INTERVIEW
MISÉRICORDE
Alain Guiraudie
réalisateur-scénariste« Miséricorde« raconte l’histoire de Jérémie, qui retourne dans un village des Cévennes pour assister aux funérailles de son ancien patron, un boulanger. Hébergé chez Martine, la veuve de son ancien employeur, il est accueilli chaleureusement, presque comme un fils. Cependant, sa présence suscite des réactions mitigées parmi les habitants. Ce film se distingue par ses événements inattendus, son style lent et son ambiance mystérieusement absurde.
Rencontre décontractée avec le réalisateur Alain Guiraudie dans le hall de l’Hotêl De Verdun 1882.
Inspirations et influences
Journaliste : D’où vous viennent vos inspirations ?
Alain Guiraudie : Mes inspirations sont d'abord très personnelles, liées à mes propres préoccupations. Ensuite, il y a des influences cinématographiques, notamment le cinéma de genre, qui m’a nourri. Ce film s’inspire aussi de mon livre Pour les siècles des siècles, en particulier pour les personnages, le lieu, et certaines situations. Mais c’est un point de départ : je réinvente ensuite l’histoire. Pour ce film, j'ai terminé l'écriture en quatre mois, et je l'ai présenté à mon producteur après deux mois de travail.
Je suis aussi influencé par la tragédie grecque et la mythologie chrétienne. Le titre reflète d'ailleurs cette dimension. Une spectatrice m'a d'ailleurs dit que cela rappelait l’histoire d’Abel et Caïn. C’est intéressant, même si ce n’était pas intentionnel.
Une comédie-thriller
Journaliste : Vous parlez de comédie-thriller. Pouvez-vous expliquer ?
Alain Guiraudie : J’aime alterner entre comédie et tragédie dans mes films, mélanger légèreté et gravité. Je pense que ce film atteint l’équilibre parfait entre les deux. Dans "Viens, je t’emmène", la comédie dominait ; dans "L’inconnu du lac", c’était le côté sombre. Ici, les éléments de tension, de suspense et de comédie sont bien dosés. Lors de la première à Cannes, j’ai même été surpris de l’ampleur des rires. Il y a des moments de vaudeville, ce qui peut déclencher le rire.
Une ambiance ambiguë et des personnages nuancés
Journaliste : Comment travaillez-vous sur l’ambiguïté de vos personnages ?
Alain Guiraudie : Je commence par intégrer l’ambiguïté dès l’écriture, puis je poursuis ce travail au casting. Je recherche des acteurs qui ont un jeu simple, mais qui peuvent exprimer la complexité et l’ambiguïté de leurs personnages. Félix Kysyl (Jérémie) et Jacques Develay (le curé) sont parfaits dans ce rôle. Félix apporte une subtilité naturelle à Jérémie, tandis que Jacques combine austérité et malice. Pour Catherine Frot, c'est sa candeur qui m’a séduit. Son personnage, Martine, peut paraître à la fois rassurant et troublant. Finalement, au montage, j’ajuste tout pour équilibrer cette ambiguïté.
Un tournage « à l’ancienne »
Journaliste : Pourquoi avez-vous choisi de limiter les prises ?
Alain Guiraudie : Bien que nous tournions en numérique, je préfère une approche « argentique ». Je limite souvent les prises à 5 ou 6. Parfois, il en faut davantage, mais ce n’est pas ma préférence. Ma chef opératrice, Claire Mathon, m'a raconté que certains tournages laissent les caméras numériques tourner du matin au soir, même pendant la mise en place. Ce n’est pas ma méthode. Des réalisateurs comme Serra ou Kechiche utilisent cette approche pour favoriser l’improvisation et le jeu. Moi, je préfère une méthode plus à l’ancienne.
Une œuvre automnale
Journaliste : Pourquoi avoir choisi de tourner en automne ?
Alain Guiraudie : C’est mon premier film d’automne, alors que je filme généralement au printemps ou en été. L’automne, c’est la saison des feuilles mortes, des couleurs rouge et jaune, et de la lumière douce. C'est aussi la saison des défunts avec novembre, ce qui correspond bien au thème du film. L’histoire débute d’ailleurs par un enterrement et se termine dans un cimetière, créant une atmosphère de huis clos où les personnages se retrouvent souvent dans l’immensité de la forêt.
Des solitudes qui se croisent
Journaliste : La solitude est-elle un thème central de vos films ?
Alain Guiraudie : Oui, mes personnages sont souvent solitaires, mais ils recherchent tout de même la présence de l’autre, ou au moins en ont le désir et cherchent le désir aussi. Dans ce film, il y a de nombreux non-dits, de longs silences et des regards significatifs. C’est le seul de mes films avec autant de gros plans : d’habitude, je privilégie les plans larges.
Un jeu d’acteur simple mais complexe
Journaliste : Quelle est votre approche de la direction d’acteur ?
Alain Guiraudie : Je suis plus détendu aujourd’hui sur la simplicité du jeu. Catherine Frot a dit de moi que j’étais comme Robert Bresson. C’est vrai que sur mes premiers films j’étais dogmatique à ce sujet. J’aime les acteurs au jeu simple et sobre. Je suis anti Actor’s Studio. Pour moi, un acteur qui « devient » le personnage, c’est trop prétentieux.
J’aime que mes comédiens gardent une certaine distance avec leurs rôles. Catherine Frot disait dans une interview : « Avec Alain Guiraudie, il ne faut rien faire ». Ce n’est pas totalement vrai, cela demande du travail de rester sobre, simple et sincère. Je crois que la complexité d’un personnage passe par la simplicité de son interprétation.