INTERVIEW
CHEZ GINO
Journaliste :
Le film est clairement une comédie, mais parfois, vous montrez des scènes très violentes, comme le flashback de l’enfance de Gino. Pourquoi avez-vous adopté des changements de ton aussi brutaux?
Samuel Benchetrit :
Déjà, quand je vois des personnages au cinéma…
Journaliste :
Le film est clairement une comédie, mais parfois, vous montrez des scènes très violentes, comme le flashback de l'enfance de Gino. Pourquoi avez-vous adopté des changements de ton aussi brutaux?
Samuel Benchetrit :
Déjà, quand je vois des personnages au cinéma, je suis toujours plus ému si je sais qu'ils ont vécu des choses coriaces dans leur passé. Donc je trouvais que de voir ce qu'il avait vécu enfant renforçait le personnage de Gino adulte. Ensuite, « Chez Gino » est aussi un film sur le cinéma, et je trouve que cette scène est une vraie scène de cinéma. C'est ce qui fait que le film est décalé. Il est vrai qu'on a dix minutes de comédie auxquelles succèdent, d'un seul coup, sept minutes de tuerie absolument pas drôle -bien que ça me fasse rire un peu. Il y a aussi une jubilation: on quitte la Belgique grise pour une plage ensoleillée avec une évocation du western, des pistolets, une image hyper léchée. Dans mon travail de cinéaste, j'ai l'impression d'en être à l'adolescence : je ne veux rien me refuser. Si je sens qu'il y a un virage à prendre à un moment donné, j'ai envie d'y aller et d'embarquer les gens ailleurs. Je n'oublierai jamais cette scène dans « Kill Bill » de Tarantino où, tout d'un coup, on voit un manga pendant vingt minutes. Tu te dis : « il est fou, le mec! ». Je trouvais ça un peu long, vingt minutes. Et pourtant, au final, c'est l’une des choses les plus fortes qui me restent de ce film. Pour « Chez Gino », c'était pareil : je ne voulais pas faire un petit flashback un peu niais, je voulais vraiment ça, montrer la violence de la mafia.
Journaliste :
Votre film est ultra référencé, comment gérer autant de sources d'inspirations différentes ?
Samuel Benchetrit :
A chaque fois qu'on fait quelque chose d'un peu décalé, immédiatement on cherche les références. Évidemment qu'on a des références. On retrouve ça chez n'importe quel metteur en scène faisant son premier film, ou chez des gens de ma génération, que ça soit Gondry, Tarantino, Salvadori ou n'importe qui. Quand je vois un film de Christophe Honoré, je vois 800 films de Truffaut. Sur Gino, la référence est presque trop forte avec « Le Parrain ». Cela m'a fait beaucoup rire de faire dire à mon personnage : « Je pompe pas, je l'ai pas vu ».
Journaliste :
Comment se sont passées les scènes avec Ben Gazzara ?
Samuel Benchetrit :
Il est arrivé alors que l'on tournait depuis plusieurs semaines. En une heure, il comprend l'ambiance sur le plateau, tout ce qui se passe. Il savait exactement ce qu'il avait à faire. Ce qui me fascine avec ces mecs-là, comme aussi avec Jean-Louis Trintignant, c'est qu'ils ont une expérience dingue, ils peuvent s'adapter à tout. Ben Gazzara a débarqué comme ça à Montpellier pour jouer un parrain mafieux déchu en face de José, et en une minute il était dedans, il n'y avait aucun problème.
Journaliste :
Quand vous rendez hommage au cinéma italien, avez-vous recherché à recréer également les conditions de tournage des films de cette époque ?
Samuel Benchetrit :
Ça dépend des films. Le néo-réalisme est un cinéma très très peu cher, si on prend par exemple « Le voleur de bicyclette », « Rome ville ouverte » ou même des films de Risi. On a essayé de rendre hommage à différents cinémas italiens, car ce cinéma est très vaste. Ça va du néo-réalisme au western spaghetti de Sergio Leone, jusqu'au cinéma italo-américain où là, il y a plus de moyens. Mais tous viennent d'une économie. Si l’on pense aux premiers péplums de Sergio Leone ou aux premiers films de Coppola et Scorsese, ils n'avaient pas un rond, ce qui les forçait à faire preuve d'une inventivité incroyable.
Journaliste :
Quand vous faites l'acteur, qui vous dirige ?
Samuel Benchetrit :
C'était souvent José ou Anna. J'ai compris que la comédie, c'est un truc de rythme, il faut aller très vite. José nous disait tout le temps de lui couper la parole, qu'il ne fallait pas le laisser finir. Ca devient une compétition: « Ne me laisse pas finir ma phrase, je la finirai. »