INTERVIEW
POTICHE
François Ozon et Catherine Deneuve
Réalisatrice - ActriceJournaliste :
Il y a quelque chose de nouveau dans ce film, en comparaison de vos précédents. C’est la première fois que vous abordez aussi frontalement des questions politiques dans votre cinéma. Alors que jusqu’ici, vous étiez plus allégorique.
François Ozon :
C’est…
Journaliste :
Il y a quelque chose de nouveau dans ce film, en comparaison de vos précédents. C’est la première fois que vous abordez aussi frontalement des questions politiques dans votre cinéma. Alors que jusqu’ici, vous étiez plus allégorique.
François Ozon :
C’est venu naturellement de la pièce de théâtre. Je voulais l’adapter au cinéma mais je ne savais pas trop comment m’y prendre. Le déclenchement a été la campagne présidentielle de 2007 entre Sarkozy et Ségolène Royal. C’était la première fois qu’il y avait une opposition homme-femme et j’ai été surpris par tant de sexisme : d’un certain machisme de la part des hommes, mais aussi d’une misogynie féminine à l’égard de Ségolène Royal. C’est alors que les producteurs «Mandarins» m’ont proposé de faire un film sur Nicolas Sarkozy. Ça ne m’intéressais pas vraiment, par contre je leur ai proposé d’aborder le sujet par l'intermédiaire de «Potiche» qui pouvait ainsi être un film politique.
Journaliste :
C’est une pièce qui se passe en 77 et son sujet est toujours d’actualité. Tout particulièrement ces jours-ci, où se multiplient les mouvements de grève. Avez-vous pensé transposer l’histoire à notre époque ?
François Ozon :
J’y ai pensé effectivement, mais j’ai très vite réalisé que comme les choses n’avaient pas réellement changé, le film n’aurait pas pu être une comédie. Avec les délocalisations, les séquestrations de patron actuelles, il aurait pris une tournure plus dramatique. En le maintenant dans les années 70, je pouvais parler indirectement d’aujourd’hui et garder un ton comique.
Journaliste :
On a le sentiment que vous vous êtes beaucoup amusé à recréer l’époque.
François Ozon :
J’ai connu ces années. J’avais 9 ans en 77, c’est pourquoi je m’identifie totalement aux deux enfants du film. Comme eux, j’avais des Kickers aux semelles rouge et vert, et la coupe au bol. J’avais des souvenirs sur les costumes, sur les coiffures, sur le téléphone de ma grand mère avec de la moquette dessus. C’était plein de détails sur lesquels on s’est amusés. Néanmoins, on a vraiment travaillé à partir d’archives avec la décoratrice et la costumière, puis on a choisi un style pour ne pas être totalement dans le réalisme.
Journaliste :
Justement, on a un plaisir très régressif à regarder «Potiche». N’avez-vous pas eu peur d’avoir fait un film trop générationnel ?
François Ozon :
Je ne me suis pas posé ce genre de questions. Plutôt que régressif, je préférerai le terme «nostalgique». J’avais surtout envie d’être joyeux et de prendre du plaisir en le réalisant.
Journaliste :
J’imagine aussi que cela a du être un grand plaisir pour vous de tourner avec le couple le plus mythique du cinéma français : Catherine Deneuve et Gérard Depardieu ?
François Ozon :
Oui, en plus c’est très pratique, tous les spectateurs ont en tête les autres films de Catherine et Gérard. Ainsi, les faire jouer les vieux amants qui se sont aimés, on y croit tout de suite ! Ce n’était pas très original, mais je savais que ça allait marcher. Par contre, ce fut compliqué de trouver un mari à Catherine.
Catherine Deneuve :
C’est toujours difficile de me trouver un mari !
Journaliste :
Vous êtes un cinéaste très féministe. La plupart de vos films rendent hommage à des actrices.
François Ozon :
J’aime bien raconter l’évolution d’un personnage et que celui-ci connaisse une transformation. Pour moi, c’est plus facile avec les actrices, car souvent les femmes ont du mal à trouver une place dans la société, à s’émanciper.
Journaliste :
Madame Deneuve, vos différents costumes ont-ils influé sur votre façon d’aborder le rôle ?
Catherine Deneuve :
Bien sûr, quand j’ai commencé les essayages, j’ai vu petit à petit le personnage se dessiner. Cela aide beaucoup, car cela joue sur les gestes, la démarche. Quand j’ai essayé le jogging, je savais que je devrais courir en faisant des petits pas. Il était un peu lourd, d’une vraie matière ancienne, et à l’époque, je pense qu’on ne courait pas comme aujourd’hui, très librement…avec les bras. Je savais qu’il fallait courir comme une dame et pas comme une jeune fille… pas comme une biche en fait !
Journaliste :
En plus vous portez des bigoudis.
Catherine Deneuve :
Cette coiffure cassait bien le personnage, presque trop moderne avec son jogging à trois bandes. Les bigoudis dans la petite mousseline beige rappelaient bien l’époque.
Journaliste :
Les autres personnages : la secrétaire et les enfants ont un rôle important dans votre film, alors que ce n’était pas le cas dans la pièce.
François Ozon :
Non, à l’origine ils sont plutôt insignifiants, on peut même dire que ce sont eux les potiches. Ils sont là uniquement pour servir la soupe à Jacqueline Maillan, pour qui la pièce avait été écrite. C’était elle qui avait toutes les bonnes répliques. Dans mon film, j’ai choisi de développer un peu plus ces personnages. Au travers du rôle de la fille, pimbêche et fille à papa, j’ai voulu parler du rapport mère-fille et montrer que la modernité n’était pas forcément du côté où on l’attend. Pour le fils, comme il y avait cette histoire d’inceste dans la pièce, qui heureusement se termine bien, j’ai eu l’idée de la détourner vers des voies un peu… «détournées» !
Journaliste :
La dernière partie, qui concerne la carrière politique de Suzanne, n’existait pas non plus dans la pièce.
François Ozon :
Quand on a lu la pièce, on a senti qu’il fallait un troisième acte. L’histoire se terminait avec Suzanne à la direction de l’usine et elle envoyait balader les deux mecs pour partir en Chine avec le petit-fils du notaire. Je trouvais qu’il manquait quelque chose, donc on a redonné le pouvoir à Fabrice, pour que Suzanne soit encore humiliée et qu’elle ait encore plus envie de s’émanciper en se lançant dans la politique. Il y a une phrase au théâtre où elle dit à Badin, pour le narguer : «un jour je me présenterai». En fait presque tout était dans la pièce, il a suffit simplement de tirer les fils pour développer les choses. La pièce est très bonne, Barillet et Grédy sont de très bons auteurs de comédie qui ont toujours proposé de très beaux rôles aux femmes.