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INTERVIEW

LE LYCÉEN

Christophe Honoré et Paul Kircher

réalisateur-scénariste-acteur, acteur

Le traitement de la couleur et de la musique, le choix des acteurs comme la vision audacieuse développée autour deuil à travers une opposition forte entre Eros (amour charnel mais aussi puissance de vie) et Thanatos (la mort et le chaos) font du film « Le Lycéen » le reflet du bouleversement que peu entraîner la mort d’un être cher. Entre intimité et réflexions sur le cinéma, Christophe Honoré, accompagné de son acteur principal Paul Kircher, nous livre ici les clés d’un film qui parle de ces maux d’ado qu’on porte toute une vie.

Entretien Interview Rencontre Christophe Honoré et Paul Kircher réalisateur scénariste acteur, et acteur du film Le lycéen
© Memento Distribution

Film qui aurait pu apparaître plus tôt dans votre carrière, pourquoi une dizaine de films ont-ils été nécessaire avant de faire "Le lycéen", avant de devenir interprète vous-même et de prendre le rôle de votre père ?

Christophe Honoré : « En tant que cinéaste on a toujours une réserve de films. D’ailleurs, je pense que toute carrière de cinéaste est faite plus par des films jamais tournés que par des films tournés. L’idée de faire un film où les émotions de l’adolescence sont le thème de la fiction est un thème récurrent chez les réalisateurs. J’ai peut-être juste traîné à le faire, car mon adolescence était un moment éprouvant, très marqué par la disparition de mon père. […] À un moment c’est presque le théâtre [avec la pièce Le ciel de Nantes] qui m’a poussé à le faire […] et je crois que c’est l’élan de ce film aussi […]. Pour moi, ils sont construits comme des diptyques.

S’il y a une partie du film qui part de ma mémoire, ce n’est pas du tout un film nostalgique. Je ne voulais pas reconstruire mon adolescence, je voulais juste partir des émotions et essayer de faire le portrait d’un jeune homme d’aujourd’hui. Aujourd’hui, moi je ne suis plus un adolescent, je suis cet espèce de père de famille derrière son volant et pour moi c’était une manière d’assumer. De ne pas être complaisant face à mes souvenirs d’adolescent. Et puis d’un point de vue beaucoup plus personnel, c’était important pour moi d’essayer d’incarner mon père près de 40 ans après ».

Quelle est la place du récit d’apprentissage dans votre création ?

Christophe Honoré : « Je pense que c’est un thème vraiment lié aux cinéastes qui font ce qu’on appelle du cinéma d’auteur […] où les films répondent à la vie d’une manière ou d’une autre. Dans cet esprit là, on a tous une période de notre vie qui est le point de départ de toutes nos fictions. Et pour moi la disgrâce, l’abandon, la fin de l’idylle, le manque… Tout ça caractérise beaucoup de mes personnages et pas seulement Lucas. Dans ce film là, toutes ces thématiques sont sans doute exprimées avec plus de frontalité. Il faut peut-être avoir fait un certain nombre de films pour perdre un peu de pudeur, même si j’espère que le film est pudique malgré tout… pour avoir un peu moins peur des émotions. ».

Est-ce que retranscrire ces émotions difficiles dans un film vous a permis de désengorger votre mémoire ?

Christophe Honoré : « Le cinéma n’est pas quelque chose qui soigne. Chaque film est plutôt comme un nouveau virus que vous attrapez. C’est d’ailleurs de plus en plus difficile, film après film, d’avoir du désir et de faire du cinéma. En revanche, en tant que cinéaste on sait qu’on ne peut pas jouer avec le réel impunément. Quand vous recréez des scènes de votre mémoire avec des acteurs et des caméras, les plans prennent en général la place de vos souvenirs. Il faut accepter de se délester et de perdre ces choses. On a tous un rapport ambivalent à notre mémoire, car par moments elle nous encombre […] et on préférerait oublier, mais en même temps on n’a pas forcément envie de s’en séparer, car il nous constitue et on a l’impression qu’on perdrait quelque chose si on l’effaçait. […]

Quand on est jeune on ne sait que de manière théorique que la « vie est un processus de démolition » [Fitzgerald]. On sait quand on a 20 ans qu’avancer dans la vie c’est perdre de plus en plus et il y a un moment où on se rend compte de ça. Écrire, peindre, faire des films… Les artistes, ont cette chance de pouvoir métamorphoser leurs pertes en chagrin heureux, en faisant quelque chose… Et souvent je me demande comment font les gens qui ne peuvent pas faire ça, car eux aussi doivent affronter les mêmes moments ».

Comment la direction d’acteur s’est-elle passée sur un film si intime ?

Christophe Honoré : « Je n’ai jamais tenté de créer un mimétisme dans la mise en scène ou la direction d’acteur. Je les ai guidés par les dialogues, par les situations que je mets en place, par la manière dont c’est filmé, mais je n’ai jamais dit « moi je n’ai pas fait comme ça ». Dans ma tête j’avais une espèce de discipline de sincérité, mais je n’avais pas du tout l’envie de prendre des modèles trop ressemblants et c’est justement pour ça que j’ai pris Paul. […] Aujourd’hui le film doit beaucoup à la personnalité de Paul et à sa manière dont il a peuplé le film. Ce qui m’intéressait c’est que sa manière d’agir est d’aujourd’hui. Nous, à l’époque, on avait l’impression d’être les personnes les plus ingrates du monde, qu’on ne pouvait pas plaire, on se cachait alors que les jeunes gens d’aujourd’hui ont un charme naturel et une envie de séduction très différente ».

Paul Kircher : « Il n’y a jamais eu de pression sur le fait de reproduire quelque chose qui s’était passé ».

Comment avez-vous travaillé la gestion des émotions de votre personnage, qui transmettent une profonde intériorité tout en étant en décalage constant ?

Paul Kircher : « Avec le travail de la voix-off, j’avais l’impression que c’était un souvenir que je recevais. […] On a commencé par la partie à Paris et même si je savais qu’il y avait la question du deuil, j’ai été plus insouciant. C’est après notre arrivée en Savoie, avec la réunion de toute la famille et l’atmosphère un peu lourde, que j’ai plus ressenti la perte du père. C’était une fin de semaine difficile alors que dans Paris, comme Lucas, j’avais quelque chose d’insouciant.

Il y a un côté très organique dans votre jeu, comment réaliser ce travail ?

Paul Kircher : « Je n’avais pas l’impression de jouer quelque chose sur le tournage, car j’avais une grande liberté et pas besoin d’imiter. Lucas, c’est moi avec d’autres paramètres de vie. J’avais l’impression de jouer mais dans un univers qui était totalement le mien. […] Pour moi, l’essentiel c’était de trouver du sens à la scène ».

Christophe Honoré : «  Ce qui est assez rare chez les acteurs de son âge, c’est que Paul a une aisance pour se mettre dans l’état de la scène immédiatement, ce que d’autres acteurs mettent souvent des années à comprendre. Sur un plateau c’est les états qu’il faut viser et pas le fait de construire un personnage. Sur les états, Paul est très proche de Juliette [Binoche] car c’est une actrice d’états et quand elle est dans une scène, quoi qu’il se passe son état colore tout. Il y a ainsi un sens du présent primordial. […] J’ai l’impression que Paul a envisagé tous les moments du film de la même façon : il a joué les états sans structurer son personnage de manière romanesque […]. Je pense que Paul et Juliette se sont reconnus beaucoup dans cette manière de faire ».

La solitude est omniprésente dans votre film. Le personnage de Paul semble chercher à vivre des émotions fortes pour montrer qu’il y a encore de la vie, pourquoi ?

Christophe Honoré : « La mort rend inconnu tout ce qui était connu. Faire un repas, prendre sa voiture, se déplacer dans sa maison… Toutes ces choses qui tissent notre quotidien et qu’on refait de la même manière sont sujettes à une sensation d’étrangeté absolue qu’on ne comprend pas. On ne reconnaît pas ce qu’on est en train de faire même si c’est la même chose qu’avant. Et c’est ce qui m’intéressait dans le personnage de Lucas qui, par l’escapade à Paris, cherche à partir vers l’inconnu. Le film a une volonté d’être le plus honnête et le plus loyal possible avec son chaos. Lucas ne reconnaît pas ce qui lui arrive et le récit est une façon de mettre de l’ordre et de trouver du sens. (…) Au moment où il admet qu’il n’y a pas de sens à tout ça, il ne peut que se taire avec la tentation de se taire d’une manière radicale [tentative de suicide] puis par son mutisme : « puisque le monde n’a pas de sens je vais cesser de lui en trouver un ».

Le film est très centré sur Paul, mais j’espère qu’il raconte une famille au final. C’est le paradoxe du deuil où il y a une tendresse et une affection exubérante qui ne fait que créer des solitudes. (…) Forcément, pour un personnage adolescent, ce moment de solitude est plus périlleux parce qu’il n’est pas armé face à cette solitude ».

Un mot sur la musique ?

Christophe Honoré : « Il y a deux sortes de musique dans le film. Pour la musique originale, ce qui est assez étonnant, c’est qu’elle a été faite par un compositeur que je n’ai jamais rencontré. C’est un compositeur japonais qui travaille avec un réalisateur chinois que j’aime beaucoup, Jia Zhangke ["Par delà les montagnes"] […]. Je l’ai contacté très peu de temps avant le tournage et malgré tout il a réussi à me faire parvenir quatre thèmes, qu’on a retravaillés ensuite, mais qui sont dans le film et qui apportent une étrangeté, une espèce de cocon au film. Je trouve que cette musique a beaucoup participé à la création du film.

Avec en musique additionnelle, les chansons, je voulais faire une espèce de précipité entre des chansons de mon adolescence dans les années 80’ […] et quelques chansons d’aujourd’hui afin que le film ait l’air intemporel. Je pense même que dans la direction artistique ce désir intemporel se ressent, je voulais des frontières incertaines ».

Le choix d’une affiche avec des couleurs entre le bleu, le rose et le violet annonce une colorimétrie très marquée dans le film. Pourquoi ce choix ?

Christophe Honoré : « La première chose que j’ai dit à mon chef opérateur c’est que je voulais un film à fleur de peau et dans cette idée-là je voulais vraiment qu’on travaille la carnation, ce qui a donné ces espèces de rosés. On a beaucoup réduit la palette de couleurs : il n’y a pas de jaune, très peu de vert… et on est sur une gamme entre le rose pâle, le magenta et le bleu. Ce genre de choix permet à l’équipe de travailler ensemble, c’est comme si le film existait avant d’exister, car ça créait un lien entre tous les acteurs du plateau. […] Je trouve que cette couleur crée une tendresse générale dans le film, c’est une chaleur un peu différente. Ce genre de choix est toujours un pari : jusqu’où vous intervenez sur la représentation du réel ? »

Adam Grassot Envoyer un message au rédacteur

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