INTERVIEW
VOYAGE EN ARMENIE (LE)
Robert Guédiguian est d’abord interrogé sur l’aspect religieux de ce film. Un journaliste lui demande notamment s’il a changé de convictions récemment. Il nous répond que non, il ne s’est pas du tout converti, mais que tourner en Arménie signifie nécessairement filmer des églises. Il…
Robert Guédiguian est d’abord interrogé sur l’aspect religieux de ce film. Un journaliste lui demande notamment s’il a changé de convictions récemment. Il nous répond que non, il ne s’est pas du tout converti, mais que tourner en Arménie signifie nécessairement filmer des églises. Il y a 3 scènes du film qui se déroulent dans des églises, non par conviction, mais parce que ce pays a été le premier a adopter le christianisme comme religion d’Etat, et qu’en tant qu’homme, il est toujours touché par les gens qui ont des convictions, qui croient en quelque chose.
Le réalisateur nous explique ensuite qu’il n’a plus de famille en Arménie, et qu’il est arrivé là-bas sans parler la langue. Maintenant il a appris quelques formules, souvent plus poétiques que réellement utile pour la vie quotidienne. C’est Ariane Ascaride qui est à l’origine du projet de ce film. C’est elle qui a ensuite effectué la grande majorité des repérages et du travail préalable. A la fois parce que le projet lui tenait à cœur, mais aussi car pour des raisons très simples d’emploi du temps, il était impossible à Robert Guédiguian d’y participer : il avait déjà deux films en chantier (Mon père est ingénieur et Le promeneur du champ de mars). Sa famille ne lui parlait pas ou très peu de l’Arménie quand il était enfant, elle avait subi un choc, et préférait oublier que revenir dessus. Le réalisateur nous donne l’exemple des survivants des camps de déportation pour confirmer son propos.
Robert Guédiguian revient alors sur le tournage. Deux de ses acteurs étaient parfaitement bilingues. D’autres ont été choisis sur place, parmi les acteurs professionnels du pays, l’actrice jouant Schaké était une débutante et a désormais intégré le conservatoire… Mais le travail le plus exceptionnel a été effectué par Gérard Meylan qui a travaillé et pris des cours pendant 6 mois pour apprendre l’Arménien, là où il n’en avait besoin que pour deux séquences. L’ensemble du film était prêt lorsqu’ils sont arrivés pour tourner sur place. Il n’y a donc pas eu besoin d’adapter le scénario ou les décors au fil du tournage. En quelques jours, il est lui-même tombé amoureux de l’Arménie. Il va encore sur place maintenant. Chaque fois, il amène les bobines des films produits par sa compagnie (Agat Films & Cie) pour essayer de reconstituer une véritable cinémathèque sur place.
Le réalisateur nous parle alors de l’Arménie. Il nous explique que les Arméniens ont toujours été menacés dans leur histoire. Désormais, ils ont une confiance en eux, une sérénité impressionnante. Ils savent qui ils sont et qui ils seront. C’est un peuple très accueillant, mais plus par stratégie, par nécessité pour leur survie. Malgré cela, les jeunes ont un rapport complètement fantasmagorique aux grandes capitales, et la diaspora est très importante : Los Angeles, Paris, Londres, Moscou… Sorti d’Erevan, la vie est cependant très différente, on est dans une sorte d’autre monde, encore pré-industriel.
Interrogé sur le film Ararat de Atom Egoyan, M. Guédiguian nous confirme qu’il a vu ce film, mais que celui-ci ne l’a pas influencé (« Je suis ininfluençable »). Il trouve l’idée de ce film très belle, mais la reconstitution à l’écran est beaucoup moins réussie, faisant de ce film un film bancal, loin d’être le meilleur d’Egoyan. Le Mont Ararat est le symbole d’un rêve, comme cela est montré dans le film « Le voyage en Arménie ». Les Arméniens n’en font pas une revendication territoriale, mais rêvent simplement de pouvoir y aller tranquillement. C’est surtout un rêve de réconciliation. Le réalisateur pense que cette réconciliation finira par arriver. Même si on assiste à un retour du nationalisme turc d’extrême droite, certains intellectuels reconnaissent déjà le génocide.
Pour Robert Guédiguian, les questions d’identité nationale ont toujours été secondaires à la notion de classe. Mais ces dernières années, avec une certaine dissolution du monde, cette question devient plus importante. Il serait bon que chacun puisse considérer avoir plusieurs identités. Robert Guédiguian ne souhaite pas être le porte parole de l’Arménie. Il intervient uniquement sur des points qui lui tiennent particulièrement à cœur. Il sait de tout façon que ses décisions, ses engagements lui seront reprochés des deux côtés de la barrière.
Son prochain film sera tourné à Marseille. Il est en préparation. En tant que producteur, le film de Lucas Belvaux « La raison du plus faible » a été présenté à Cannes en Compétition et sortira prochainement. Il a également produit le premier film de Jean-Pierre Darroussin : « Le pressentiment ».
Rémy Margage Envoyer un message au rédacteur