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INTERVIEW

UN ÉTÉ BRÛLANT

Étrange conférence de presse que celle de « Un été brûlant » de Philippe Garrel, au dernier Festival de Venise. L’auteur, habitué à un accueil favorable sur le Lido, où il a déjà reçu deux prix du meilleur réalisateur, l’un pour « J’entends plus la guitare » en 1991, et l’autre po…

© Wild Bunch Distribution

Étrange conférence de presse que celle de « Un été brûlant » de Philippe Garrel, au dernier Festival de Venise. L'auteur, habitué à un accueil favorable sur le Lido, où il a déjà reçu deux prix du meilleur réalisateur, l'un pour « J'entends plus la guitare » en 1991, et l'autre pour « Les Amants réguliers » en 2005, n'a pas eu très bonne presse pour son nouveau film, mettant en scène son fils, Louis Garrel, et la pulpeuse Monica Bellucci. À la séance de presse, la veille de la conférence, ricanements et sifflets ne furent pas rares. Ambiance.

Le plus significatif d'un certain état d'esprit fut certainement la question d'une journaliste, affirmant que ceux qui avaient hué la veille, n'avaient certainement « pas compris que le film était inspiré du Mépris de Jean-Luc Godard ». Le problème est qu'on peut se poser légitimement la question suivante : est-ce parce qu'un film est inspiré d'un chef d’œuvre, ou qu'il en est le remake, qu'il est forcément bon ? Cette dame pensait certainement cela avant même d'avoir vu le film de Garrel. Il n'empêche que la réponse à cette question est clairement « Non ».

Philippe Garrel déclare pour sa part, que « c'est bien d'avoir des maîtres » ; « comme Leos Carax, on a le même maître ». Il affirme qu'il procède « comme [pour] une peinture », et que pour ses films il « prend l'essence, pas la coquille... ». Il « essaye de peindre des femmes » qui ont une âme. Il y a ainsi des « parties de [son] plateau qui appartiennent entièrement aux femmes... ». Quand on lui dit qu'il fait cependant « toujours des films qui divisent, comme certains autres metteurs en scène », il répond que « le non-conformisme fait que naît le film », que cela « fait partie de [sa] manière d'approcher le cinéma ». Mais il avoue avec un brin de provocation qu'il est « moins fort que Godard », dont certains films étaient systématiquement sifflés. Et revenu à une certaine humilité, il avoue que « peut-être » certains trouvent qu'il n'est « pas à la hauteur ».

Un journaliste souligne justement qu'il se trouve que Louis est un artiste (peintre), moins engagé, alors que l'autre, son ami, qui conte l'histoire, est un jeune homme avec des espoirs civiques. La tension est évidente entre ces deux personnages incarnés par Louis et par Jérôme. Philippe Garrel précise que le « film est dédié à un ami peintre avec qui [il a] travaillé 35 ans de [sa] vie ». Les peintures qu'on voit dans le film « ne sont pas de lui, mais de Gérard Garouste ». Il admet que « ça aurait été trop fétichiste », car dans le fond, le film est « imaginaire, romanesque... ».

Certains journalistes évoquant les difficultés éventuelles de Monica Bellucci pour apparaître nue, surtout après une grossesse. Philippe Garrel indique que s'il fait le nu ou s'il ne le fait pas, on lui « le reproche aussi ». « C'est comme [pour Gustave] Courbet. L'Origine du monde, les gens s'offusquaient, aujourd'hui ça nous fait rire ». « C'est le rapport du peintre à son modèle. À l'académie, on apprenait à dessiner les corps, [dont la longueur faisait] sept fois la tête... ». Aussi, il s'est mis « à deux fois la hauteur de Monica, a reculé à la distance indiquée dans le Traité de Leonard de Vinci », et l'a peinte à sa manière de cinéaste.

Monica Bellucci ajoute que « dès le moment où l'on accepte de travailler avec un metteur en scène, on se confie à lui... À partir de là, il y a une forme d'abandon de l'acteur ». En effet, le tournage a eu lieu « un mois après l'accouchement, un moment de fragilité », mais elle indique s'être « sentie protégée », car elle respecte ce réalisateur, et s'est sentie à l'aise dans « son univers, radical peut-être, et fort ».

Pour ce qui est de l'expérience des interprètes sur le film, Jérôme Robart (qui joue le personnage de Paul) révèle que le tournage a lieu « en continuité », et que Garrel donne « des explications au fur et à mesure ». C'est selon un « procédé particulier », qui fait que le « film ne peut pas se modifier » et qu'il « se construit au niveau de la répétition », puisqu'on « fait une seule prise ». Il compare cela, en différent, à une « sensation qui ressemble à du théâtre ». Céline Sallette ajoute : « Philippe nous a appris beaucoup sur ce qu'est notre travail », indiquant que « le temps passé devant la caméra est du temps de vie, et nous rapproche de la mort ». Le tournage fut pour elle un « immense cadeau ». Quant à Monica Bellucci, elle apprécie que sur un plateau on puisse « prend[re] le temps de répéter, se connaître », de devenir « presque des amis ». Philippe Garrel correspond donc à « une école ». Pour conclure, elle indique que ce fut aussi pour elle l'occasion d'être « témoin du grand amour entre Louis et Philippe », de leur « respect et admiration réciproque ».

Enfin, concernant l'apparition de Maurice Garrel, à la fin du film, l'une des rares scènes émouvantes du film, Philippe Garrel dit qu'elle a été « écrite moitié par [son] père et Louis ». Il a ainsi filmé son père « une dernière fois », comme un fantôme du grand-père que Louis, alité, n'entend pas bien. Son idée était de dessiner « Louis d'une manière onirique, alors que la logique aurait soufflé de faire le contraire ».

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

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