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INTERVIEW

LA NUÉE

Just Philippot

réalisateur

Pour son premier long métrage, Just Philippot a donné naissance un film d’anticipation remarquable, présenté en avant-première au Zola à Villeurbanne et gagnant des Prix du public et de la critique au Festival de Gérardmer 2022. Pour Abus de ciné et quelques autres journalistes, il a accepté de revenir sur cette aventure.

Entretien Interview Rencontre Just Philippot réalisateur du film La nuée
© The Jokers - Capricci

Un processus particulier dans le paysage du cinéma français

"La Nuée" est adapté du scénario co-écrit par Jérôme Genevray et Franck Victor. Mais pour son premier film, Just Philippot voulait faire son propre film à partir de cette histoire. Il avait entre autres peur du risque d’étiquette qu’on pouvait lui coller s’il avait « raté un film avec des sauterelles mutantes ». Après son court-métrage "Acide" (2018), il s’aperçoit que celui-ci et "La Nuée" sont des films extrêmement collés à la réalité, et qu’ils contiennent tout ce qu’il pouvait dire sur la nature et sa réponse aux actions des hommes.

Par rapport au scénario initial, il a pu avoir toute liberté. Il y a ainsi eu quelques adaptations, avec par exemple le rôle de Karim (interprété par Sofian Khammes) qu’il voulait comme un nouvel entrepreneur, qui ne soit « pas l’image du viticulteur bedonnant » initial qui était dans le scénario. Il ne fallait cependant « pas faire de mauvais compromis » qui seraient des pactes nuisibles à l’équilibre du film. Mais il lui a fallu « réajuster toutes les séquences à son pied ». En cela il a été « poussé par les producteurs, sans passer par une validation des scénaristes ». Lors des repérages, les scénaristes n’avaient plus leur place, laissant une marge de manœuvre pour créer son propre univers.

Le dispositif, assez unique, a créé une indépendance, une sorte de vitesse. Il s’agissait d’un « sprint à la fois dans l’écriture et la fabrication », comme finalement pour les plates-formes de streaming. Il y a eu une vraie vitesse d’exécution, avec ici « trois ans pour faire le film » alors que pour d’autres 10 ans sont nécessaires à cause de nombreux compromis. Au fond, l’apparition dans le paysage d’un film comme "Grave" de Julia Ducourneau, a peut-être ouvert la porte à des films comme celui-ci qui mélangent les genres (social, horreur, anticipation).

Arriver à se détacher de la mutation des sauterelles...

« Au départ la mutation des sauterelles était au cœur du scénario ». Mais il aurait s’agit d’un autre film, aux effets spéciaux coûteux de changement de taille, de couleur. Ici « c’est juste l’homme qui crée son propre Tchernobyl et les victimes sont des gens juste à côté », notamment les enfants du personnage principal, l’agricultrice. Cette femme s’enfonce dans cette solution et construit tout le reste autour tout son mensonge initial.

La chèvre, par exemple, a été une des modifications du scénario. Dans le scénario original le gamin de huit ans la retrouvait et l’enterrait. Finalement dans le film, il a 12 ans, et sa mère revient en mentant sur le sort de la chèvre. « C’est de ce mensonge qu’elle souffre, notamment dans la voiture, en entendant les cris d’appel de son fils qui recherche sa chèvre ».

pour mettre en scène des instincts

On peut dire que le film parle de « l’instinct de se sauver ». Il s’agissait de quitter la figure du monstre qui alimente l’engrenage. C’était un peu une façon de parler de nous aujourd’hui. Car « dans les années 50 on serait sorti de cela tous unis », alors qu’aujourd’hui « il faut que certains se sacrifient ».

En tant que réalisateur, il souhaitait que l’on voit « la mutation de ces jeunes qui vont devoir devenir adulte » trop rapidement. De même la fin a été modifiée. Pour lui, « la mère devait rester dans lac ». Et cela « a fait l’objet d’un questionnement avec les producteurs », à la fois sur l’impact quasi certain sur les entrées en salle, mais aussi sur « ce que ça transmet en terme de discours », sur « ce qu’on peut encore faire ».

Pour avoir peur, il fallait mettre les personnages en danger. « C’est comme dans James Bond : on est confortablement assis, on sait qu’il ne va rien lui arriver à part peut-être perdre la femme de ses rêves ». Avec "Games of Thrones" « on a pris une claque au niveau de l’écriture » ; on a compris qu’on pouvait tuer un des personnages principaux. Ici aux trois quarts du film, le fils part. En quelque sorte, « elle le sauve en payant le stage de foot » et cela ramène le danger sur la fille.

Le choix de Suliane Brahim comme actrice principale

L’actrice principale, Suliane Brahim peut paraître un choix risque. Elle vient du théâtre, a fait très peu de cinéma, et est un peu hors norme. Just Philippot l’avait vue au théâtre et à la télévision. Mais les autres partenaires du film voulaient un nom connu. Lui préférerait « créer à partir d’une page blanche » et l’idée a été poussée, « y compris pour les autres personnages dans le casting ». Et il y a un autre avantage à choisir quelqu’un de nouveau, qui compose son propre rôle : c’est ainsi qu’ils ont pu « faire d’un scénario qui valait 20 millions d’euros, un film qui a coûté 2,5 millions d’euros »/

Suliane Brahim voulait des sensations. Et « avec 60° dans une serre, il devait forcément lui en donner ». Pour lui, la comédienne devient un peu le souffle du film.

Quelques inspirations et des aspects techniques complexes

Au niveau des références, le metteur en scène indique qu’il y a bien sûr eu "Profils paysans", "Petit paysan", mais aussi "Anaïs s’en va-t-en-guerre" (documentaire) qui est moins connu, ainsi que "Take Shelter" de Jeff Nichols. Tandis que lorsqu’un journaliste évoque "Les oiseaux" d’Hitchcock, il rétorque qu’il s’agit sans doute pour lui plus d’une « référence inconsciente ».

Pour le long plan sur le bras, où elle retire les pâtes des sauterelles, « il fallait montrer que ce personnage de femme était capable de rigueur dans sa folie », de se soigner et de mentir à nouveau derrière. Il voulait « éviter de montrer une attaque de sauterelles qui déchiquetteraient tout ».

La directrice de production avait d’ailleurs prévu 4000 à 5000 sauterelles et non pas 400 000 sauterelles comme dans le scénario. Ils ont « joué sur l’opacité du plastique dans la salle de ponte pour amplifier le nombre sans réellement montrer les sauterelles ». Elles ont aussi été placées dans le décor, avec de la banane pour les exciter, avec également les bandes de plastique pour les fixer.

Comme il y a tout de même des effets spéciaux, « il s’agissait de donner un maximum d’informations aux acteurs pour qu’ils n’aient pas l’impression de surjouer ». Just Philippot avoue d’ailleurs qu’il lui a fallu en ce sens, « être agressif dans la direction d’acteurs, pour obtenir le résultat escompté ». La fin, par exemple, a été tournée au crépuscule, en 4 × 20 minutes. Il faisait tourner la fille, qui peu à peu perdait ses repères, et « se retrouvait tout à coup immergé dans l’action ». Il devait « lui crier dessus, y compris sur l’actrice principale, afin qu’il y ait une sensation de vécu ».

Mais le plus compliqué a été la scène de l’incendie, pour laquelle il y avait un décor bis, avec 10 minutes de feu, ainsi qu’une structure en bois plus légère du dôme sur le plateau. Il ont utilisé trois valeurs de plan différentes et ont eu des problèmes avec deux des caméras lors de la première prise.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

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