INTERVIEW
JE SUIS UN NO MAN’S LAND
Journaliste :
Quand on écrit un film de fiction à partir d’un personnage réel, où se trouve la ligne de partage, si il y en a une, entre la réalité et la fiction ?
Thierry Jousse :
Cela me semble plus simple de créer un personnage de fiction à partir d’un personnage réel, car on a tout de suite plus d’éléments qui peuvent nourrir la fiction. Ici le héros s’approche un peu de Philippe, mais aussi de ma biographie personnelle. J’ai beaucoup pensé à mon frère qui est resté 10 ans sans voir mes parents. Un rapport compliqué avec le père, etc… En fait, je n’ai pas présenté le film à Philippe comme un portrait de lui. Ce film est la continuité d’une amitié, on aime beaucoup travailler ensemble. Certes, au début, on s’est beaucoup nourri d’expériences personnelles, mais ce film est avant tout une fiction.
Journaliste :
Philippe, vous mettez actuellement beaucoup vos parents en avant, sur la pochette de votre dernier album par exemple. Votre mère chante d’ailleurs dans l’une de vos chansons. Est-ce un total hasard ou cela a t-il un rapport avec le film ?
Philippe Katerine :
J’ai enregistré le disque juste après le tournage du film. J’ai eu l’impression à ce moment-là de revenir d’un long voyage. Je n’ai pas l’habitude d’être sur un plateau de cinéma. Pendant un mois entier, j’ai été bringuebalé… sans souffrances, avec l’impression de ne pas parler exactement la langue. Du coup, en écrivant ensuite mes chansons, j’ai eu envie de retourner sur des terres connues, et ainsi mes parents se sont imposés, sans qu’ils le veulent d’ailleurs, dans le disque ! J’avais besoin d’un bon bain chaud, de tartines grillées, d’odeurs que je connaisse en somme.
Journaliste :
Pourquoi avoir donné ce titre au film ?
Thierry Jousse :
Oui, je reconnais que c’est un titre un peu étrange. C’est un phrase tirée d’un film de Jean-Pierre Mocky des années soixante : “la cité de l’indicible peur”. Je ne l’ai pas trop dit jusqu’à présent, de peur qu’il nous attaque en justice, mais maintenant le film sort en salle, alors nous verrons bien. Le titre m’est venu très tôt. Pourquoi ? Je ne sais pas très bien, peut-être pour montrer que le personnage fait écho au paysage, dans cet entre-deux où il se retrouve à ce moment de sa vie, cet espace très familier et complètement étranger.
Journaliste :
Et vous Philippe, vous sentez-vous comme dans no man’s land ?
Philippe Katerine :
Oui, dans la mesure où il faut toujours re-peupler un paysage. Il faut toujours combler le vide, prévoir un arbuste, une construction. Puis au fur et à mesure qu’on construit, ça se détruit. Le personnage est dans cet état d’esprit, tel un paysagiste permanent.
Journaliste :
Est-ce que vous avez déjà eu des réactions extrêmes de la part de vos fans ?
Philippe Katerine :
Oui, cela m’est arrivé de ressentir un certain danger. Comme avec cette personne qui est restée sur le pas de ma porte, à écouter les chansons que j’étais en train d’écrire. Puis au moment où je suis sorti acheter une bière, je découvre cette personne qui me dit que ce que je suis en train de faire est vraiment de la merde. Donc oui, ce genre de choses peut arriver. Enfin, dans le film c’est poussé à l’extrême, bien entendu.
Journaliste :
Êtes-vous dans le même état lorsque vous montez sur scène, que lorsque vous tournez un scène de cinéma ?
Philippe Katerine :
La scène peut devenir, et c’est un danger, une habitude, puisque cela peut parfois ressembler, hélas, à une récitation. Alors qu’au cinéma, le texte est toujours différent, les partenaires changent ainsi que les décors et les costumes. C’est plus décontracté. Avec Thierry, je me sentais moins responsable. ça m’a beaucoup plu.