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INTERVIEW

MISS

Ruben Alves, Alexandre Wetter et Pascale Arbillot

Réalisateur et scénariste, acteur, actrice

C’est dans un coin du restaurant du nouvel Hôtel InterContinental, fraîchement installé dans l’ancien Hôtel Dieu de Lyon, à deux pas de la place Bellecour, que l’équipe du film « Miss » a accepté cette interview en petit comité, face à deux journalistes.

© Warner Bros. France

L’idée de Miss France

Interrogé sur l’idée de départ, entre volonté d’aborder la question du genre et de détourner la figure de Miss France, Ruben Alves répond que « l’idée de Miss France est venue au cours d’un déjeuner alors que l’on recherchait un pitch ». « Le principe a été d’utiliser un milieu extrêmement codifié afin de raconter l’histoire d’un personnage qui lui n’est pas codifié ». « Il s’agissait surtout de retracer un parcours émotionnel » et il lui a fallu pour cela « s’entourer de gens talentueux techniquement », afin « de se rapprocher de quelque chose de vrai », de « très soigné surtout au niveau des décors et des costumes ». Il souligne ainsi l’énorme travail de la costumière (qui « mériterait un Oscar »), comme celui du chef opérateur.

Du fait du partenariat avec Miss France, il fallait bien sûr « garder les codes, le logo, le même type de plateau ». Et ils ont pu d’ailleurs utiliser les éléments d’Endemol et de TF1. S’insérer dans cet univers n’a pas été trop difficile. Pour Pascale Arbillot, les miss, « ce sont comme des enfants que l’on a envie de pousser », et dans ces émissions, « on voit avant tout le beau chez les gens ». Tandis que pour Alexandre Wetter « il s’agit surtout d’avoir une complicité entre toutes », quant à l’entraîneuse (Arbillot, justement) « elle a un côté très maternel ». Et au final certains spectateurs leur ont même dit « que le film les avait réconciliés avec Miss France ».

Revenir toujours au parcours d’Alex

Mais selon Ruben Alves, avant tout, « tout devait partir d’Alex ». Quand on évoque avec lui la parabole de la chrysalide, il complète en indiquant qu’il « s’agit en effet d’un parcours, d’une quête de soi pour le personnage ». La première chose qu’il avait au scénario, c’était la fin, en voulant montrer « qu’il s’est trouvé même » et surtout que c’est en faisant preuve de courage qu’il a finalement gagné. Son « parcours provoque des réactions très fortes dans certaines salles », avec « plein de gens en pleurs ». Des réactions qui touchent beaucoup Alexandre Wetter, précisant qu’à la fin des projections, « les gens ont surtout besoin de témoigner plus que de poser des questions ».

Lui-même avoue qu’il n’a pas été facile de sortir du rôle. Il « a dû laisser passer du temps », il y a eu un vide, car « ce personnage prenait de la place ». Il le compare même subtilement au « départ d’un colocataire ».

Comment Alexandre Wetter est devenu Alex...

Alexandre Wetter a d’abord été dans la comptabilité, ce qu’il avoue avoir été « une mauvaise orientation », puis dans les arts plastiques, et enfin dans le mannequinat, notamment pour Jean-Paul Gaultier. Il raconte qu’il avait cet objectif-là en arrivant à Paris et qu’il a attendu devant la maison Gaultier, a fini par rentrer et dégoter le numéro du directeur de casting. Mais au final, cela n’est arrivé que 3 ou 4 ans plus tard, « le lendemain de la mort de Bowie ».

Ruben ajoute que la rencontre avec Alex s’est faite sur Instagram. Alors qu’il cherchait un personnage androgyne, cette rencontre « l’a poussé à écrire le rôle de Miss avec un côté positif et très solaire », comme peut l’être Alex lui-même.

L’apparition d’Amanda Lear

Dans le film, il y a un clin d’œil, avec l’apparition d’Amanda Lear, à une question « dont elle s’est toujours foutue ». Ruben Alves admet que « c’était encore plus fort aujourd’hui de l’avoir au générique, d’autant que les allusions de nos jours sur les réseaux sociaux » iraient sans doute au tribunal. Il indique qu’il l’avait rencontrée au festival d’Avignon, où elle lui avait dit :« écris-moi un rôle ». Lui avait plein d’idées dans un coin de sa tête, et il les lui a envoyées.

Il ajoute qu’en fait elle ne montre jamais qui elle est, en étant toujours dans l’humour. « Même le jour du tournage elle vous désarçonne », indiquant qu’elle aurait notamment dit : « Faudrait quand même que je le lise un jour ce scénario ». Alexandre Wetter, lui, se souvient qu’elle lui a dit « tu as lu mon livre ? » Face à son hésitation, elle a répondu « Bah non évidemment », puis l’a sorti et lui l’a dédicacé.

Créer une certaine fraternité

Pour le groupe qu’héberge Isabelle Nanty, Ruben Alves « souhaitait un métissage », afin de créer une certaine osmose. Il aime ainsi « les gens qui se recréent des familles, se vannent, se taillent ». Il souhaitait « être dans le non jugement en permanence ».

Alexandre Wetter rajoute que « face à la difficulté, s’isoler » est sans doute « la pire des choses ». Selon lui, le personnage de Miss PACA est une belle image d’ouverture. « Elle devient comme une sœur ». Et le choix de Stéfy Celma, selon Ruben Alves, « permettait d’incarner une sorte de fraternité », même si « ce personnage est là pour le suspense ».

Sur le rôle de la transformation physique

Lorsque l’on évoque le rôle de Thibault de Montalembert en prostituée, Ruben Alves indique qu’il « a découvert sa féminité dans une séquence de la série "Dix Pour cent" où il était torse nu, fumant une cigarette, avec Grégory, l’autre agent ». Il a alors pris rendez-vous avec lui le lendemain et ce fut un vrai défi de le convaincre.

Pascal Arbillot rajoute qu’il « ne s’agit pas d’un truc de performance comme on se transforme ou on se déguise », mais « plus de se plonger dans des univers et de devenir comme un autre ». Plus jeune elle aurait adoré prendre 50 kg pour jouer dans "Monster", une vraie tranche de vie. « La transformation physique ça marche tout de suite et surtout ça protège ».

Loin des terminologies LGBTQ

Ruben Alves affirme enfin avoir « fait un film sur un personnage libre ». Si l’on parlait avec des termes correspondant à des cases « on l’enfermerait dans une case ». Il voulait un personnage le plus universel possible, en se concentrant sur ce qu’il ressent : il n’est pas à l’aise en société, il veut croire à ses rêves…

Alexandre Wetter ajoute que « dans sa vie en propre, il n’a jamais voulu avoir une case » et qu’aujourd’hui « beaucoup de gens veulent l’agglomérer ou pas à une question de genre ». Lui ne se met pas dans une case. Il semble estimer que cela a tendance à tuer les solidarités. L’aspect universel du récit c’est qu’il faut apprendre à vivre ensemble et « au final le personnage d’Alex est entouré de plein de minorités qui se serrent les coudes ».

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

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