins en moins de films, et qu’ils feraient à la fin un seul film, tous en ensemble, que tout le monde sur terre devrait voir. Aujourd'hui on fait des suites (plus de 10 pour les "Fast and Furious"), et « les films sont tellement formatés. Le cinéma perd son imagination », avec « l’idée des grands studios qu’on peut réduire le risque en reprenant les idées déjà utilisées est d’une grande connerie », alors qu’à Hollywood il y a pléthore de créatifs. Le metteur en scène devient un exécuteur, et Wim Wenders trouve que Scorsese a raison dans ses dernières prises de positions. Un autre réalisateur se bat, c’est James Cameron, qui veut continuer à tourner les films en 3D avec plusieurs caméras, alors que les studios voudraient économiser en utilisant une seule caméra et recréer la profondeur avec ordinateur ou IA, « ce qui fait mal aux yeux et au cerveau ».

Beaucoup de réalisateurs se plaignent du risque de générer des scénarios sur la base de deux trois idées et quelques exemples. Pareil pour les acteurs, dont les versions virtuelles ne tombent pas malades. Il « comprend très bien leurs revendications ». Il est « très intéressé sur ce qui va en sortir autour de l’IA, car la question va se poser partout ». Thierry Fremaux ajoute d’ailleurs que « l’enjeu universel de ces grèves est un peu sous-estimée » et que « la France peut regarder avec admiration ce mouvement ».

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

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