INTERVIEW
JOURNAL DE FRANCE
La complexité du tri
Selon Claudine Nougaret, arguant que les journalistes ont « cru à la fiction », c’est en fait Raymond Depardon qui a lui-même fait le tri. Sur les quelques 120 heures retrouvées, il lui a fallu en sélectionner 20. Ce fut un travail devant la table de montage qu…
La complexité du tri
Selon Claudine Nougaret, arguant que les journalistes ont « cru à la fiction », c'est en fait Raymond Depardon qui a lui-même fait le tri. Sur les quelques 120 heures retrouvées, il lui a fallu en sélectionner 20. Ce fut un travail devant la table de montage qu'il qualifie lui-même de « long et solitaire ». Il a généré des déceptions mais aussi des surprises, le célèbre photographe retrouvant « des choses [qu'il] ne pensait pas être là » (comme le film passé en douce hors de Prague et « jamais visionné ») et « des bobines [qu'il avait] oubliées », dont « un petit bout de film fait à [leur] rencontre ». Celui-ci lui a pris « 6 mois à plein temps ».
Claudine Nougaret ajoute : « Cela faisait 25 ans qu'il voulait faire cela ». Entre leur arrivée à Clamart en 2002 et la mise au point de la technologie pour « faire un nouveau négatif » à partir des films, il a fini par se décider. Car avec le temps, les dégâts sont nombreux : « le vinaigre vient à bout des pellicules, des boîtes rouillées se dégagent un gaz reconnaissable ». Le regard plein de malice, le réalisateur ajoute : « c’est comme dans les années 50, où l'on prévoyait la disparition de la photo avec l'arrivée de la télé. On croit que le numérique va effacer la pellicule, mais on a peut-être tort. »
Des archives nombreuses pour un film plus long ?
Certes, avec toutes ces archives, Raymond Depardon aurait pu facilement faire un film de 3 heures qui, selon Claudine Nougaret, aurait plutôt correspondu à « un format télé ». Mais selon lui, « cela aurait été usant ». Décrivant le travail de son compagnon, elle le compare à « un photographe qui regarde sa planche contact, et qui choisit un retirage différent tous les 10 ans ». Et d’ajouter : « Nous avons pu faire le film parce que nous sommes producteurs de nos propres films. Nous avons donc pu en prendre des extraits sans demander des droits. »
Raymond Depardon confirme avoir toujours eu « le réflexe de tout garder, non pas par fétichisme », mais parce que cela témoigne d'une évolution de l'approche de certaines photos. Il cite pour exemple celle qu'il a récemment réalisée pour François Hollande, dans la pure tradition des photos politiques de l'école Capa pour Kennedy ou Gama pour ses grands angles. Lui-même fondateur de cette agence renommée, il n'en reste pas moins humble, affirmant que ses photos ont été vendues dans le monde entier, mais pas ses films.
Une continuité esthétique
S'il semble y avoir une continuité esthétique entre ce nouveau film et le dernier chapitre de « Profils paysans », c'est sûrement parce que Raymond Depardon et Claudine Nougaret font les choix des cadres ensemble, « en discutent », et qu'ils sont tous deux producteurs et impliqués dans la réalisation. Elle affirme d'ailleurs que « comme en France on est un pays traditionnel et que chacun a des rôles attribués, les gens, du fait de la personnalité de Raymond, ont du mal à imaginer une femme à côté ». Il leur a donc fallu « rompre avec l'homme artiste et la femme au foyer », comme elle dit. D'où sa présence en tant que co-réalisatrice sur « Journal de France », où elle a aussi créé la « géographie sonore ».
Le film a été tourné à 100% en scope, faisant que les images d'archives ont été coupées en haut et en bas. Claudine Nougaret indique à ce propos que les bandes gauches et droites auraient renvoyé à une image de « flash-back » et qu'on leur aurait reproché un documentaire trop passéiste. Ils ont donc filmé avec deux caméras, « pour que le film soit toujours en mouvement », participant du voyage géographique qui permet de rentrer en douceur dans le travail de Raymond Depardon, y compris pour ceux qui ne le connaissent pas. Celui-ci a ainsi parcouru la France, peu habitué à être devant la caméra. « Il lui a fallu attendre beaucoup, de cette attente de l'acteur sur le tournage », qu'il qualifie lui-même comme « très différente de celle de l'attente du photographe pour la bonne lumière ». Cela n'a donc pas été un tournage facile pour lui, d'autant plus qu'il avait hâte de montrer à Claudine Nougaret certains endroits. Mais cela leur a permis de montrer le Sud-Ouest et le Nord-Est, observant du même coup les évolutions rapides de ces territoires.
Un montage qui exigeait des choix douloureux
Il leur a fallu presque 6 mois pour assurer le montage. Raymond Depardon précise : « Au départ, nous voulions deux monteurs. Je vivais des moments difficiles, car je devais comprimer 3 ans de ma vie en 3 ou 4 minutes ». Il reconnaît d’ailleurs la survenue de tensions à ce sujet. Et le rythme s'est imposé par sa narration à elle. « J’aurais été bien plus bavard, ajoute-t-il, j’aurais notamment raconté les raisons de tous ces voyages.
Car étrangement, « Journal de France », au titre trompeur (comme le sous-entendait un journaliste), raconte surtout les « voyages à l'étranger » de son réalisateur. Mais pour Claudine Nougaret, il s'agit tout de même d'un « journal vu depuis la France » ou, pour lui, d'un « journal fait en France ». En faisant des aller-retour, car c'est avant tout à l'étranger qu' il trouve les idées sur la France. Et ce sera finalement aussi l'occasion pour eux d'un tour de France pour présenter le film, et rencontrer nombre de journalistes.
Le débat se termine comme il a commencé, c’est-à-dire avec douceur, le photographe revenant sur son actualité récente, le fameux portrait du président de la République, François Hollande. L’occasion de rappeler son amour pour la technique et la spontanéité, plus que les séances photos, qui sont souvent de « fausses bonnes idées ».
Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur