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INTERVIEW

PIÈCE MANQUANTE (LA)

Interview de Nicolas Birkenstock, réalisateur de « La Pièce manquante », son premier long métrage en salles depuis le 19 mars 2014.

Abus de Ciné : « La Pièce manquante » est ton premier long-métrage, comment l’as-tu abordé ?

Nicolas Birkenstock : Mon dernier court mé…

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Interview de Nicolas Birkenstock, réalisateur de "La Pièce manquante", son premier long métrage en salles depuis le 19 mars 2014.

Abus de Ciné : "La Pièce manquante" est ton premier long-métrage, comment l’as-tu abordé ?

Nicolas Birkenstock : Mon dernier court métrage ("Mon miroir", ndlr) datait de 2007. Jamais je n’aurais pensé que ce serait si long. Je me suis vite rendu compte que tout était différent en long métrage. Les personnes qui accompagnent les auteurs dans le court métrage (chaînes de télévision, régions, institutions au CNC) ne sont plus du tout les mêmes. Il n’y a pas de ponts évidents entre le court et le long métrage. Pendant ces quelques années, j’ai donc eu à choisir le bon projet, celui sur lequel j’aurais envie de passer tout mon temps, puis trouver les bons collaborateurs et surtout, aborder ce travail scénaristique, qui sur cent pages n’est plus du tout le même que sur vingt pages. Tous les réalisateurs de courts métrages voient leur premier long comme une fin en soi. Ensuite la fin, c’est d’en faire un deuxième !

Abus de Ciné : Comment s’est fait le choix de ce scénario-là, de ce film-là ?

Nicolas Birkenstock : Je me souviens qu’à l’origine, j’avais l’idée d’une disparition, même si je n’avais pas encore décidé de quelle façon elle allait s’opérer. Elle aurait pu être magique par exemple, comme dans le livre Les Amants du Spoutnik de Murakami que j’aime beaucoup. Après, indirectement, il y avait des thèmes qui me hantaient comme le questionnement sur la famille : à partir de quand une famille n’est plus une famille ? Qu’est-ce qui fait famille ? Est-ce qu’une personne seule avec son enfant constitue une famille ? Je ne pensais pas d’ailleurs à l’époque que tous les débats sur la famille allaient revenir dans l’actualité. J’avais travaillé sur l’absence, celle de la mère ("Le bout des doigts" ou "Mon miroir", ndlr), j’avais parlé de la compulsion des objets et de leur pouvoir d’évocation dans "Pépins Noirs"… et puis, avec mon co-auteur, Carl Lionnet, le projet a pris forme.

Abus de Ciné : Philippe Torreton dit de ton film qu’il pourrait être le « dernier film d’un réalisateur », qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce que faire un film épuré était quelque chose que tu visais ?

Nicolas Birkenstock : C’est tellement précieux de pouvoir faire son film qu’on a parfois l’envie de tout mettre, de faire une sorte d’œuvre ultime. Comme je savais que je n’allais pas avoir une infinité de moyens, je suis parti sur une proposition assez ténue que les conditions financières du film ont renforcée par la suite. Quand on manque d’argent et que le film doit se faire, il faut savoir composer avec. Par exemple, plus il y a de lieux, plus il y a de déplacements et plus c’est coûteux. Il était déjà question d’isoler cette famille, de montrer un père qui contraint ses enfants à rester dans la bulle familiale, on a donc recentré davantage l’histoire à l’intérieur de cette maison, les mouvements à l’extérieur sont devenus plus rares. J’ai aussi supprimé certaines intrigues secondaires. (sourire) Certains personnages ont été enterrés avant l’heure ! Ça donne sans doute quelque chose de plus centré. On peut remarquer que beaucoup de premiers films en France ont les mêmes caractéristiques : peu de lieux, peu de personnages, une durée finale autour d’une heure vingt... Le nouveau cinéma français a souvent cet aspect-là…

Abus de Ciné : Philippe Torreton, un choix dès l’écriture ?

Nicolas Birkenstock : Au tout début de l’écriture, le personnage d’André était plus âgé. C’était un personnage vieillissant, d’un peu plus de soixante ans, qui vivait avec une femme plus jeune que lui, mais ça ne marchait pas. Quand on a commencé à le rajeunir, j’ai pensé à Philippe Torreton, que j’avais eu l’habitude de voir dans des rôles d’hommes forts au caractère trempé, et que j’ai trouvé très beau et vulnérable dans le film "Présumé coupable" (Vincent Garenq, 2011 ndlr),
Je me suis dit que ça pouvait coller. J’avais envie de le voir en père de famille. J’ai ensuite pensé à Lola Dueñas, une actrice espagnole, qui tourne en France depuis quelques années, qu’on a vue chez Almodovar ("Volver", "Étreintes brisées", "Les amants passagers"…) ou Amenábar ("Mar adentro") et que j’avais trouvée fabuleuse dans "Yo Tambien". Il y avait une belle complémentarité avec Philippe Torreton.
Quant à Armande Boulanger, elle s’est démarquée en casting parmi une quinzaine d’adolescentes. C’était sans appel. Elle a un physique assez particulier, et représente une forme d’adolescence qu’on voit peu au cinéma. Sa complémentarité avec Philippe Torreton était là aussi une nécessité : elle était son plus important partenaire de jeu dans le film. On ne choisit jamais ses acteurs isolément les uns des autres.

Abus de Ciné : Et pourquoi cette place dans le film de la culture latino-américaine ?

Nicolas Birkenstock : Je connaissais un peu l’Argentine. J’imaginais que Paula (Lola Duenas, ndlr) était issue d’une famille un peu bourgeoise, francophile comme il en existe beaucoup là-bas, qui avait décidé de venir vivre en France quand elle avait dix-huit ans. Ça lui créait tout un passé lointain. Quand le personnage du privé, joué par Marc Citti, arrive et récapitule tout ce qu’elle a fait, il y a cette part d’imaginaire qui se construit sur des informations que l’on recueille. La situer très loin me permettait de rendre les recherches encore plus compliquées, de plonger cette famille dans ce vide, jusqu’à leur donner le vertige.

Abus de Ciné : C’est un sujet original, un parent qui décide de partir…

Nicolas Birkenstock : On pense souvent que ce sont les hommes qui partent. Si le mari était parti, personne n’y aurait vu aucun problème. Lorsque nous montions le projet, on nous disait qu’une mère ne pouvait pas abandonner ses enfants. Mes recherches ont prouvé le contraire. Et puis les sujets sont volatiles. Ces derniers temps, on a vu beaucoup de femmes en fuite au cinéma : "Lulu femme nue" ou "Elle s’en va", pour les plus récents.

Abus de Ciné : En tout cas, cet étouffement se ressent…

Nicolas Birkenstock : On avait cette séquence supprimée au montage, où André et Paula parlent à la fenêtre. On y apprend qu’ils ont quitté un appartement en ville car elle y étouffait et que là, dans cette grande maison, elle étouffe encore. J’aimais bien cette idée-là. On change l’espace, son cadre de vie, les meubles de place et finalement, rien n’y fait. C’était également une belle scène sur le plan formel. Je me souviens qu’ils se prenaient dans les bras pendant la prise et qu’avec les micros HF, on entendait leurs battements de cœur. Ils avaient ensemble une belle entente d’acteurs. Et puis pour ne pas en dire trop, la scène a finalement été coupée. Lola Duenas portait ça suffisamment en elle déjà, l’idée de quelqu’un qui peut se barrer à tout moment.

Abus de Ciné : C’est aussi un sujet assez grave mais traité avec beaucoup de délicatesse ou de légèreté, c’était un désir de travailler avec cette contradiction ?

Nicolas Birkenstock : J’avais l’idée de faire un film ensoleillé, tourné en plein été, un peu comme si les éléments extérieurs n’avaient aucune emprise sur les événements qui sont eux, tragiques. Emballer tout ça dans quelque chose de très doux et au-delà de ça, faire un film plutôt positif, qui n’est pas un drame, ni un mélodrame. Ce qui touche les personnages est important mais finalement, ça raconte la façon dont ce père, face à ses deux enfants, arrive à sortir la tête de l’eau malgré cette disparition et peut-être même à se redécouvrir grâce à cette disparition.

Abus de Ciné : On sent, en effet, cette volonté de non-drame ou de non-mélodrame, les séquences d’émotions étant très rapidement coupées, un choix par pudeur ?

Nicolas Birkenstock : (sourire) Dans le cas présent, oui. Mais, il ne faut pas trop me pousser car mon grand rêve serait de faire un vrai, beau, grand mélodrame.
Je pense que c’est ce qu’il y a de plus dur. "L’incompris" (Luigi Comencini, ndlr) est un magnifique mélodrame. Le mélo c’est pousser la situation à son maximum jusqu’à frôler le ridicule, mais en s’arrêtant suffisamment tôt pour ne pas en rire. Ici, le film explore des situations à partir de cette disparition, il n’y a pas de place pour le mélo. L’ensemble tient sur quelque chose d’assez délicat. Au montage, on devait faire ce compromis entre la douceur, la délicatesse et l’ennui. Et pour lutter contre l’ennui, il fallait s’arrêter suffisamment tôt pour que le spectateur ne s’installe pas dans chaque séquence.

Abus de Ciné : Comment s’est déroulé ton travail avec les comédiens ?

Nicolas Birkenstock : Pour mes courts métrages, j’avais eu le sentiment de manquer de temps avec les comédiens. Là, j’avais envie de laisser de l’espace.

Abus de Ciné : Avec un travail d’improvisation ? La séquence du déjeuner dans le jardin par exemple ?

Nicolas Birkenstock : Non, tout était très écrit, sauf cette séquence justement du déjeuner dans le jardin qui, elle, n’était pas dialoguée. J’avais noté des lignes de discussions en marge du scénario et ça a été une demi-journée de répétitions pour orchestrer les échanges de chacun. On n’a sorti la caméra qu’en milieu de journée. Quand je vois des scènes de repas de Mike Lee par exemple, qui travaille très en amont avec ses comédiens, c’est impressionnant tellement c’est juste. C’est quelque chose que j’aimerais avoir la possibilité de refaire.

Abus de Ciné : L’entretien touche à sa fin, quelle question aurais-tu aimé que je te pose ?

Nicolas Birkenstock : Porter sans doute une réflexion sur la façon dont on diffuse nos propres films dans notre pays. C’est quelque chose que je découvre et je ne sais pas quoi en penser. C’est toujours un peu étrange quand on essaie de s’adresser à un maximum de gens et qu’on se rend compte que tous les spectateurs ne pourront pas aller voir le film, soit parce qu’il ne passe pas chez eux, soit parce qu’ils ne savent même pas qu’il existe… On a bénéficié d’aides publiques et au moment de la sortie, on se retrouve assez seuls. Est-ce que tous les films doivent sortir ? C’est une vraie question. J’ai l’impression qu’on n’a jamais eu autant de salles de cinéma et que malgré tout, ça n’a jamais été aussi difficile d’exister. Pour qu’un film comme "La Pièce manquante" existe, on doit compter sur l’extrême curiosité de certains spectateurs, et fort heureusement ils existent.

Anne-Claire Jaulin Envoyer un message au rédacteur

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