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PARCOURS : M. Night Shyamalan, conteur né
En 1999, sort "Sixième Sens". Le monde entier voit alors en M. Night Shyamalan un nouveau génie du cinéma. En plus d'être un énorme succès en salles, le film est nominé six fois aux Oscars ! Ensuite, l'enfant prodigue enchaîne une filmographie qui ne saura jamais retrouver la splendeur de ce 1er succès. Incompris ? Borné ? Usé ? Formaté ? Face aux échecs successifs de ses derniers films, M. Night Shyamalan semblait encore jusqu'à la sortie de "After Earth", le 5 juin 2013, définitivement perdu.
Une génération toute entière se désespère de voir Shyamalan raviver la flamme de son talent avec un nouveau film enfin à la hauteur de "Sixième Sens". Scénariste, réalisateur, acteur, producteur de quasiment tous ses films... Shyamalan est un artisan du cinéma : plus qu'un film, c'est un objet personnel, façonné avec soin, qu'il nous livre. Or depuis "Phénomènes" ses films sont de moins en moins personnels, comme si la touche Shyamalan était quasiment devenue une franchise qu'on exploite en espérant singulariser un genre. Sentiment qu’il exprime lors de la promo de son dernier long métrage : « Je prépare du thé et on le vend comme du coca-cola », disait-il pour évoquer la force commerciale que les producteurs appliquent à ses films. Alors, que reste-t-il de M. Night Shyamalan, conteur moderne unique, qui narrait de petites histoires intimes cachées au milieu d'univers fantastiques ?
Manoj (M.) Nelliyattu (Night) Shyamalan a grandi à Philadelphie, aux États-Unis. Issu d'une famille indienne hindouiste, il est né le 6 août 1970 à Pondichéry. En 1992, il sortit diplômé de la Tisch School of the Arts de l'université de New York à Manhattan. C'est cette année, qu'il réalisa son premier long métrage (il a déjà plus d'une quarantaine de courts métrages à son actif) : "Praying with Anger". En 1995, il enchaîne avec "Wide Awake". Ces deux premiers longs métrages ne font pas recette mais lui permettent de se faire remarquer, puisqu'il est nommé aux Young Artist Awards. La même année, il participe à l'écriture du scénario du film d'animation, "Stuart Little".
Le coup du maître
Puis débarque son 3e film sur nos écrans. "Sixième Sens" devient l'osmose parfaite de tout ce que le cinéma attendait : le retour d'une icône, Bruce Willis, perdu dans des films d'action de plus en plus désincarnés ; la naissance d’un nouveau genre qui combine minutieusement thriller, fantastique et drame intime sans pour autant avoir recours aux effets spéciaux ; une histoire simple inspirée par ce qui aurait pu être un cauchemar d’enfance ; un duo de héros ordinaires, torturés, devant s’aider mutuellement face à une situation extraordinaire ; un rythme volontairement lent qui s’attarde sur les regards pour mieux montrer la peur plutôt que sa cause ; un style léché, millimétré, qui n’est pas sans rappeler les sources d’inspiration de Shyamalan : Spielberg et Hitchcock ; et enfin un twist final qui laisse le spectateur bluffé et offre au film une seconde vie.
Tout est suffisamment universel dans ce film pour que l’on s’entiche du réalisateur en pensant qu’il sera celui qui mettra en images nos peurs les plus basiques. Mais, on passe un peu vite à côté d’un autre, et non moins important, thème de "Sixième Sens" : la quête psychologique. Bruce Willis doit faire face à un sentiment d’échec et de culpabilité qui l’isole et l’empêche de prendre conscience de la réalité, Malcolm (Haley Joel Osment) doit accepter sa différence pour pouvoir renouer le contact avec la réalité et ses proches. Et c’est sans doute cette histoire là, plus que celle des fantômes, que Shyamalan veut nous raconter. Le reste n’est qu’un prétexte pour pousser le héros à dépasser sa peur.
Des films de plus en plus personnels
Avec ses films suivants, Shyamalan ne parviendra jamais à renouer avec un tel succès (commercial et/ou critique). L’année d'après sort "Incassable", film pour lequel il confie à nouveau à Bruce Willis le rôle principal. L’histoire base son intrigue sur la philosophie des comics : la lutte du bien contre le mal. Peu crédible si l'on ne regarde que l'emballage, on y voit surtout un personnage qui doit reconstruire son estime de soi et ressouder son couple. En 2002, avec "Signes", Shyamalan offre à Mel Gibson, un autre symbole du cinéma en perte de vitesse, de protéger sa famille d’une invasion extra-terrestres et, par la même occasion, de retrouver la foi ! Là encore, les extra-terrestres ne sont que prétexte, et ne sont d’ailleurs pas très hostiles (ils n'arrivent pas à se servir d'une poignée de porte et choisissent d'envahir une planète composée majoritairement d'eau, l’élément qui peut les tuer par simple contact...).
Dans "Le Village", sorti en 2004, Shyamalan nous transporte dans un lieu qui semble dater du 19e siècle, cloîtré et encerclé par une forêt peuplée de créatures terrifiantes et hostiles. Ce village est dirigé par les aînés qui semblent ne vouloir qu’une chose : protéger l’innocence de leur progéniture. Est-ce possible ? Doit-on couper du monde les enfants pour les aider à grandir ou, au contraire, les laisser affronter leurs peurs, même au péril de leur vie… ? Le succès du film sera mitigé. Arrive ensuite, "La Jeune Fille de l'eau", son 7e film, sans doute le plus personnel. Et son plus grand échec…
"La Jeune Fille de l’eau" marque un tournant
Avec ce film, M. Night Shyamalan inverse la tendance, la créature (le fantastique) devient le héros. Il prend alors le risque de nous perdre encore plus dans ses immersions imaginaires. Pourtant Shyamalan sait qu’il ne sera sans doute pas suivi, ni compris. Il l’exprime d’ailleurs dans le film, à travers son personnage (celui qu'il interprète) qui dira, face caméra : « Il faudra attendre très longtemps avant que les livres que je viens d'écrire provoquent enfin des réactions, avant qu'il puissent s'ancrer dans la conscience des gens. Y'a un tas de choses dans le cookbook [titre du livre qu'il tente d'écrire dans le film et qu'il a faussement baptisé le Livre de Cuisine, ndlr] qui déplairont aux gens. (…) Est-ce qu'on va me tuer parce que j'ai écrit ceci ? »
Il se réserve d’ailleurs, pour la première fois, un rôle secondaire présent tout au long du film, quand il ne faisait qu’une apparition auparavant, et qui s’avérait souvent cruciale pour le dénouement de l’intrigue. Ici, il ne sacrifie qu'un seul personnage : le critique de cinéma, un des locataires installés dans la résidence où se déroule l'histoire. Il sera dévoré par un chien-loup ! Le message est clair, ce film est personnel pour Shyamalan, il sait qu'on ne le comprendra pas, mais il prend le risque de le faire quand même. Avec "La Jeune Fille de l'eau" il met clairement sa carrière en danger.
La fin de l'innocence
Par la suite, même s’il reste en lice, sa filmographie se dépersonnalise nettement. Il revient en 2008, avec "Phénomènes" où il ne s’attarde pas plus sur le phénomène en question que sur les quêtes personnelles des héros. D’ailleurs, le film est truffé d’humour de second degré. Que doit-on comprendre quand Mark Wahlberg se met à parler aux plantes dans une maison où « tout est bidon » ? C’est aussi dans ce film qu’il fera son dernier caméo, en n'étant que la voix d’un personnage sur un répondeur… Il abandonne même Philadelphie, ville où il a grandi, et qui servait jusque-là de toile de fond à tous ses films.
Dans "Phénomènes" les personnages sont forcés de fuir Philadelphie à cause du phénomène… Et, autre choix révélateur, le phénomène en question n’empoisonne pas les humains, il les pousse au suicide… Bref, le film ressemble à la fin de l’innocence du réalisateur, comme s’il avait pris conscience que les studios de cinéma ne voulaient de lui que pour faire dans le spectaculaire !
Et c’est ce qu’il leur donnera en 2010, avec son adaptation d’une série animée "Avatar : le dernier maître de l'air". Le film, tout public, s’adresse clairement aux plus jeunes. Il l’aurait, dit-on, réalisé pour sa fille. Mais, désormais la génération "Sixième Sens" se sent bel et bien orpheline...
Le style Shyamalan
Si ses films ont pu décevoir, le style Shyamalan est toujours là ; on y retrouve encore sa patte particulière. La lenteur du récit, notamment, est une de ses marques de fabrique. Elle n’a quitté aucun de ses films depuis ses débuts, même "Le Dernier Maître de l'air" et "After Earth" qui auraient pu bénéficier d’un rythme plus dynamique. Lui, prend son temps, tente de conserver la caméra sur un paysage ou un visage quelques secondes de plus… "La Jeune Fille de l'eau" en a d’ailleurs fait les frais… Les paupières du spectateur deviennent lourdes au bout d’une demi-heure de film !
Autre particularité chez Shyamalan, la place qu’il accorde à la sauvegarde de la famille, avec cette volonté constante de renouer les liens qui unissent maris, femmes, parents et enfants, frères et sœurs, alors même qu’ils ont connu des drames, des séparations, des deuils… Sauver l’amour en quelque sorte. Et cela passe souvent par des épreuves de dépassement, de passage à l’âge adulte aussi, de confiance en l’autre ou en soi, de lutte contre ses peurs. Maîtriser sa peur est d’ailleurs la clé de la survie des deux protagonistes de "After Earth". Malgré cela, ce dernier long, ne parvient pas à faire à nouveau briller le talent de M. Night Shyamalan… L’intrigue principale étant prévisible de la première à la dernière seconde.
Après 10 films et 20 ans de carrière, Shyalaman reste un cinéaste atypique qui n’arrive plus à surprendre ou fasciner sur grand écran. Espérons donc que son projet de mini-série télé pour la Fox, "Wayward Pines", refera surgir le talent de conteur né de M. Night Shyamalan… En tout cas, tous les ingrédients de ses premiers succès sont réunis : Matt Dillon en personnage principal « prisonnier » de la petite ville de Wayward Pines, où le mystère règne… Les fans de M. Night Shyamalan ont le droit d’y croire.
Informations
Filmographie :
1992 : Praying with Anger
1995 : Wide Awake
1999 : Sixième Sens
2000 : Incassable
2002 : Signes
2004 : Le Village
2006 : La Jeune Fille de l'eau
2008 : Phénomènes
2010 : Le Dernier maître de l'air
2013 : After Earth