Festival Que du feu 2024 encart

INTERVIEW

LES PIRES

Romane Gueret

réalisatrice et scénariste

C’est dans le salon de l’hôtel Renoir à Sarlat, que Romane Guéret, l’une des deux réalisatrices du film « Les Pires« , déjà récompensé à Un Certain Regard à Cannes et à Angoulême, est venue à la rencontre des journalistes, quelques jours avant que le film ne soit également doublement primé au Festival de Sarlat.

Entretien Interview Rencontre Romane Gueret co-réalisatrice et co-scénariste du film
© Pyramide Distribution

Un accueil unanime partout où est présenté le film

Elle-même n’était pas à Angoulême (elle était en train d’accoucher). Mais toutes deux vivent « hyper bien » l’accueil fait au film. En fait, elles avaient « peur que le film ne soit pas compris », car c’est « un film qui se tricote », avec « plein de trajectoires et de thématiques différentes ». Et comme c’est de plus un premier film, il y avait forcément une appréhension.

Un tournage dans l’ordre chronologique

Elles ont « essayé au maximum » de tourner dans l’ordre chronologique. C’était « une des grosses questions, d’autant plus qu’[elles] travaillent avec des enfants ». C’est plus simple pour eux de comprendre ce qui se passe au fur et à mesure, même si elles ont dû travailler beaucoup en amont avec eux. Ils connaissaient déjà « la trajectoire émotionnelle de leurs personnages ». Mais elles ont tout fait pour que ce soit possible de tourner dans l’ordre, « mais parfois les contraintes de plan de travail » dépassent ces objectifs.

Il y a cependant eu une « grosse exception » avec les premières séquences du film. « Les castings qui introduisent le film ont été tournés les derniers jours, en équipe réduite ». C’était important pour elles. Elles voulaient « que les enfants soient chargés de tout leur personnage » pour tourner ces séquences de casting. Il s’agit de plus à chaque fois, d’ « un plan séquence, tourné au caméscope ». Et elles n’ont donc gardé que un dixième de ce qui a été tourné alors.

Une mise en abyme permanente

Un journaliste s’interroge fort justement sur la manière qu’ont les enfants, les comédiens, de vivre cette possibilité réelle d’ouverture professionnelle pour eux… Romane précise que « quand on fait un film avec du casting sauvage, on espère toujours qu’il y aura des débouchés pour certains ». Mallory (Lily dans le film), c’était la naissance d’une vocation pour elle. Elle a pris confiance en elle, elle « était comme un poisson dans l’eau ».

Globalement, « leur donner le goût du travail », à ces enfants qui sont « les derniers de la classe voire même déscolarisés », c’était une victoire. Mais c’est important aussi de « les suivre après le tournage » et de « ne pas les lâcher comme ça dans la nature ». Cette désillusion éventuelle, quand tout s’arrête, elles savent quelle souffrance ça peut être. « Là on est resté proches ». Elles aident même Mallory « à travailler ses prochains castings ». Elle a eu un agent assez rapidement, Cannes étant un très important tremplin. Elle va tourner deux films coup sur coup. C’est leur plus grand bonheur. « C’était une petite qui n’allait vraiment pas bien quand on [elles l’ont] rencontrée ».

Mais tout le monde n’adhère pas forcément au jeu. Dans le film, le petit Ryan (joué par Timéo), dit « j’aime pas » tourner au début. Certains ont dit ça, sur le tournage, mais pas aussi directement. Des jeunes comme Timéo sont « tous petits », ce n’est donc pas facile de savoir « ce qu’il pense vraiment, ce qu’il retient de tout ça ». Il vient en tous cas de tourner dans un court métrage, « il s’amuse, et il faut que ça reste ça pour l’instant »…

Mais la réalité a rejoint la fiction par rapport à un des personnages. Elles ont eu le désistement de l’actrice principale deux mois avant le tournage, celle qui devait jouer Lily. « C’est le jeu ». C’est pour ça qu’elles ont voulu « raconter quatre trajectoires d’enfants très différentes ».

Partir d’un casting pour composer des personnages

Elles ont débuté l’écriture par « une grosse phase d’immersion ». Elles sont parties comme si elles allaient faire un casting, mais c’était « pour rencontrer des personnalités, des enfants, des travailleurs sociaux »... Elles avaient besoin d’être en immersion dans leur film rêvé. Après, elles sont revenues avec beaucoup de matière, en retranscrivant les castings.

Parfois un personnage était ainsi la fusion de plusieurs enfants qui les avaient touchées. D’autres fois, un enfant en particulier les avait vraiment inspirées. Du coup, les acteurs arrivent dans un second temps, une fois le scénario écrit de manière très précise. Ils doivent donc se réapproprier le texte. Et elles ont éventuellement fait des ajustements. Mais c’est leur travail d’acteur qui entre en jeu…

La suite logique de leur court métrage "Chasse royale"

Avec Lise, elles se sont rencontrées en faisant du casting sauvage. Lise était directrice de casting depuis peu. Romane avait fait beaucoup de choses (régie, mise en scène…). C’est le hasard qui a fait qu’elles ont casté ensemble des enfants dans un bassin minier (vers Valenciennes) et elles ont eu « deux gros coups de cœur de casting » à cet endroit-là, dans le collège qui s’appelle « chasse royale ».

Tout de suite il s’est passé quelque chose avec ces deux enfants, « ils oublient la caméra, plus rien n’existe ». Le réalisateur qui avait validé le petit garçon, a finalement changé d’avis après l’avoir fait venir à Paris. Elles ont alors décidé d’écrire un film pour les faire jouer tous les deux. Et elles ont fait "Chasse royale". Et c’est l’expérience de réalisatrice sur ce court-métrage qui leur aura donné envie de faire "Les Pires", pour raconter notamment cette expérience de rencontre avec de jeunes acteurs en devenir.

Toute cette « question de la limite de jusqu’où on peut aller pour l’art » les a touchées. C’est un sujet qui est au cœur du film. D’autant plus parce qu’elles travaillent « avec de jeunes enfants, il y a des choses qu’on peut faire et qu’on ne peut pas faire ».

Le titre difficile "Les Pires"

Ce titre « est arrivé assez tard ». Elles avaient appelé le film "Ryan pleure". Mais elles trouvaient que cela spoilait le film. Elles ont alors passé en revue une liste de termes qui venaient. Et « il y a ce moment au casting, où elle dit : mais pourquoi vous prenez que les pires ? ». Et c’est venu de là. Elles sont conscientes cependant que « c’est un titre qui n’est pas facile, qui peut faire peur ».

Dans le casting sauvage, il n’y a pas de règles. Ceux qui ressortent « sont ceux qui sont les plus cinégéniques ». Souvent « ils oublient très vite la caméra, il se foutent de savoir » ce qu’on pense d’eux, d’être à l’heure… « Tout à coup il y a des émotions qui passent ». Et c’est aussi un peu le sujet du film, de « voir comment l’art peut libérer des émotions multiples ».

Romane, elle-même, a réalisé ce film, était l’une des moins bonnes élèves à l’école, et n’a pas fait d’études… Elle a la sensation d’avoir réussi quelque chose elle aussi.

Diriger les enfants en mode bicéphale

Ça n’est pas figé, « mais chacune a ses endroits de facilité ». Lise a fait du théâtre. Romane a été plutôt assistante mise en scène au cinéma. Elles étaient tout le temps en discussion, comme dans « un ping-pong permanent ». Et si aucune ne fait quelque chose sans l’autre, Lise, elle, était plutôt à la direction des acteurs, et Romane était plus proche du chef opérateur, côté mise en scène. Mais comme Lise dirigeait alors que la caméra tournait, dans l’action, Romane pouvait avoir le recul sur l’ensemble de la scène. Mais en préparation et au scénario elles ont tout fait ensemble.

Il paraît que c’est difficile de diriger des enfants. Mais elles vont continuer. Elles sont en cours d’écriture d’un long, après une série sur Arte qui s’appelle "Tu préfères" avec quatre ados, qu’elles souhaitent mettre en scène dans un prochain film. « Ils sont aussi issus de casting sauvage ». Il est vrai que quand elles tournaient les séquences avec Johan (Heldenbergh) « c’était doux ça roulait ». Mais « avec des acteurs professionnels il y a toujours d’autres choses à régler ». Peut-être de l’ego, « mais les jeunes aussi en ont un gros, c’est pas si simple ».

Un tournage dans le Nord qui évoque d’autres cinéastes

Romane pense que le film aurait aussi pu se tourner ailleurs. "Shéhérazade", par exemple, est « un film sur les quartiers, dans le sud, avec un casting sauvage absolument merveilleux ». C’est vrai qu’en France « il y a des endroits qui sont connus pour leurs difficultés sociales ». Cette région là en fait partie. L’énorme crise industrielle se sent dans les décors, et le tournage a eu lieu, en plus, dans le quartier « chaud » de Boulogne sur mer. Mais elles sont en quelque sorte « tombées amoureuses de cet endroit ».

Comme le quartier doit faire l’objet d’une opération de rénovation urbaine, elles se sont dit que « leur film allait être un témoignage de cet endroit ». Mais c’était aussi important de laisser la place à la parole des gens qui trouvent que l’image du quartier rendue, dans les médias notamment, était négative, et qui exprimaient ce risque vis à vis du film.

Globalement ça s’est très bien passé, elles ont travaillé avec les associations de quartiers et les habitants. Et cette fois, elles sont « revenues très vite auprès d’eux », après Cannes. « Elles ont beaucoup échangé, afin qu’ils comprennent l’histoire et ce qu’elles voulaient raconter ». Et « au fur et à mesure, les gens qui étaient assez réticents ou alors timides, se sont finalement intégrés au film ».

Concernant la scène du lâcher de pigeons

« Il y a ce que ça raconte dans le film de Gabriel et ce que ça raconte dans le [leur] ». Il y « avait cette envie de se jouer de toutes les métaphores animales » qu’il y a dans de nombreux films d’auteurs. « L’enfant qui au contact d’un animal semble se découvrir... ». Dans le leur, « c’était quelque chose qui ressemblait finalement les comédiens, le quartier et l’équipe de tournage », sans que ce soit autour d’une fête.

Dans leur film, « il fallait quelque chose de grandiose qui fasse que Ryan dépasse le jugement du quartier ». Et bien sûr il y avait « le challenge technique qui était assez costaud ». Dans le nord « la colombophilie c’est hyper sérieux ». Elles avaient d’ailleurs fait un documentaire sur la colombophilie, « les gens sont passionnés, et les pigeons qui font des courses sont sacrément beaux et bien mieux nourris que certains autres animaux ».

La préparation pour la scène d’amour

Ni Loïc, ni Mallory n’avaient jamais eu affaire à ça. Elles l’ont donc beaucoup préparée avec eux, mais « pas beaucoup répétée concrètement, car il ne fallait pas qu’ils se braquent », ou que ce soit vraiment trop dur. Il fallait qu’ils connaissent le texte très précisément et que le rythme soit parfait, car « dans cette scène il y a plein d’enjeux différents ».

Mallory « y est allé tête baissée, sans vraiment d’angoisse ». Pour Loïc, c’était plutôt compliqué, comme dans le film, d’autant que dans la vie c’est aussi « un jeune homme qui roule un peu des mécaniques ». C’est quelqu’un « qui monte assez facilement dans les tours » quand il stresse. « Il s’est servi de sa colère et de son angoisse pour la scène ». On a rediscuté avec lui après, et il a dit que c’était « un des outils dont on lui avait parlé », de se servir de ses émotions pour réussir à jouer la scène, sans en sortir en claquant les portes.

De manière générale, « ils ont tous réussi à trouver leurs propres outils, qui pouvaient être différents ». Timéo, quand il se sentait fragile et fatigué, arrivait quand même à être dans le contrôle.

L’arrivée de Johan Heldenbergh sur le projet

Johan « est arrivé assez tard sur le projet », alors qu’elles avaient déjà le casting enfants. Ils avaient envie de travailler « avec un acteur qui ne soit pas français, pour s’éloigner de quelque chose de caricatural ». Il était très fort pour apporter de la comédie. Elles ont rencontré trois acteurs et avec Johan « ce fut évident qu’il allait donner tout pour les enfants ».

C’était un rôle un peu ingrat, où elles finissaient toujours sur lui, « alors qu’il avait déjà donné, donné, donné », chaque jour. Sa bienveillance d’acteur professionnel entouré de tous ces enfants, était pour elles extrêmement importante.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

À LIRE ÉGALEMENT