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INTERVIEW

MIRAÏ, MA PETITE SOEUR

Mamoru Hosoda

réalisateur

Pour parler de son nouveau film « Miraï, ma petite sœur », Mamoru Hosoda évoque d’abord son travail sur les enfants et sur l’enfance.

Entretien Rencontre Conférence Miraï ma petite soeur affiche
© Wild Bunch Distribution

Tout est dans le premier film

Mamoru Hosoda, plein d’humour et d’humilité, rappelle l’adage qui dit que toute l’œuvre d’un réalisateur était contenu dans son premier film. C’est peut-être vrai pour lui, car son premier film, "Dejimon Adventures" (1999), raconte l’histoire d’un petit garçon qui rentre à l’école primaire et de sa de petite sœur de 2 ou 3 ans qui rencontre Dejimon. La structure est très proche de celle de "Miraï".

Fin d’un cycle ?

"Miraï" arrive après différents travaux d’Hosoda et semble achever son cycle sur la famille. En effet, depuis "Summer Wars", dans lequel il traitait des problèmes de l’identité adolescente, mais aussi de la famille étendue, "Les Enfants Loups" s’intéressait à la maternité et"Le Garçon et la Bête" à la paternité. Si "Miraï" est très clairement centré sur les relations frère-sœur et sur la construction de l’identité d’un enfant par rapport à un autre enfant de la même famille. Cependant Hosoda explique qu’il n’est pas conscient de tous ces parallèles quand il crée. Il essaye toujours de faire un film différent de ce qu’il a fait jusqu’alors. C’est pour cela qu’il alterne les films riches en action et en aventure, comme c’était le cas de "Summer Wars" et du "Garçon et la Bête", et des films plus calmes.

Ses enfants comme source d’inspiration

L’idée du film "Miraï" lui est venue à la naissance de sa fille, qui porte d’ailleurs ce prénom. Il a lui-même été enfant unique et il s’est servi de ses propres enfants comme modèles, pour les comportements mais aussi pour le design des personnages. Quand sa fille est née, son fils s’est retrouvé dans une situation inédite. Il a donc imaginé le film comme s'il avait eu lui aussi une petite sœur. Hosoda explique que ses enfants lui apportent énormément et qu’ils lui ont fait comprendre que ce ne sont pas les parents qui apprennent aux enfants, mais bien l’inverse. Les enfants permettent également de se souvenir de son enfance. Pour l’anecdote, Hosoda est le fils d’un ouvrier du rail, qui était machiniste. Il n’a pourtant jamais nourri une grande passion des trains, c’est vraiment avec son fils et sa passion dévorante pour eux qu’il a redécouvert tout un pan de sa culture et qu’il a donc intégré dans le long métrage.

Hosoda explique ensuite la conceptualisation de son film. Bien que le film soit littéral, il est aussi conceptuel. Hosoda explique que partager le point de vue d’un enfant de 4 ans met tout en perspective.

Les trains comme métaphores

Le train est un bon moyen d’entrée dans la conceptualisation très présente au cœur du film. Hosoda explique que pour lui, le train n’était rien d’autre qu’une commodité, un moyen de transport, alors que pour son fils, c’est un objet merveilleux, qui permet d’aller vers des espaces infinis. Le train est aussi une vraie métaphore de l’inspiration. La vision fantasmée du train se trouve également dans la scène de la gare, l’une des séquences les plus travaillées du film, où différentes techniques d’animation se mêlent. En effet, Hosoda explique que, si un adulte se perd dans l’immense gare de Tokyo, ce n’est pas un problème. Il sait lire et il saura retrouver son chemin. Alors que pour un petit enfant, comme l’est Kun, cette gare est un lieu à la fois magique et menaçant. Sa sociabilité se limitant à un nombre de gens très restreint, tous les gens qui peuplent la gare ne sont pas vraiment des humains, c’est pour cela qu’ils ne sont pas animés de la même manière : le visage du démon sur les passages et l’animation en papier découpé pour l’employé des objets trouvés.

La maison : lieu central car lieu de sociabilité

Hosoda choisit de centrer l’action dans la maison pour une raison très précise, c’est le centre du monde d’un enfant de l’âge de Kun, c’est son unique lieu de sociabilité. Il a donc fait un travail très important sur cette maison qui a des demi-étages et qui vient être envahi par ce nouvel être qu’est Miraï.

Hosoda explique qu’il a donné à la maison cette forme nouvelle, ni japonaise ni européenne, pour montrer aux gens que la société japonaise est en train de changer et qu’elle n’est pas aussi traditionaliste qu’on la dépeint souvent. Le père, qui dans la culture classique est celui qui part de la maison pour trouver le travail, est ici remplacé par la mère, pendant que lui reste à la maison pour s’occuper de l’enfant. Bien que le schéma familial de Miraï soit un schéma classique, les dynamiques le sont moins.

Le merveilleux et le quotidien

Le réalisateur explique qu’il construit ses films en fonction les uns des autres. Il est parfois pris d’une envie de film d’action : naissent alors des films comme "Summer Wars" ou "Le Garçon et la Bête". Parfois il a envie de film plus calme : naissent alors des films comme "Miraï". Mais dans tous ses films, le magique, le fantastique, le merveilleux apparaissent au cœur du quotidien. Un passage s’effectue entre deux mondes.

Il se dit très admiratif et très inspiré par le travail d’Isao Takahata, qui est, selon lui, le premier à avoir traité le quotidien de cette façon, et qui par l’insertion du fantastique au sein du quotidien, a su ouvrir l’animation à un monde plus adulte. Hosoda fait cohabiter deux mondes sans cesse dans ses films. La présence d’un autre monde au sein du réel permet à Hosoda de poser la question de l’identité, et de comprendre un peu mieux le monde dans lequel il vit. C’est un schéma très personnel, qu’il fait incarner à ses héros.

La quête de l’identité

"Miraï" a été conçu autour de cette quête de l’identité. En effet, Hosoda explique que quand sa fille est née, tout le monde disait à son fils qu’il était grand frère et qu’il avait une petite sœur, et Hosoda l’a beaucoup observé pour voir comment il comprenait l’arrivée de ce bébé et comment il concevait le lien qui les unissait. C’est ce processus qui est au cœur du film et qui se joue dans la scène de la gare.

Hosoda explique que le prénom Kun n’en est en fait pas un : il s’agit de l’expression pour dire « petit garçon » en japonais, comme « Chan » l’est pour petite fille. Ainsi, étymologiquement, l’histoire de Miraï est celle d’un enfant sans nom qui reçoit l’avenir (Miraï en japonais signifie « l’avenir »). Il doit trouver son identité et il le fera par la construction d’un premier lien social, celui de la famille.

Le Studio Chizu

Mamoru Hosoda a créé le Studio Chizu avec Yuichiro Saito, qui est aujourd’hui le producteur exécutif de la société. Cette fondation était très importante pour lui, non pas pour avoir un studio en tant que tel, mais pour pouvoir faire des films en autonomie et à sa propre initiative ; ces considérations passent avant les enjeux commerciaux.

Aujourd’hui, il explique qu’il propose un projet à un petit comité de cinq personnes composé d’un producteur d’une chaîne de télé, une personne d’une maison d’édition, un distributeur et M. Saïto. Il leur apporte le projet (scénario et storyboard), ils émettent des avis et il lui arrive de modifier ou corriger en fonction de leurs retours. Mais ils ne lui demandent jamais de rogner sur l’artistique pour privilégier le commercial. Il reste toutefois très ouvert aux remarques qui l’aident à faire des choix de mise en scène.

Thomas Chapelle Envoyer un message au rédacteur

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