INTERVIEW
D’UN FILM A L’AUTRE
Journaliste :
Comment définiriez-vous votre film ?
Claude Lelouch :
Un autoportrait, sans complaisance je l’espère. Au départ, ce film n’était pas destiné à sortir. Je l’avais fait pour fêter les 50 ans de cinéma des Films 13. Je voulais expliquer à mes enfants le p…
Journaliste :
Comment définiriez-vous votre film ?
Claude Lelouch :
Un autoportrait, sans complaisance je l’espère. Au départ, ce film n’était pas destiné à sortir. Je l’avais fait pour fêter les 50 ans de cinéma des Films 13. Je voulais expliquer à mes enfants le principe des hauts et des bas dans la vie et remercier mes acteurs, musiciens, techniciens… Ceux qui m’ont permis d’aller d’un miracle à l’autre. Puis quand on a montré le film, les gens m’ont dit de le sortir. C’est à partir de cet enthousiasme que l’on a fait des tests sur le public et que l’on a finalement décidé de le montrer.
Journaliste :
Et depuis, quels retours avez-vous eu ?
Claude Lelouch :
Il y a un phénomène qui se met en route autour de ce film. C’est une sortie cinéma modeste, dans une vingtaine de salles seulement, mais les gens en parlent et cela suscite un intérêt pour ma filmographie par exemple.
Journaliste :
Avec quel regard avez-vous fait ce film ?
Claude Lelouch :
À l’âge que j’ai, 73 ans, il y a un critique impardonnable, qui est le temps. J’ai essayé d’être moi-même mon premier critique. Sur certains films, j’avais peut-être été un peu trop rapide. Il faut être objectif pour comprendre ce parcours d’autodidacte. Vous savez, quand on est autodidacte, on va à l’école toute la vie.
Journaliste :
Qu’est ce qui vous guide dans vos réalisations et vous donne cette énergie de repartir à chaque fois ?
Claude Lelouch :
Le risque. C’est ce qui donne le sens à la vie, enfin pour moi. J’ai besoin d’avoir peur, pour à un moment donné, savourer. J’ai toujours cherché à frôler le bonheur. Et bien il est là, dans la prise de risque. Mais attention, bien sûr, à ne pas confondre le bonheur avec le confort.
Journaliste :
Quel est le film qui vous a apporté le plus grand bonheur et celui qui vous a rendu le plus malheureux ?
Claude Lelouch :
C’est une bonne question. On va dire que j’ai été plus créatif derrière des échecs que derrière des succès. Après un échec, on est comme un boxeur qui monte sur un ring et qui devient dangereux quand il prend des coups. La meilleure école c’est l’échec, si vous plaidez coupable évidemment ! J’ai fait 43 films. Il y a eu vingt succès, dix bides et dix autres qui s’amortissent. Mais on a plus parlé de mes échecs que de mes succès. Car aujourd’hui, on est dans un monde où l’on retient plus le négatif que le positif, c’est comme ça.
Journaliste :
La critique n’a pas toujours été tendre avec vous, est-ce que le public a toujours raison ?
Claude Lelouch :
Le public n’a pas toujours raison, non. Il a souvent besoin de mûrir. A un moment donné, l’artiste se retrouve seul contre tous et le talent d’un metteur en scène, c’est de mettre les talents des autres en avant. Le metteur en scène, c’est celui qui doit avoir le moins de talent ! Mais un très bon esprit de synthèse. L’artiste est là pour simplifier des choses compliquées, surtout pas pour compliquer des choses simples. Je suis tombé dans ce travers pour la suite d’ « Un homme et une femme », et le public ne s’est pas retrouvé.
Journaliste :
Pour vous, qu’est-ce que le cinéma ?
Claude Lelouch :
C’est la métaphore de la vie. Si je vous emmène voir un film et que je vous dis qu’on va manquer les dix premières minutes et partir dix minutes avant la fin, vous venez ? Pourtant c’est ça la vie, on arrive après le début et on partira bien avant la fin. Il s’agit juste de déguster les séquences que l’on nous propose.
Journaliste :
A quel point le scénario est pour vous important dans la réalisation ?
Claude Lelouch :
Il n’a que très peu de valeur. Il est à dépasser. Ce qui est intéressant, c’est ce qu’il y a au-delà ! Le hasard a toujours du talent, il adore faire des surprises. La lettre au Père Noël, c’est une connerie ça ! (rires) Pareil, n’écoutez plus la météo ! Si l’on sait ce qui va se passer, ce n’est plus drôle. Il y a une grande part d’irrationnel je trouve. Et il est vrai que face à des gens cartésiens, mon cinéma n’a parfois pas plu.
Journaliste :
Aujourd’hui, avec du recul, pouvez-vous expliquer vos échecs et vos succès ?
Claude Lelouch :
Les échecs c’est facile à expliquer. Il faut plaider coupable, ne pas dire que c’est la faute des autres. Ensuite il faut regarder pourquoi cela n’a pas marché. Les succès, non, je ne les explique toujours pas. Car pour faire un succès, il n’y a pas de recette, c’est un ensemble de synchronicités, comme pour une histoire d’amour. Un succès, c’est un petit miracle. Et un miracle, c’est unique, cela ne s’explique pas.