INTERVIEW
TOURNEE
Journaliste :
Comment s’est faite la rencontre avec ces femmes ?
Mathieu Amalric :
Ce n’était pas une idée. C’est parti d’une pulsion, de pas grand chose, de l’envie de travailler avec les mêmes productrices. Puis on cherche ce qui remonte à la surface avec un ami. Un texte de…
Journaliste :
Comment s'est faite la rencontre avec ces femmes ?
Mathieu Amalric :
Ce n'était pas une idée. C'est parti d'une pulsion, de pas grand chose, de l'envie de travailler avec les mêmes productrices. Puis on cherche ce qui remonte à la surface avec un ami. Un texte de Colette arrive. Pourquoi une femme a envie de partir sur les routes, faire la pantomime, jouer avec son corps. Puis on tombe sur une photo, deux femmes avec des corps. Pas ceux des magazines. Et un journaliste qui décrit leurs numéros...
Mais ça n'est pas assez. Il faut une collision, des choses qui se cognent. Il faut quelque chose autour des producteurs, se battre, continuer. Au fond ce sont eux les artistes, les fous, les irresponsables. Moi j'ai fait un peu tous les métiers dans le cinéma. On pense à Paulo Branco. Au départ le personnage s'appelait Paulo. Puis Humbert est décédé, et Paulo lui ira très bien. On a alors le début de quelque chose.
Est-ce que partir est une lâcheté ? Ceux qui restent pensent souvent cela. Ceux qui partent pensent que les autres sont des mous. C'est comme en amitié, chacun est dépositaire des illusions de la jeunesse du groupe. C'est toujours l'autre qui a trahi. Mais dans la réalité tout est plus compliqué, on est loin des salauds de la télé...
Ici un français fantasme l'Amérique et des Américaines fantasment la France. Il y a une sorte d'échange. Faire quelque chose de libre demande étrangement beaucoup de scénario, tout le travail consistant à cacher le scénario. On doit prendre et apprendre les choses au présent, car dans la vie, on ne sait pas ce qui va se passer dans trois minutes et demi.
Journaliste :
Filmer des corps était un challenge...
Mathieu Amalric :
On a beaucoup écrit avant de leur montrer un scénario. Le "dictionnaire de la pornographie", le "dictionnaire de la mort" (Di Falco) nous ont inspirés. Elles, on les a découvertes comme des spectateurs. Chacune a son monde, qui dit beaucoup de l'univers de chacune, notamment au sens politique. J'ai pu voir quelques 200 numéros aux USA, et j'ai forcément été attiré par certains. Je ne voulais pas faire des choix artificiels, ce qui exigeait aussi un budget conséquent en droit musicaux (15%).
Journaliste :
Qu'est-ce que Mimi avait de plus pour que votre personnage en tombe amoureux ?
Mathieu Amalric :
Rien. Elles forment un groupe. Au début, mon personnage ne les regarde pas tant que cela. Il a beaucoup de soucis, il est préoccupé par son business (va-t-elle enlever le soutien-gorge ?). Finalement, on a inventé un groupe. On avait imaginé la participation d'une timide, qui n'y arrive pas encore. On m'a amené Ivy, Dirty et Julie, qui elles, sont très connues à New York. La seconde vient de la danse. Mimi est la seule qui joue de la musique. Un mois et demi avant le tournage, et sans faire de casting (avec ce côté "plais-moi", c'est le pire moyen pour rencontrer, comme dans une fête où vous matez, c’est sûr qu'il ne va rien se passer, car toutes les autres sont prises), on leur a demandé de venir faire un travail de 10 jours de théâtre. On en a profité pour faire des essais de tournage.
Au départ je ne devais pas jouer Joachim. Je leur ai raconté oralement qu'il y en avait une dont je me rapprocherait. Tout en faisant un film de garçons, sur des fantasmes de femmes, quelque chose s'est passé avec Mimi. Cela aurait pu être avec une autre, avec Ivy... mais pas avec la jeune Kitten...
La mise en scène est très proche d'un travail de vampire. Un film, ce n'est pas démocratique. C'est Polanski qui dit que toute l'équipe est contre vous. Et au final, on découvre un film qui est beaucoup plus noir que prévu, à la violence contenue...
Journaliste :
Comment intégrer leurs personnalités dans un scénario ?
Mathieu Amalric :
C'est elles qui sont contagieuses. Joachim vampirise leur énergie, et il se croit protégé, dans son retour au pays. Mais on sent ce qu'elles ont traversé, on a imaginé leurs vies, comme des surimpressions permanentes. On était protégés par la fiction grâce à ces projections de fantasmes de garçons sur elles. Ces actrices jouent un double d'elles-mêmes et elles voulaient logiquement garder leurs noms de scène dans le film.
Journaliste :
Certaines ont-elles eu envie de devenir actrices ?
Mathieu Amalric :
Non. Elles retournent globalement à leurs numéros. Mais il y en a une qui en rêve. Celle qui a encore de l'ambition, Ivy, la jolie brune. Je le sais...
Journaliste :
Et pour les musiques de leurs numéros ?
Mathieu Amalric :
Nous avons eu des problèmes de droits. Pour "Moon River", nous avons obtenu les droits grâce à William Friedkin, qui connaît la productrice Catherine Kennedy, qui a elle-même des relations. Mais nous n'avons pas pu avoir "God bless America" de Dolly Parton. Nous avons dû en faire un plagiat, écrit par le compositeur de "OSS 117", et pour les paroles par Michel Hazanavicius. Elle est chanté par Amandine Bourgeois, la gagnante de la Nouvelle Star.
Journaliste :
Et ces scènes de la station service et du supermarché, vous les avez voulues comme des parenthèses ?
Mathieu Amalric :
Ces scènes étaient là depuis le début, comme des notes suspendues, des choses qu'on traîne de film en film. On n'a pas eu l'autorisation pour tourner sur une autoroute, du coup on a construit les décors le long d'une deux fois deux voies. On a construit cette bulle, comme érotique, mais où l'on ne peut pas toucher. Et puis il y a Aurélie Petit. On trouve du comique seulement ici, autour de la notion d'obéissance à tout prix.
Pour le supermarché, les femmes sont en état d'émoustillement, puis il y a le basculement vers la violence. J'aimais cette idée, que l'admiration pour se transformer en haine et qu'on ne sache pas pourquoi, comme dans une soirée.