INTERVIEW
FORTY SHADES OF BLUE
Il se tient debout, téléphone portable à la main, petite lunettes, barbe naissante. Nous invitons Ira Sachs, réalisateur de Forty Shades of blue, présenté en compétition, à s’asseoir. C’est autour d’une table basse, dans le hall d’entrée de l’hôtel Normandy de Deauville qu’à l…
Il se tient debout, téléphone portable à la main, petite lunettes, barbe naissante. Nous invitons Ira Sachs, réalisateur de Forty Shades of blue, présenté en compétition, à s’asseoir. C’est autour d’une table basse, dans le hall d’entrée de l’hôtel Normandy de Deauville qu’à lieu cette interview express.
Journaliste :
Est-ce qu’une belle femme étrangère, qui épouse ou vit avec un homme riche ou célèbre, est toujours suspecte ?
Ira Sachs :
Chaque mariage est suspect, comme dans cette relation qui uni mes deux personnages. Quand on a commencé le travail avec les deux acteurs, il y a eu tout de suite quelque chose qui collait, malgré leur différence d’âge. C’était un élément important, car la relation devait être crédible. Il fallait qu’elle ai quelque chose à perdre en entamant une relation avec le fils.
Au fond, cette femme a réussi à prendre la place que ce fils, justement, a toujours voulu avoir auprès du père. Cet accès à son père lui est interdit. C’était pour moi une façon de parler de cette relation au père, que je connais de façon intime. Si je m’identifie partiellement au fils, c’était avant de connaître réellement l’une des compagnes du père.
Journaliste :
Le fils, justement, dans le studio d’enregistrement, pousse le bouton « off », coupant le son et faisant ainsi taire la voix de son père. Diriez-vous qu’il est le seul personnage totalement conscient dès le début de l’histoire, ou qu’il est plutôt absent ?
Ira Sachs :
C’est un peu comme un étranger dans un film noir. Il vient de l’extérieur et agit d’une manière qui perturbe un milieu. Je dirais plutôt que c’est Alan, le père, qui devient humain et mortel, au fil de l’histoire. Il ne voulait pas savoir que la vie a une fin. Jusque là, il embrassait la vie, sans réelle conscience de sa propre vulnérabilité.
Journaliste :
Mais ce personnage du père n’est-il pas juste un égocentrique désirant posséder une femme comme un objet, puisqu’il lui propose de se marier uniquement au moment où il sent qu’il va la perdre) ? Est-ce que la musique et l’argent ne sont-il pas ses seuls centres d’intérêts ?
Ira Sachs :
Non, il a peur de perdre quelque chose qu’il adore. Pour moi, son affection pour cette femme est réelle. Dans la dernière partie du film, il ne peut supporter ses propres sentiments, car cela l’oblige à s’impliquer. D’ailleurs, la dernière scène prend un tournant lorsqu’il la touche elle. Elle doit alors se rebeller, car elle n’existe que par le cœur, et a découvert le cœur, l’intérieur. La scène où elle va dans les bois avec l’homme à la moto est significative de l’importance de son corps. Elle l’utilise pour se sentir plus bas que jamais, dans un moment de grand malaise. C’est une façon de se sentir exister.
Journaliste :
Comment avez-vous choisi cette actrice, Dina Korzen ? A-t-il été facile de la convaincre, elle qui a gagné l’équivalent de l’Oscar Russe de la meilleur actrice ?
Ira Sachs :
Ca n’a pas été facile. Mais c’est surtout parce que nous vivions dans deux mondes différents. Nous nous sommes rencontrés pendant environ 4 heures à Londres, où elle vivait à l’époque. Il y a eu comme une connection immédiate. Pour elle c’était un véritable challenge, car le rôle n’était pas écrit en mots, mais décrit en mouvements. Elle l’a pris comme un cadeau, car elle pouvait lui amener beaucoup. Mais il a été très éprouvant pour elle, car elle a un style de jeu non américain, puisant sa source dans les peines issues de sa propre histoire.
Journaliste :
Dans votre film, beaucoup d’émotion provient du non dit entre les personnages. Est-ce que c’est cela qui a attiré un producteur comme Donald Rosenfeld, qui a produit notamment les films de James Ivory, « Les vestiges du jour » ou « Retour à Howards end » ?
Ira Sachs :
C’est plutôt sa relation personnelle à Memphis et à la musique, qui imprègne le film. Le projet a été difficile a monté. Cela a pris quand même 6 ans. Mais j’ai réussi a garder le contrôle, d’un point de vue artistique, jusqu’au bout. Cela reste « mon » film.
Journaliste :
Est-ce qu’il a été difficile d’écrire « à deux mains » ? Qu’est-ce que le co-scénariste Michael Rohatyn a apporté au script ?
Ira Sachs :
Cela n’est devenu difficile que lorsque le tournage a commencé. Il était présent sur le plateau, et vous savez, le tournage d’un film, cela peut être violent(rires).
Journaliste :
Comme je l’ai dit tout à l’heure, votre film exploite les zones de non dit. Alors pourquoi avoir choisi de laisser votre personnage féminin principal exprimer ce qu’elle ressent en écrivant cette chanson, qui donne justement son titre au film, « Forty shades of blue » ?
Ira Sachs :
Ecrire, notamment une chanson, permet d’exprimer ce non dit au travers de l’art. Ici c’était une manière de la faire, à la fois pour elle et envers le public. Tout le film est basé sur « Sharulata » de Satjavit Ray, dont nous avons repris la structure. Cela avait donc du sens pour moi. C’était une manière métaphorique d’exprimer le non dit.