INTERVIEW
CONCERT (LE)
Journaliste :
Comment avez vous appréhender cette fameuse scène du concert ?
Radu Mihaileanu :
Ce fut un long cauchemar pour une bonne partie de l’équipe, une véritable épreuve. C’est la partie la plus importante du film car tout se dénoue à ce moment là. C’est le gran…
Journaliste :
Comment avez vous appréhender cette fameuse scène du concert ?
Radu Mihaileanu :
Ce fut un long cauchemar pour une bonne partie de l’équipe, une véritable épreuve. C’est la partie la plus importante du film car tout se dénoue à ce moment là. C’est le grand moment émotionnel qui demandait une très grande harmonie de la part de tous, acteurs comme techniciens. Mélanie devait apprendre le violon, le chef d’orchestre devait réellement diriger, le chef opérateur devait pouvoir saisir cette vérité et que ce soit beau. Mon boulot a été, comme un chef d’orchestre, que tout cela concorde, que tous soient sublimes au même moment. Après avoir vu beaucoup de concerts classiques filmés, j’ai compris qu’ils étaient souvent figés car filmés de l’extérieur. Du coup, j’ai décidé de filmer de l’intérieur pour donner une âme à l’orchestre, et ainsi mettre en place le dénouement de l’histoire en instaurant un dialogue visuel entre les différents acteurs. Cela a demandé une installation technique importante car en douze minutes, il y a près de 600 coupures de plans. Le monteur a été exceptionnel, tout est cohérent, c’est un ballet, c’est une danse.
Journaliste :
Vous avez entrecoupé cette fameuse scène de quelques flashs décrivant ce qui se passe après la représentation, vous ne la trouviez pas assez forte ?
Radu Mihaileanu :
On voulait ne pas rester dans le pathétique. C’était une manière pour moi de m’éloigner du mélodrame pour revenir à la comédie. De plus, c’était pour préciser que c’est avant tout une histoire d’amitié et que l’orchestre, une fois célèbre, ne va pas se disloquer.
Journaliste :
Est-ce que le film a déjà été projeté en Russie ?
Radu Mihaileanu :
Oui, j’ai fait deux projections là-bas pour le montrer à des distributeurs qui craignaient que le film ne soit pas apprécié du public russe. Mais à chacune d’entre elles, il y a eu une standing ovation. Les gens ont beaucoup ri, même lors des scènes où j’ironisais un peu sur leur sort. Beaucoup m’ont demandé combien d’année j’avais vécu en Russie, alors que je n’ai jamais vécu là-bas. Ensuite, nombreux sont ceux qui ont reconnu des rues de Moscou alors que les scènes avaient été tournées à Bucarest.
Journaliste :
Les acteurs russes sont-ils très connus en Russie ?
Radu Mihaileanu :
Oui, Aleksei Guskov est en quelque sorte le Depardieu russe. Quand on se balade avec lui dans la rue, on est arrêté tous les deux mètres. Quant à Dmitri Nazarov, Sacha dans le film, il a fait beaucoup de téléfilms. Valeriy Barinov, Ivan l’ex KGB, est un très grand acteur de théâtre et de cinéma d’auteur, il est très connu lui aussi.
Journaliste :
Est-ce que l’humour a été un moyen pour vous d’aborder des aspects sombres de l’histoire contemporaine russe sans pour autant dramatiser ?
Radu Mihaileanu :
Je pense que l’humour restera toujours la seule arme des pauvres contre la barbarie. L’auto-dérision et l’ironie sont le seul garde fou contre la violence. Je voulais un film léger qui décrit bien le sens de l’humour et la grande énergie de ces gens-là. Pour moi, la comédie n’est qu’une fissure de la tragédie. Mes références sont “To be or not to be” de Lubitsch et “Le dictateur” de Chaplin.
Journaliste :
En comparaison avec vos autres films, “Le concert” n’est-il pas le plus politique ?
Radu Mihaileanu :
Autant que les autres, en fait. Je dirais même que pour celui-ci, c’est de la politique “light” car c’est une comédie. Je voulais qu’un sujet grave soit accessible et visible par tout le monde en utilisant des ingrédients comme la famille, l’amitié et la musique. Bien-sûr, on traite toujours de la dictature et de ses effets en revenant sur des thèmes qui semblent moins politiques mais qui en filigrane le sont : le rapport de l’individu dans la collectivité, le rapport des cultures, le racisme. Tout cela revient souvent dans mes films. Dans la bande de “barbares” -entre guillemets - qui débarque à Paris, il y a des Russes, des juifs, des gitans. Tous ont une humanité riche.
Journaliste :
Vous êtes-vous inspiré de vos souvenirs personnels lors de l’écriture du scénario ?
Radu Mihaileanu :
Forcément… Le plus évident, c’est le français parlé par les Russes, avec des erreurs que je faisais fréquemment moi-même. Par exemple, la réplique “je vous baise chaleureusement”, je l’ai moi-même dite en arrivant à Paris. Tout le monde riait et je ne comprenais pas pourquoi, car j’avais appris le français dans les livres du 19e siècle où l’on faisait le baise-main. Ensuite j’étais, je le suis toujours, le “barbare” de l’Est avec une certaine énergie slave, même si je suis juif et latin. Je débarquais dans un pays plus pudique, plus cartésien. Une différence qui m’a finalement apporté une grande richesse.
Journaliste :
Est-ce une pure fiction ? Ou est-ce inspiré de faits réels ?
Radu Mihaileanu :
Nous nous sommes inspirés d’un fait divers où un faux orchestre du Bolchoï se serait rendu à Pékin. Mais il a été arrêté assez tôt. Ensuite, l’histoire du chef d’orchestre s’inspire beaucoup de Evgueni Svetlanov qui, dans les années 80, juste avant la mort de Brejnev, s’est opposé à l’éviction des musiciens juifs des orchestres soviétiques. Lui n’étant pas juif a été évincés avec eux. Il a ensuite émigré au Royaume-Uni, où il a continué sa carrière, pour revenir après la Perestroika en Russie comme directeur et chef d’orchestre de l’orchestre national russe.