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MÉTIERS DU CINÉMA : Expérience de scénaristes à Los Angeles
Le rêve hollywoodien ou l'histoire de deux cinéastes en herbe
Nous sommes soeurs, Emilie 28 ans, et moi-même, Sarah, 30 ans, Françaises vivant en Belgique. Trimballées par nos parents sur les plateaux de cinéma depuis notre enfance et ayant travaillé sur de nombreux films, nous sommes passionnées par le cinéma et les Etats-Unis.
Nous avons décidé de partir à Los Angeles pour trois mois (c'est la durée maximale autorisée) pour prendre des contacts au sujet d'un scénario que nous avons écrit : "Requiem For an Angel". Rédigé en anglais, il est déposé, donc protégé, à la Library of Congress à Washington, D.C. (la SACD nous y a envoyé).
Dans nos esprit, le casting idéal serait : Kevin Spacey, Gary Oldman et une comédienne que nous connaissons : Rya Kihlstedt, rencontrée il y a quatre ans, sur le tournage du film "Un amour de sorcière" où moi - Sarah - étais assistante à la décoration. Elle accompagnait son mari, Gil Bellows ("Ally McBeal"), le comédien qui avait le rôle principal. Nous avons tout de suite sympathisé avec eux.
Nous sommes un peu stressées car nous n'avons toujours pas de nouvelles d'elle depuis l'envoi de ce scénario, il y a déjà plusieurs mois. Notre carnet d'adresse a été complété par Laurent Grégoire, un formidable agent chez Intertalent pour qui, moi - Emilie - ai travaillé plusieurs fois. Grâce à lui, les agents/producteurs nous parlent au téléphone et acceptent de nous rencontrer, ce qu'ils ne feraient pas si on les appelait spontanément. Aux Etats-Unis, par peur de représailles, ils refusent de rencontrer ou de lire toute personne n'étant pas représentée par un agent ou un avocat connu dans le milieu.
Notre book est rempli de plans des décors, de dessins des costumes que l'on a crée pour nos personnages principaux et d'esquisses des peintures de notre héroïne (puisqu'elle est peintre). Nous y ajoutons la continuité, le dépouillement et les photos des repérages de New-York. Nous avons conçu ce book pour montrer notre vision de "Requiem For an Angel" aux agents et producteurs et nous avons pris une copie NTSC de notre court-métrage "Au point mort" pour prouver que l'on peut être capable de réaliser un film.
À L.A, nous vivons dans une résidence paradisiaque avec piscine, salle de gym et salle de projection à Woodland Hills, mais qui est trop loin de West Hollywood (là où tous les gens que l'on veut voir se trouvent). On le saura pour la prochaine fois! Le prix est un peu élevé, et c'est dur pour nous, mais c'est le seul endroit meublé qui nous permet de louer au mois par mois, sans bail et avec une caution très modérée.
Notre souci est aussi de trouver un petit boulot non déclaré (les lois américaines ne permettent pas aux étrangers de travailler, à moins de prouver que l'on est le meilleur dans notre domaine) pour subvenir à nos besoins. Nos économies partent très vite parce qu'il y a toujours des frais que nous n'avons pas prévu, comme, par exemple, le coût de la location de voiture qui est plus important.
Jeff, notre ami new-yorkais photographe, est là pour le moment et nous propose souvent de manger avec lui, ce qui nous allège l'esprit. C'est tout de même angoissant d'être là toutes seules. Laurent, que nous avons rencontré l'année dernière à Los Angeles, nous a parlé d¹un bar/restaurant français, Le Café Maurice, qui a régulièrement besoin de serveurs au noir, mais la seule chose dont on se rappelle est qu'il se trouve dans une rue perpendiculaire à Sunset Blvd.
En le cherchant, nous rencontrons Jeff, en voiture. Nous nous arrêtons tous les trois, stupéfaits de cette coïncidence, on se "hug" - se donner une accolade - et on repart chacun de notre côté. L.A. est un grand village et quand on est dans un pays inconnu, se rencontrer comme ça, c'est magique. On arrive enfin au Café Maurice qui est sur La Cienega, on sympathise avec les serveurs et on peut commencer à travailler le lendemain soir. Nous passons nos matinées au téléphone à essayer de joindre le plus de gens possibles.
Nous avons déjà trois rendez-vous. Le premier est avec Michael Lazo chez Paradigm, dans un immeuble ultra moderne, sur Santa Monica Blvd. Il nous reçoit dans un tout petit bureau décoré de façon romantique. Nous sommes émerveillées par une vue infinie sur la ville polluée et grandiose. On lui raconte notre scénario, on lui montre notre book qui semble lui plaire et on lui parle de nos projets futurs. Il veut être sûr que l'on veut réaliser ce que l'on a écrit, ici tout le monde a un scénario à vendre. Il nous conseille de tourner les extérieurs à Vancouver, une ville qui ressemble à New York où les autorisations de tournage et les techniciens sont moins chers.
On veut lui montrer notre court-métrage (on a fait nous-mêmes les sous-titres en forme de petit carnet, chaque plan correspondant à une page), mais nous n'en avons qu'une copie. Son assistant prend notre cassette et part faire une copie, très naturellement, dans le labo de l'agence et nous la ramène un quart d'heure plus tard. Michael nous dit au revoir chaleureusement et s'excuse de ne pas pouvoir lire notre scénario avant le week-end. Nous repartons extrêmement heureuses. Nous ne nous attendions pas à autant de gentillesse et de prévenance.
Il fait déjà nuit, on roule sur Sunset et on passe voir Jeff qui vit à côté pour tout lui raconter. Plus tard, on est invitées à dîner au Beverly Hilton par notre amie Peggy qui y travaille. Elle nous parle de David Duchovny en critiquant les libertés de sa libido et nous montre l'endroit où se déroulera la cérémonie des Golden Globes la semaine prochaine, où lui sera nommé. Cette nuit-là, nous sommes pleines d'espoir.
Le deuxième rendez-vous est avec Adam Isaacs de chez UTA, que nous trouvons charmant. Il semble être tout droit sorti d'un magazine de mode italien. Nous sympathisons avec son assistant, Freddy. Cela nous fait prendre conscience que les agents ne lisent pas les scénarios de gens inconnus et laissent cette tâche à leurs assistants, qui n'ont bien sûr pas le temps de le faire... Nous avons alors de même réalisé qu'il vaut mieux viser des agences moins réputées. Malheureusement, nous n'avons aucun contact avec elles.
Notre troisième rendez-vous, le plus drôle, est celui avec Robert L. Friedman qui était à la tête de la Columbia et qui s'occupe maintenant de AMC. Il nous avoue ne pas du tout connaître Intertalent (par qui on a eu son numéro) mais est intéressé par ce qu'on lui a raconté au téléphone. Il adore l'histoire mais veut en faire un film hollywoodien, ce qui signifie plus de sexe, plus de sensationnel, et avec Sharon Stone et Michael Douglas. Son enthousiasme nous ravit malgré notre obstination à garder notre histoire telle quelle. Il nous quitte en nous disant que nous sommes "juicy" (juteuses)! Ce qui, nous pensons, n'est peut-être pas tout à fait un compliment mais qui nous fait quand même sourire! Bienvenue à Hollywood!
On est déjà fin janvier. Il y a ces moments privilégiés et ceux pendant lesquels nous les attendons, où nous avons tour à tour de l'espoir et de l'angoisse. Mais ce dernier sentiment est atténué par le fait que le temps est magnifique.
Nous avons enfin rendez-vous avec Alan Greenspan, un passionnant producteur indépendant et ancien agent, que nous avons essayé de joindre depuis notre arrivée. On sent tout de suite que l'on est en face d'une personne particulièrement intelligente et que ce qu'il pensera de notre scénario sera essentiel.
Nous sommes un peu tristes parce que Jeff est reparti à New York. Notre maman et nos amis nous manquent. Au Café Maurice, ils n'ont plus trop besoin de nous. On se rabat sur des baby-sitting qui sont plus réconfortants que fatiguants, parce que la famille est adorable, et que la maison, charmante et cosy, est située dans les Hills. Mais c'est l'angoisse malgré tout.
Hari, un ami de Philadelphia, vient nous voir, et sensible à notre désarroi, nous propose de nous prêter de l'argent pour pouvoir rester plus longtemps. Tant mieux, car c'est à ce moment là que Rya nous rappelle. Elle nous invite à prendre le petit déjeuner chez elle pour discuter du scénario. On est surexcitées. C'est fabuleux et émouvant de la revoir, resplendissante et enceinte, parler de "Requiem..." qu'elle aime beaucoup, des gens qu'on a rencontrés, de sa grossesse... La merveilleuse maman de Gil est là. Ça nous fait du bien de voir une mère.
Nous avons l'impression tout à coup de ne pas être venues pour rien, que tout ce que nous avons fait se résume là et que tous nos moments vécus s'imbriquent les uns dans les autres. Nous rencontrons Douglas Hunter, un jeune producteur indépendant, dont Jacinta, une amie australienne de passage à Beverly Hills, nous a donné l'adresse. La vie continue.
Son associée et lui nous accueillent chaleureusement. Et l'atmosphère est très détendue parce qu'ils ont notre âge et qu'ils travaillent en équipe comme nous et adorent ça. Ils pensent à Tchéky Karyo, pour le rôle de Josh, avec qui Douglas a travaillé sur "Addicted to Love" et qui est assez connu aux USA. Ainsi une coproduction franco-américaine serait justifiée. Ils liront notre scénario quand ils seront un peu moins débordés mais semblent emballés par l'histoire.
On est proche de la date de notre départ et nous n'avons toujours aucune nouvelle des gens que l'on a rencontré et constamment rappelé. Si on est reçu chaleureusement ce n'est pas pour autant qu'une suite est au programme.
Nous sommes désarmées par tant d'indifférence jusqu'au coup de fil de Alan. Il nous dit qu'il aime le scénario mais qu'il ne comprend pas bien la relation entre Audrey et Josh. Il nous conseille de retravailler leurs scènes et surtout de le tenir au courant. C'est toujours un peu dur d'entendre des critiques mais en y réfléchissant, sa remarque était très positive. Et il s'est manifesté, ce qui va nous encourager à progresser.
Notre travail n'est toujours pas fini, il faut de toute façon rencontrer d'autres producteurs, essayer la même chose à New York et surtout ne pas avoir peur de retravailler notre scénario. C'est une première étape, elle a son importance, il faut des échelons à une échelle pour arriver en haut. C'est l'expérience la plus extraordinaire et la plus dure que l'on ait jamais vécue. On la revivra sans hésiter, parce que pour nous, le plus important est de réaliser notre film. Ce voyage a été la chose dont nous sommes le plus fières après l'écriture de "Requiem for an Angel".
Sarah et Emilie Barbault