INTERVIEW
VISITOR (THE)
Abus de ciné, présent au Festival 2008 du cinéma américain de Deauville, a été très emballé par « The visitor », le film de Tom McCarthy présenté en compétition officielle. On le sentait, on l’espérait, « The visitor » a finalement obtenu le Grand Prix du Jury, plu…
Abus de ciné, présent au Festival 2008 du cinéma américain de Deauville, a été très emballé par « The visitor », le film de Tom McCarthy présenté en compétition officielle. On le sentait, on l’espérait, « The visitor » a finalement obtenu le Grand Prix du Jury, plus haute distinction du festival. Mais avant la cérémonie de clôture, Abus de ciné a fait des pieds et des mains pour rencontrer le réalisateur et son actrice vedette, Hiam Habbass, « comédienne palestinienne née en Israël et vivant en France », selon la formule qu'elle préfère. Samedi 13 septembre nous porta chance puisque nous fûmes conviés à l’hôtel Normandy, dans le courant de l’après-midi, pour une interview en privé avec nos deux chouchous du festival !
Nous les attendons un peu stressés mais débordants de questions ! Et puis Tom McCarthy nous rejoint à notre table sortant tout juste d’un entretien (il a l’air de les enchaîner depuis qu’il s’est levé ce matin !). Après une brève présentation, l’interview peut commencer.
Abusdeciné :
Vous reste t-il encore un peu de voix après tous ces entretiens ?
Tom McCarthy :
Oui, un petit peu. C’est plus dur aux Etats-Unis quand il faut aller de ville en ville rencontrer la presse locale. C’est tuant, 17 jours d’affilée ! En plus ce n’est pas comme ici où il y a beaucoup de journalistes qui posent des questions assez intelligentes ! Il y a des villes où on a envie de se tuer comme par exemple à Dallas où une femme qui écrit dans une presse assez populaire m’a demandé :
- Alors, pourquoi avez-vous choisi ce script ?
- Parce que je l’ai écrit !
- Ah bien bien. Deuxième question : quel personnage jouez-vous dans le film ?
- Je ne joue pas dans le film, je suis le réalisateur !
Elle, pas embarrassée du tout :
- Excellent ! [il mime la journaliste qui écrit consciencieusement] pas – dans – le – film.
Et là je me demande si c’est bien sérieux ! De toute façon je hais Dallas, je hais le Texas… Etre ici et répondre à vos questions c’est très différent !... Donc vous voulez savoir comment je m’appelle ? [rires]
Abusdeciné :
Non ! Bravo pour votre film, on a le sentiment que ça s’annonce bien pour vous demain, à la remise des prix !
Tom McCarthy : [en riant]
Ne me donnez pas trop d’espoir. Sérieusement, Hiam et moi en parlions ce matin, nous étions assez anxieux à l’idée de présenter ce film au festival de Deauville. Parce que d’une part elle [Hiam] est française et aimerait avoir un bon accueil en France et, d’autre part, parce que j’ai été beaucoup inspiré par le cinéma français que j’admire énormément et je n’avais jamais assisté à la présentation d’un de mes films en France. Quand on est allé à la projection, j’ai dit à Hiam « Je suis vraiment très nerveux » et elle m’a répondu « Mon cœur bat si fort ! ». Et j’ai ajouté « Dans une minute je vais aller sur scène et parler français, ça va être un désastre ! » Mais finalement ça s’est très bien passé. C’est super les festivals, pas seulement du point de vue des journalistes, mais aussi parce que ça permet d’avoir le ressenti des spectateurs et nous avons clairement senti que l’ambiance était très chaleureuse. J’étais beaucoup plus en paix après ! On a bien fait notre boulot.
Abusdeciné :
Est-ce que votre film aurait été le même si les événements du 11 septembre n’avaient pas eu lieu ?
Tom McCarthy :
Non, probablement pas. Mais au-delà du 11/09 c’est aussi l’administration Bush qui fait la différence. J’ai commencé à écrire mon script après la deuxième élection présidentielle [réélection de Georges W. Bush fin 2004] quand je me suis demandé « Mais p*****, qui sont ces gens qui ont voté pour ce type ? » Vraiment c’était l’incrédulité totale, vous regardez autour de vous et vous haïssez tout le monde pour ça. Même si j’habite à New York et que la plupart des gens autour de moi n’ont pas voté Bush, ça m’a fait très mal sur le coup. Et ce film reflète beaucoup ce sentiment.
Le film commence comme « The station agent » [son premier film en tant que réalisateur] : trois personnes se rencontrent et une amitié naît. Mais ce qui aurait peu être un film léger sur un groupe d’amis dévie sur un film plus dur où la réalité contemporaine fait surface et prend le dessus. On se dit « Ok, c’est la réalité dans laquelle nous vivons. » Plus spécifiquement, quand Walter explose à la fin dans le centre de détention, ce sont ma propre révolte, ma rage et ma frustration qui sont exprimées, face à ce sentiment d’impuissance. Ces gens qui me représentent à la face du monde, Bush et son administration, ne me représentent en fait pas moi et je ne veux pas leur être associé. Je suis triste que mon pays soit vu de cette façon par le reste du monde. Mais, vous avez, vous aussi, vos problèmes à gérer de ce côté-là ! [rires] Malheureusement nos problèmes deviennent les problèmes de tout le monde.
Abusdeciné :
Les élections présidentielles américaines sont, en effet, très suivies ici en France…
Tom McCarthy :
Bien sûr ! Je viens ici et tout le monde me dit : « Vraiment ? McCain et Palin, c’est possible ça ? » Mon dieu, mais c’est comme une blague, c’est presque Shakespearien ! Et ce qui fait vraiment peur, c’est qu’on entend des gens aux Etats-Unis dire de Palin « En fait, je l’aime assez finalement, elle est pas si mauvaise. » On a envie de leur répondre « Vous êtes malades ! On devrait vous enlever le cerveau ! » C’est totalement malsain, c’est fou cette histoire. Si ce n’était pas si effrayant et si triste, ça en serait vraiment très drôle…
Abusdeciné :
En France, le Président Nicolas Sarkozy a créé le premier ministère de l’immigration, qui a notamment dérivé avec l’instauration d’un système de quotas de sans-papiers à expulser. Comment cela se passe-t-il aux Etats-Unis ?
Tom McCarthy :
ça [la politique d’immigration américaine] n’est pas très connu du public américain. Chez nous, depuis le 11/09 il y a eu des changements majeurs. Avant c’était plutôt une politique du « laisser faire » en terme d’immigration. Les lois n’étaient pas franchement appliquées. [Hiam Abbas arrive à notre table] Avant les immigrés étaient considérés comme une force de travail qui soutenait l’économie, mais maintenant c’est plutôt « Il faut qu’ils partent ». Le problème c’est que c’est assez peu visible et la plupart des citoyens américains ne connaissent pas la réalité des choses. Ce qui se passe en France est mauvais, mais au moins vous savez ce qui se passe. Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis. La majorité des américains, par exemple, ne savent même pas qu’il existe des centres de détention. Dans mon film, je m’efforce d’en montrer un…
Hiam Abbas :
ça n’est pas ton film mais le mien ! [rires]
Tom McCarthy :
J’ai vraiment dit « mon » film ? Quelle maladresse !
Abusdeciné :
Hiam, au sujet du ministère de l’immigration en France, y a-t-il un rapport avec la situation américaine ?
Hiam Abbas :
Vous attaquez fort dites donc ! Je pense que c’est très triste ce qui se passe en ce moment. Je ne pense pas que la situation soit pire aux Etats-Unis qu’en France ! Je trouve qu’en France c’est en train de devenir très grave. Moi, ma réponse, elle serait dans l’humain. On n’a pas le droit de faire des lois pour empêcher quelqu’un de vivre là où il se sent bien. Les gens qui arrivent ici, si vous voulez l’analyser, c’est à cause d’un régime qui les a colonisés pendant je ne sais combien de temps, ce sont des gens qui n’arrivent pas à manger chez eux, à exister chez eux pour des raisons politiques. Les gens ne viennent pas en France parce que c’est joli ! Il y a une raison et cette raison doit être traitée. On la traite à mon avis avec les gouvernements sur place, sinon on laisse ces gens exister là où ils sentent qu’ils peuvent mener une vie décente. Vous n’avez pas plus de droit à vivre en France que moi. Je le dis à Monsieur Sarkozy. C’est mon avis et c’est pareil pour les Etats-Unis.
Abusdeciné :
Est-ce que les centres de détention sont vraiment comme vous les avez décrits dans le film ? Sans lumière du jour ?
Tom McCarthy :
Oui.
Abusdeciné :
Tarek, le personnage de votre film est arrêté pour une bête histoire de ticket de métro. Et les problèmes commencent…
Tom McCarthy :
Oui, c’est une des nouveautés de l’administration. Les services de l’immigration sont connectés aux autorités civiles. Donc pour une bête histoire de ticket de parking, par exemple, une personne sans papier sera dénoncée à l’immigration. ça arrive beaucoup. Dans le film, il y a une femme avec un enfant au centre de détention qui tient un bébé devant la glace du parloir. Je l’ai vue en vrai ! Cette femme m’a dit qu’elle habitait aux Etats-Unis depuis 15 ans, qu’elle avait trois enfants, que son mari avait été arrêté pour un excès de vitesse et qu’il allait être déporté dans son pays d’origine. Désormais des familles entières sont éclatées et séparées. Les enfants sont devenus des citoyens américains car nés sur le sol américain, mais quid des parents ? On les renvoie au Mexique ? ça ne peut pas être aussi tranché, il faut trouver une façon plus humaine de gérer ce système.
Abusdeciné :
Dans le film, l’une des phrases qui retient l’attention est celle dite dans le centre de détention : « ça n’est pas juste ! ». Est-ce le seul constat que l’on puisse faire ? Comment le peuple américain pourrait faire bouger les choses d’après vous ?
Tom McCarthy :
Je pense que ce que Walter dit n’est pas forcément le réquisitoire le plus construit. Ce n’est pas un homme habitué à extérioriser sa colère et ses émotions prennent visiblement le dessus sur sa raison. Je pense que cette scène parle de sa révolte plutôt que d’un jugement du système en place. Je suis convaincu qu’il trouve cela injuste car il réalise que le système est inhumain. Et, en tant que citoyen américain, ça ne lui semble pas correct. ça lui parait également anormal, qu’en tant que citoyen, il n’ait pas plus d’information sur le sort réservé aux détenus. Je pense qu’il se sent trahi par son propre gouvernement et que ça lui fait perdre sa réserve.
Pour revenir sur les lois d’immigration, je ne cherche pas, dans mon film, à donner une réponse, une orientation. Certes, il faut des lois et il faut des politiques qui les appliquent. Mais la question est « Comment, concrètement, mettons-nous en place ces lois ? Comment peut-on appliquer ces lois avec plus de dignité, d’humanité et de respect ? » C’est ce que toute société civilisée doit se demander. Le problème présenté dans mon film, touche, non pas les classes sociales riches ou pauvres, mais les classes les plus basses de la société, celles qui sont les moins représentées, qui sont sans assistance juridique. En effet, un drogué américain peut bien poignarder une mère de famille et aller en prison, il aura quand même droit à un avocat commis d’office. Mais si un type immigré, qui vient d’Egypte par exemple, essaye d’accéder à une vie meilleure, la société s’en fout ! Lui, même pour une histoire de ticket de métro, n’aura pas droit à un avocat pour le représenter. Il y a quelque chose qui ne va pas là…
Abusdeciné :
Les quatre comédiens principaux qui portent cette histoire sont tout simplement extraordinaires. Comment s’est passé le casting ? Hiam, savez-vous sur quels critères vous avez été recrutée ?
Hiam Abbas :
J’ai eu un coup de fil de mon agent qui m’a dit qu’il y avait un réalisateur américain qui était en train d’écrire un scénario à Paris et qui voulait me rencontrer. Donc on se voit pendant deux heures dans un café à côté de chez moi. Il me raconte des histoires de New York. Il me parle de sa copine. On parle de choses et d’autres, et notamment d’un personnage auquel il est en train de penser. Il me raconte qu’il y a des appartements vides à New York, que des gens viennent les habiter [Tom lui révèle, l’air de rien, le début du scénario de « The visitor »].
Franchement, je suis sorti du café en me disant « Mais qu’est-ce qu’il me veut ? » [rires] Il m’appelle deux jours après, me dit qu’il part le surlendemain et me demande si on peut se voir une seconde fois. On se revoit et là il avait déjà des questions plus précises : « A votre avis une femme arabe, dans cette situation là, elle agirait comment ? » Et je réalise qu’il a des questions très profondes par rapport à un truc qu’il cherche, mais c’est encore très obscur. Je ne peux pas dire qu’il m’ait, à ce moment là, parlé d’un personnage et proposé un rôle. Il m’a juste dit : « Je suis en train d’écrire, et comme je ne sais pas où ça va me mener, je n’aime pas proposer un rôle à un comédien quand je ne sais pas ce que je vais faire. »
Donc je sors de là-bas, j’appelle mon agent et je lui dis « Mais c’est quoi ça ? » [rires] Et voilà, je patiente à nouveau dans mon coin ! Mais franchement c’était déjà une sacrée rencontre. J’ai rencontré quelqu’un qui m’a beaucoup touché, qui était très humain. Trois mois après, il m’envoie un scénario et je comprends enfin ce qu’il recherche, je comprends son honnêteté et sa véritable sincérité à vouloir faire un personnage qui correspond à quelque chose, qui n’est pas juste un personnage. En fait, il voulait vraiment apprendre la culture arabe qu’il ne maîtrisait pas lui-même, même s’il la connaissait. J’ai beaucoup aimé et j’ai été énormément touchée à la lecture du scénario par les autres personnages et leurs interactions. J’ai vraiment retrouvé dans les personnages toute l’humanité que j’avais découverte en lui. J’ai trouvé une force de narration qui m’a beaucoup touchée et là vous ne pouvez pas dire non.
Abusdeciné :
Pour finir, Tom, aviez-vous vu Hiam dans « Les Citronniers » avant de la contacter pour ce film ?
Hiam Abbas :
Non, j’ai tourné « Les citronniers » [de Eran Riklis] après, même s’il est sorti avant en France.
Tom McCarthy :
Je pense que la première fois que je l’ai vue, c’était dans « Satin rouge » [de Raja Amari]. Je l’avais beaucoup aimée dans ce rôle. Puis je l’ai vue ensuite dans un certain nombre d’autres films… Elle n’arrêtait pas d’apparaître dans ma vie et j’ai fait une fixation. [ironique et rieur]
Hiam Abbas :
Oui, maintenant c’est devenu too much !
Tom McCarthy :
Il faut qu’on coupe le lien !
Hiam Abbas et Tom McCarthy :
Après Deauville, c’est fini !
Et le temps qui nous était imparti pour l’entretien est malheureusement fini aussi… Nous en repartons avec le sentiment d’être privilégiés d’avoir pu passer un peu de temps avec des gens aussi passionnés et aussi humains.
Mathieu Payan Envoyer un message au rédacteur