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TOP 5 : de "La Mauvaise Éducation" à "Tout sur ma mère", le classement des meilleurs films d’Almodóvar
Le plus célèbre cinéaste espagnol, après Luis Buñuel, incarne un cinéma débordant d’énergie, de couleurs vives, de comédies sensationnelles et de drames humains puissants où la famille et les femmes sont au cœur de ses intrigues. Alors que le maître de la Movida est célébré à Lyon, lors du Festival Lumière, Abus de Ciné s’est replongé dans sa longue filmographie (déjà composée de 19 œuvres) pour établir un classement de ses cinq meilleurs longs métrages. Les années 2000, années de la maturité, restent pour Abus de Ciné la meilleure période du cinéaste. Verdict !
5e // LA MAUVAISE ÉDUCATION (2004)
Avec Gael García Bernal, Fele Martínez, Daniel Giménez Cacho, Lluís Homar, Javier Cámara...
Après "Tout sur ma mère" et "Parle avec elle", Almodóvar poursuit son cycle de films intimistes avec un œuvre des plus introspectives : "La Mauvaise Éducation". En effet, sans être autobiographique l’histoire d’Ignacio et Enrique (deux enfants amoureux qui se recroisent 20 ans plus tard) s’inspire de nombreux souvenirs du cinéaste. C’est certainement un des films les plus sombres d’Almodóvar qui aborde ici la pédophilie sans équivoque et surtout sans cynisme. Un film où la femme est quasi absente, simplement évoquée par le travestissement. Un film sensuel et viril qui atteint son apogée lors de la magnifique scène de la piscine où flotte une atmosphère électrique de répulsion-attraction entre deux personnages qui ne désirent pas la même chose l’un de l’autre. Une troublante parenthèse dans la filmographie de l’homme qui voue une si grande passion aux femmes dans son cinéma.
Gaëlle Bouché
4e // VOLVER (2006)
Avec Penélope Cruz, Carmen Maura, Lola Dueñas, Blanca Portillo, Yohana Cobo, Chus Lampreave, Antonio de la Torre...
Pour son retour sur grand écran, après son très masculin "La Mauvaise Éducation", Almodóvar replace les femmes au cœur de son intrigue. Parmi elles, Carmen Maura est irrésistible morte-vivante vêtue de ses bas de contention et Penélope Cruz n’a jamais été aussi belle. Il aime ses actrices et il le montre par ses cadrages inspirés : on ne rate rien du fessier bien rebondi de Lola Dueñas, et encore moins de la poitrine très pulpeuse de Penélope !
Le film renoue avec les scénarios complexes et à tiroirs des films très hitchcockiens d’Almodóvar où les intrigues sont multiples et s’entrecroisent alors que les secrets s’accumulent ! Il s’amuse à mettre en scène ses propres souvenirs d’enfance où, dans les campagnes balayées par le vent qui rend fou, les veuves entretenaient les tombes de leur défunt mari.
Le ton humoristique et joyeux, tout comme la photo colorée du film tranchent avec les thèmes profondément durs et déprimants qui sont traités par le maître de la Movida. Mais entre ses mains, la mort, la maladie et l’inceste, sont comme des drames de la vie dont on peut parler sans faux-semblants, frontalement. Dans le cinéma d’Almodóvar on peut vraiment parler de tout. Le film sera son plus gros succès public et sera récompensé de cinq Goya : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleures actrices pour Penélope Cruz (déjà Prix d'interprétation féminine à Cannes) et Carmen Maura (second rôle) et meilleure musique originale pour Alberto Iglesias. Des récompenses largement méritées.
Mathieu Payan
3e // LA PIEL QUE HABITO (2011)
Avec Antonio Banderas, Elena Anaya, Marisa Paredes, Jan Cornet, Blanca Suárez...
Qui est réellement Pedro Almodóvar ? Disons un peu à l’image du personnage central de "La piel que habito" : double visage, identité variable, avec une part vénéneuse et provocatrice qui se confronte à une autre part, plus attachante et émotionnelle. Ici, ça tombe bien, les deux se frottent comme deux silex pour faire le maximum d’électricité. Ce nouveau coup de maître, sans aucun doute son film-somme puisqu’il convoque toute sa filmographie au détour de nombreuses scènes, part d’un postulat démentiel qu’il convient de ne surtout pas déflorer. On précisera juste qu’il y est question d’identité, d’identification, d’image, de pouvoir, de trahison, de désir et de vengeance, dans un pur cocktail de thriller scientifique et d’érotisme tordu, pour le coup adapté d’une œuvre existante (le roman "Mygale" de Thierry Jonquet). Almodóvar y dissèque le monde d’aujourd’hui avec un pessimisme qui confine à l’hallucination, ne filmant que des êtres en pleine lutte de pouvoir ou baignant dans la duperie absolue, avec le corps humain réduit à un objet modifiable comme de la pâte à modeler et le sentiment amoureux lu comme une chimère (on ne désire pas une personne, mais l’image que l’on se fait d’elle). Pur film de genre totalement fou et dérangeant, "La piel que habito" est bien sûr une œuvre gorgée d’influences pas seulement almodóvariennes ("Vertigo" d’Hitchcock et "Les Yeux sans visage" de Franju sont ici convoqués), mais à travers laquelle le cinéaste se renouvelle à chaque scène, pousse la logique de son cinéma transgenre vers ses limites les plus folles, transcende le jeu de sa bande d’acteurs (jamais Antonio Banderas n’a été aussi immense) et joue puissamment avec nos nerfs. En même temps, la peau qu’a toujours habitée Almodóvar, c’est celle d’un fou furieux, à la fois émouvant, anticonformiste et profondément pervers.
Guillaume Gas
2e // PARLE AVEC ELLE (2002)
Avec Javier Cámara, Darío Grandinetti, Leonor Watling, Rosario Flores, Lola Dueñas, Geraldine Chaplin, Paz Vega...
Trois ans après le magnifique et bouleversant "Tout sur ma mère", Almodóvar transforme l’essai en réalisant le non moins sublime "Parle avec elle". Beaucoup diront que ce film représente un tournant dans la carrière du cinéaste, alors qu’à bien y regarder, il s’inscrit parfaitement dans la lignée profonde et sensible du précédent. Deux femmes aux destins brisés par le coma et deux hommes à leur chevet pour parler avec elles. Un sujet qui aborde une nouvelle fois l’amour condamné par l’absence, à une nuance près, car Begnino l’infirmier qui s’occupe d’Alicia vit par procuration une idylle qu’il n’aurait jamais connu si il avait fréquenté la jeune fille avant son accident. Infiniment subtil et profond, le film décortique à la perfection les rouages de l’amour et de la solitude en revisitant le mythe de la belle au bois dormant. Deux femmes assoupies à la clinique « El bosque » (« le bois ») attendent d’être réveillées par leur prince charmant, un seul y parviendra… et pas qu’avec un simple baiser.
Gaëlle Bouché
1er // TOUT SUR MA MÈRE (1999)
Avec Cecilia Roth, Marisa Paredes, Candela Peña, Antonia San Juan, Penélope Cruz...
À la fois tragique et drôle, provocateur et tendre, "Tout sur ma mère" est un coup de maître qui affiche sans tabou la complexité de la vie – laquelle ne peut donc se résumer à un simple drame ni à une comédie simpliste. Dès le début, Almodóvar brouille les pistes et les arts (cinéma et théâtre en tête), comme pour affirmer que la fiction et la réalité se complètent, s’enrichissent mutuellement, s’entremêlent. En se jouant des codes du suspense et en usant des répétitions et des comparaisons, avec des scènes qui font presque figures de boucles prémonitoires (le film pédagogique dans lequel joue Manuela, ou son cri lorsque son fils traverse pour la rejoindre), le film devient une vision incisive et ironique de nos existences tout en étant un hymne à la vie. Avec son penchant habituel pour les couleurs vives (le rouge avant tout), Almodóvar explore une fois de plus la passion, l’amour, la sexualité et l’identité de genre, bousculant les stéréotypes et les visions les plus réductrices. En ces temps d’intolérance vis-à-vis de la diversité, il est d’ailleurs salvateur de revoir "Tout sur ma mère", car c’est aussi une réflexion bouleversante sur la filiation – un concept polymorphe qui ne peut être réduit à une interprétation arrogante et tyrannique sous prétexte de respect des traditions et/ou des religions.
Raphaël Jullien