INTERVIEW
30° COULEUR
Espérant que ce film plus sérieux que « la première étoile » sera vu par un maximum de spectateurs, l’équipe du pétillant « 30° couleur » …
Espérant que ce film plus sérieux que « la première étoile » sera vu par un maximum de spectateurs, l'équipe du pétillant « 30° couleur » nous accueille dans l'un des salons de l'Hôtel Hilton de la Cité internationale de Lyon. Compte rendu des échanges entre trois passionnés et une poignée de journalistes locaux.
Journaliste :
Quelle a été l'idée de départ pour ce scénario et quelle est la part autobiographique du récit ?
Philippe Larue :
En fait... c'est mon histoire (rires)
Lucien Jean-Baptiste :
C'est un peu cela. Philippe est très sensible aux histoires d'identité... puisqu'il vote Mélanchon (rires). En fait ma mère m'avait dit un jour : « ne m'enterre jamais en Martinique, j'ai assez vu de misère ». Cela a nourri mon histoire. Je suis moi aussi arrivé en France très jeune, mais je n'ai pas été historien (rires)... Moi aussi j'ai effectué, comme le personnage, un retour au pays. Nous sommes d'ailleurs allés écrire là-bas.
Philippe Larue :
Je lui ai demandé d'aller sur place, de pouvoir rencontrer les lieux et les ambiances. Là-bas, Lucien, lui, n'est plus surpris par rien. Moi je me suis pris le pays en pleine gueule, sa culture. Et on a pillé un peu de ce que l'on a trouvé là-bas.
Journaliste (à Édouard Montoute) :
Comment vous êtes-vous fondu dans cette culture qui n'est pas la vôtre ?
Édouard Montoute :
Je ne parlais pas le créole. On m'a donc demandé d'aller travailler le personnage là-bas, à la façon “actor's studio“, en écoutant. Finalement, vous êtes un peu comme une feuille blanche, chacun vient peindre un peu sur vous, laissant sa trace. Zamba, je l'avais là (il montre son torse et son cœur). J'ai aussi pris un peu de Lucien. Pour les talons, cela me donnait un côté très félin. Il m'a fallu deux mois pour maîtriser la chose. Au fond, le film fait penser à une comédie italienne, à « Zorba le Grec », « La Strada », ou encore plus au premier degré, à « Obélix » ou « Tenue de soirée »... J'avais un rôle atypique. En France, on vous demande rarement des rôles de composition. Ici, on est loin de mes premiers tournages dans Navarro... Au début du scénario, j'étais décrit comme un colosse noir. J'ai dû prendre des kilos, perdre mon accent de banlieue et en adopter un créole, prononcé.
Lucien Jean-Baptiste :
Zamba est un personnage haut en couleurs. Il lui a fallu une distance plus grande que pour le flic de Navarro. C'était un vrai challenge. J'aurais aimé interpréter moi-même Zamba... celui qui est resté au pays...
Journaliste :
Comment avez-vous abordé votre propre personnage ?
Lucien Jean-Baptiste :
Je ne suis pas un historien coincé, je suis plutôt rigolo dans la vie. En bref, je ne suis pas du tout Patrick... Je suis plutôt quelqu'un qui se laisse promener par les vents. Du coup, Philippe a du me tenir durant le tournage, je n'avais droit à aucun écart.
Philippe Larue :
Les deux rôles, on est allé les chercher dans le physique, la stature, puis les personnages sont venus rapidement derrière. Zamba est un homme qui occupe l'espace, qui dit les choses...
Édouard Montoute :
L'histoire d'amour est là, finalement, dans leur relation d'amitié. Comme dans la chanson de Brel, « Les Deux amants », c'est une complicité retrouvée, sans pour autant être chose facile...
Journaliste :
Le titre ressemble à un programme de machine à laver...
Lucien Jean-Baptiste :
Exact !!!
Philippe Larue :
C'est là toute la construction de la dramaturgie du film. Il ressemble à programme de machine à laver, comme dans « After hours » de Scorsese, avec cet homme qui sort de son bureau, n'arrivera jamais à rentrer chez lui, et finira recraché dans son bureau le lendemain. C'est un peu ici l'effet que font les Antilles...
Journaliste :
Le troisième personnage du film, c'est le carnaval. Le film aurait-il pu se faire sans ce contexte spécifique ?
Lucien Jean-Baptiste :
J'en ai vécu quelques uns de ces carnavals. Il ne fallait en tous cas pas que notre personnage arrive là-bas un 15 août, morne plaine... De plus l'époque du carnaval permet une opposition avec la période enneigée à Paris...
Philippe Larue :
C'est un moment hautement cinématographique. Il y a de l'énergie, un aspect chorégraphique, des couleurs...
Lucien Jean-Baptiste :
Et puis le personnage arrive à un moment où il va pouvoir s'extérioriser...
Journaliste :
Le scénario a été écrit avec une certaine connaissance du fait religieux... Il est chapitré selon le lundi gras, mardi gras, mercredi des cendres.
Philippe Larue :
Le mardi gras correspond à la journée la plus chaude, une vraie explosion. Alors que normalement le mercredi des cendres marque le début du Carême. Tout le monde devrait pleurer la fin du carnaval (et la mort de la mère), mais là-bas le carnaval continue, en blanc.
Lucien Jean-Baptiste :
Ces évènements rythment le parcours du personnage...
Édouard Montoute :
Il existe vraiment des fans qui attendent 365 jours que le prochain carnaval arrive...
Lucien Jean-Baptiste :
Ils ont des garde-robes comme dans le film... car la tradition veut que les hommes se déguisent en femmes.
Édouard Montoute :
Je suis plutôt agoraphobe, mais dans une telle mouvance, on se laisse aller. Il y a comme une énergie. Un petit peu comme dans un concert entre la scène et la salle. Quelque chose d'inexplicable...
Journaliste :
Pouvez-vous nous dire deux mots des gags récurrents sur Lilian Thuram et les employés des pompes funèbres... ? Ils sont un peu comme les fossoyeurs dans Lucky Luke...
Lucien Jean-Baptiste :
C'était en effet notre référence... Il y en avait un qui a une vraie tête de croque-mort, mais qui était un peu faible côté jeu. L'autre était plus grand, et c'était l'inverse. Du coup, on les a mis ensemble et cela fonctionne...
Philippe Larue :
Pour l'autre gag qui tourne autour du footballeur Lilian Thuram, on s'est dit que dans la réalité, on reconnaît bien dans la rue les coureurs, les footballeurs... mais sûrement pas les historiens. Cela nous faisait rire que l'on puisse croire que Patrick (joué par Lucien) puisse être un coureur parce qu'il est noir. D'ailleurs, si sur Google vous tapez « noir à lunettes », c'est Lilian Thuram qui ressort... et pas Martin Luther King !
Journaliste :
Quels ont été les apports d'une réalisation à deux ?
Lucien Jean-Baptiste :
Cela s'est fait dès l'écriture. Cela apportait une plus-value en terme de cinéma... Je souhaitais aller plus loin que sur « La Première étoile », où nous avions seulement écrit ensemble...
Philippe Larue :
On se connaissait bien depuis la « Première étoile ». On est en confiance. Mais je suis réalisateur, avant d'être scénariste.
Lucien Jean-Baptiste :
Et puis c'est rare d'avoir son acteur principal en permanence sous la main.
Philippe Larue :
C'est en effet un luxe extraordinaire. Cela permet d'expérimenter, de gagner du temps, y compris lors des repérages et des essais de scènes...
Propos recueillis par Olivier Bachelard
Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur