INTERVIEW
OGRE
Arnaud Malherbe
Réalisateur et scénaristeC’est dans l’un des salons du Grand hôtel de Gérardmer qu’a accepté de nous recevoir Arnaud Malherbe, le réalisateur et scénariste du film « Ogre« , présenté le samedi soir en compétition.
Un travail sur la peur
Interrogé sur le point de départ du film, entre histoire de monstre caché et histoire de la violence d’un père, Arnaud Malherbe avoue qu’il s’agissait de « quelque chose de beaucoup plus sensible ». Le concept du film est parti « de la peur potentielle d’un enfant dans une maison, la peur de la nuit ». Lui-même, ayant habité à la campagne, c’est quelque chose qu’il connaît.
Il voulait faire un film fantastique français ancré dans une réalité, avec une créature, un film ancré dans le merveilleux. Il précise d’ailleurs que « l’ogre, c’est une figure qui irrigue notre culture, un mythe à la fois français et italien ». Mais il souhaitait ancrer cette légende dans une campagne qu’il connaît, en dessous des radars de la ville, des lumières.
Il souhaitait, de plus, « réaliser une histoire avec un ressenti à hauteur d’enfant ». Essayer de capter comment les gamins voient le monde. Et cette histoire au final, a deux acceptions possibles, ce qui était son souhait
Une parabole, notamment sur les violences familiales
Arnaud Malherbe ne souhaitait pas vraiment traiter de ce sujet là, mais il s’agit néanmoins d’un enjeu dramatique personnel pour les personnages. Il avoue de plus que c’est un sujet qui est proche de lui, via un membre de sa famille. Mais "Ogre" est avant tout pour lui un film sur la peur, celle d’un enfant. Un personnage qui protège avant tout sa mère. Et le spectateur transpose là ce qu’il a lui-même vécu.
Mais pourquoi avoir alors matérialisé le monstre ? L’auteur admet qu’avec son co-scénariste Sebastian Sepulveda, ils se sont beaucoup posé la question. « Au départ il n’était pas incarné, au moins pendant un temps de l’écriture ». Lui-même a réfléchi à des choses « beaucoup plus évocatrices et plus abstraites ». Mais au final, il n’aimait pas faire semblant d’être dans le fantastique. « Il fallait assumer la dimension de merveilleux ».
La forêt comme élément fondamental
La représentation de la forêt justement un rôle important. C’est selon lui « l’espace idéal du conte ». Cela est presque un cliché. Lui-même a passé son enfance à côté de la forêt. C’est « un espace graphiquement très intéressant », mais où les repérages doivent être anticipés. Par exemple pour le lac, il souhaitait un côté mangrove, et celui-ci a été choisi avant.
Beaucoup de choix ont finalement été fait « au service de l’image ». Il admet qu’il y avait chez lui « un désir de plastique », comme « pour obtenir un livre de contes », cela doit être beau, comme dans les recueil des contes de Grimm.
[Attention spoiler] Pour la scène d’apparition de l’ogre, ils ont tourné en nuit américaine, ce que lui ne souhaitait pas au début. Mais cela a donné « une tonalité merveilleuse, une dimension chimérique ».
L’évidence d’un jeune acteur : Giovanni Pucci
Pour le choix du garçon, ils ont vu des centaines d’enfants. Mais avec Giovanni, cela a été une évidence. « Il avait quelque chose de vivant, de malin, d’investi. Il semblait se passer des tas de trucs dans sa tête ». Il devait de plus assurer durant sept semaines de tournage et donc être solide. Il y a eu tout un travail avec lui, notamment « pour le préserver de la peur ». C’est un petit de huit ans qui allait se retrouver face à face avec un gars maquillé en ogre.
Un énorme travail sur le son
Dans le film, la présence de l’ogre, ou son ressenti par l’enfant est justement suggéré à la fois par des bruits gutturaux, des craquements… Selon Arnaud Malherbe, « on a tendance à se priver de raconter quelque chose avec le son ». Lui a eu envie de l’utiliser. La semi surdité du personnage du fils « permet d’incarner sa spécificité ». Il a quelque chose, comme une vision à part. « Cela donnait aussi la possibilité d’éteindre et d’allumer le monde », tout comme « la possibilité de transformation des bruits, avec une dimension sensible augmentée ».
Des boules Quies, il avoue en porter lui-même. Il fallait que ça caractérise l’enfant. Cela accentue selon lui « l’idée du réel et de l’imagination ». Avec son monteur son, ils avaient « envie d’un certain design sonore, avec des raclements, des crachats, des craquements... » Ils s’étaient demandé justement « tout ce qui était détestable ». Ils ont ainsi testé plein de choses, même avec des cacahuètes, et tenté du réambiancement et des ajouts de textures. On peut remarquer que « dans le film il n’y a jamais de vrai silence », le son est une matière en soi. De ce point de vue, Arnaud Malherbe trouve d’ailleurs que « le Teaser du film est très bien : il se suffit à lui-même en terme d’ambiance sonore ».
Un ogre au profil atypique
Interrogé sur un éventuel travail de recherche en terme de mythologie autour de la figure de l’ogre, le réalisateur indique qu’il s’est plutôt basé « sur des souvenirs d’enfance, avec par exemple le conte du Petit Poucet ». Auparavant, il avait déjà réalisé la série "Moloch". Il y avait un garçon avec un ciré. Spontanément, il souhaitait quelque chose de rouge, mais finalement s’est rabattu sur le jaune... qui est aujourd’hui devenu aussi très cliché en soi.
Il s’est souvenu aussi de ses films d’enfance. Pour lui ce sont des choses très ancrées dans la culture française, il voulait « un ogre à l’envers », quelque chose de squelettique. Ici il est hyper fin, il passe son temps à attendre et à faire grossir l’enfant.
D’autres projets en perspective
Invité à s’exprimer sur ses futurs projets, le cinéaste indique qu’il a une série pour OCS intitulée "Rictus", une comédie fantastique dystopique avec Fred Testot, en cours d’écriture. Il va également réaliser un film sur les hussards perdus dans le désert pendant la campagne d’Espagne de Napoléon. Enfin, il a un autre projet en discussion, avec un désir d’un vrai sujet, « quelque chose de plus radical, pour aller chercher une peur plus pure ».
Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur