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DOSSIERIl était une fois

IL ÉTAIT UNE FOIS… Star Trek, le film, de Robert Wise

Dix ans après la série d’origine, "Star Trek" se déclinait enfin en long-métrage pour la première fois en 1979, après une longue et douloureuse gestation. L’importance de "Star Trek, le film" est mesurable à l’aune des trente ans qui suivirent, tant il fut le point de départ d’une franchise de cinéma increvable (douze films en comptant "Into Darkness") et de quatre séries annexes, plus une série animée de courte durée – sans compter des millions de fans transformés en Trekkies. En outre, il s’agit d’une belle œuvre de cinéma, riche et profonde, que l’on a trop vite rangée au placard des films cultes que-personne-ne-regarde-jamais au prétexte que sa sortie est entrée en collusion avec quelques-uns des chefs-d’œuvre majeurs de la science-fiction, de "Star Wars" à "E.T.". Il était grand temps de revenir sur ce film à la fois terminal (la fin d’une série mythique) et fondateur.

Film ou série ?

Avec la diffusion de la série "Star Trek" sur NBC entre 1966 et 1969, la Paramount a initié un véritable phénomène qui se laisse deviner dès la fin de la deuxième saison, quand la pression des fans force le studio à prolonger l’aventure. Après 76 épisodes de ce qui sera plus tard caractérisé comme la « série originale », la soif de Gene Roddenberry, son créateur, n’est pas étanchée. Dès 1968 il imagine le développement d’une série dérivée, croisée avec l’un de ses anciens projets, "Assignment : Earth", à l’aide d’une astuce de scénario : l’Enterprise revient en arrière dans le temps, au milieu du XXe siècle, et son équipage fait la connaissance du futur héros du feuilleton. L’idée n’aboutit pas. En 1973, une série animée de 22 épisodes est produite, "Star Trek the Animated Series", qui ne laissera pas vraiment de traces dans les esprits. Qu’importe : l’obstination de Roddenberry à développer son univers étant ainsi affirmée, ce ne sont pas quelques échecs qui pourront l’empêcher de réussir.

Reste à savoir si le renouveau des aventures de l’Enterprise se fera sur petit ou sur grand écran. Gene Roddenberry lance d’abord l’idée d’un long-métrage de cinéma, pour lesquels plusieurs scénarios sont écrits et tour à tour rejetés. En 1977, alors que la Paramount suspend le projet parce qu’il ne semble pas économiquement viable, la sortie de "La Guerre des étoiles" rebat toutes les cartes. Certes, il paraît délicat de produire un grand film de science-fiction juste après un tel choc générationnel. Mais le studio se réjouit du succès rencontré par le long-métrage de George Lucas, preuve que les spectateurs sont très demandeurs de voyages intersidéraux sur écran large.

Paramount choisit donc de privilégier le projet d’une nouvelle série, "Star Trek : Phase II", prenant pour base une mission supplémentaire de cinq ans avec tout l’équipage original de l’Enterprise. Mêlant l’utile à l’agréable, le studio prévoit justement le lancement d’un autre réseau, PTS, idéal pour la diffusion de son bébé. Un pilote est tourné en 1978 pour lequel, en l’absence de Leonard Nimoy refusant de reprendre son rôle de Spock, les scénaristes dégottent un autre Vulcain, Xon, débarrassé du peu d’émotions humaines dont son illustre aîné était encore capable (et coupable). Le personnage disparaîtra lors de la mise en chantier du film, mais deux autres prévus pour la série resteront : William Decker, un jeune officier, et une navigatrice extraterrestre, Ilia. Un script est rédigé qui plaît aux pontes du studio, et tout est prêt pour démarrer le tournage. Mais deux événements viennent gâcher la fête : la sortie et le triomphe d’un autre long-métrage de S-F, "Rencontres du troisième type" de Steven Spielberg, et l’annulation du réseau télévisé PTS. Sauf que, cette fois, le premier événement prime sur le second : le studio se montre à nouveau enthousiaste à l’idée de produire un film sur les bases de ce qu’aurait dû être "Star Trek : Phase II".

Vers un bon scénario, et au-delà !

Le récit des scénarios successifs de "Star Trek, le film" aurait pu constituer, en soi, la matière d’une excellente fiction. En 1975, Gene Roddenberry rédige un script titré The God Thing, l’histoire d’une mystérieuse entité aux pouvoirs incommensurables se dirigeant vers la Terre, interceptée par l’Enterprise, se révélant être un superordinateur banni de sa dimension. La Paramount dit non, mais le principe se retrouvera dans la version finale du script (l’entité mystérieuse fondant vers la Terre) tandis que la référence divine offrira ses bases au cinquième film de la saga, et sans doute le plus médiocre de la première génération, "L’Ultime Frontière".

Le studio fait appel, pour l’aider à trouver un bon scénario, à des auteurs de science-fiction parmi les plus célèbres – Ray Bradbury, Theodore Sturgeon, Harlan Ellison et Robert Silverberg, rien que ça –, en vain. Rien ne semble les satisfaire. Les scénaristes britanniques Allan Scott et Chris Bryant proposent enfin un synopsis appelé "Planet of the Titans", relatant le voyage dans le temps de l’Enterprise jusqu’à la préhistoire de la Terre, tandis que les Titans de la mythologie se révèlent être des extraterrestres ! La Paramount, emballée, contacte même Philip Kaufman ("L’Étoffe des héros", "L’Invasion des profanateurs") pour la réalisation. La pré-production démarre à l’automne 1976, le scénario est prêt en mars 1977… et tout fout le camp. Les scénaristes quittent le navire suite à des modifications effectuées contre leur gré, Kaufman apporte quelques retouches (notamment en mettant Spock en avant comme commandant de son propre vaisseau, aux prises avec un ennemi Klingon) et Gene Roddenberry fait la grimace. Puis sort "La Guerre des étoiles", le coup de grâce (ou plutôt : la prise vulcaine) de la première version du film.

Plus tard, une fois le projet de nouvelle série abandonné, Paramount revient au long-métrage dans un ultime virage. Le scénario idéal existe déjà : In Thy Image, celui du pilote prévu pour "Phase II", mis en forme par Alan Dean Foster à partir d’une idée de Gene Roddenberry – le retour vers la Terre d’une sonde de la NASA ayant pris conscience d’elle-même – puis réécrit par Harold Livingston. Michael Eisner et Jeffrey Katzenberg, alors à la tête de la Paramount, s’étaient enthousiasmés pour ce script qu’ils imaginaient bien devenir le fameux long-métrage-serpent-de-mer de "Star Trek". Une fois le projet sur les rails, on se montre pragmatique : la plupart des éléments ayant déjà servi à la pré-production de "Phase II" sont réutilisés, depuis les décors jusqu’aux costumes, en passant par le principe d’un dépoussiérage en bonne et due forme du vieux design de l’Enterprise imaginé par Matt Jefferies. Les prises de vues commencent au printemps 1978.

En chantier

L’arrivée de Robert Wise aux commandes du film donne à celui-ci un inestimable cachet, le réalisateur du "Jour où la Terre s’arrêta" et du méconnu "Mystère Andromède" étant toujours l’un des géants d’Hollywood – en fin de carrière. La légende veut que ce soit la femme de Wise qui l’ait convaincu d’accepter la proposition, étant elle-même une grande fan de la série… Quoi qu’il en soit, le tournage démarre avec un script qui, lui, peine à trouver sa conclusion. La version finale de l’histoire mêle les éléments des précédents scénarios évoqués : une entité de taille cyclopéenne se dirige vers la planète bleue, dotée d’une effrayante puissance de frappe, et l’Enterprise est le seul bâtiment susceptible de l’intercepter dans les temps. L’entité en question se fait appeler V’Ger et semble en quête d’une réponse à ses questions existentielles. Mais comment aboutir à une fin ? Les scénaristes s’arrachent les cheveux.

Tout l’équipage de l’Enterprise est de nouveau réuni, y compris Spock puisque Leonard Nimoy a fini par accepter. De fait, le personnage de Xon disparaît tandis que ceux de Decker et Ilia sont conservés – ils jouent un rôle majeur dans le film. Le directeur artistique Richard Taylor et l’illustrateur Andrew Probert sont chargés de reprendre le design du célèbre vaisseau pour le moderniser, sans trahir son apparence si singulière. Robert T. McCall, de son côté, est appelé à la rescousse par Robert Wise pour définir l’esthétique de V’Ger, l’une des merveilles de ce "Star Trek". Le plus gros problème vient des effets spéciaux, particulièrement difficiles à réaliser : l’équipe dirigée par Robert Abel échoue dans son entreprise et perce un trou de cinq millions de dollars dans le budget, pour rien. Il faut à la Paramount faire appel à Douglas Trumbull et John Dykstra, qui réaliseront les merveilleuses maquettes du film, et surtout celle, beaucoup plus imposante, de l’Enterprise, voulue par Wise pour franchir avec succès le cap du petit écran de télévision. Enfin, la musique est confiée à Jerry Goldsmith, le compositeur de la bande-originale d’"Alien, le 8e passager". Goldsmith exerce son talent sur une séquence qui voit Kirk observer l’Enterprise en chantier, mais Roddenberry n’est pas convaincu au premier abord ; il faudra une seconde tentative pour que Goldsmith trouve le ton, et le thème parfait servant de gimmick musical pour le mythique vaisseau.

V’Ger : le « méchant » ultime

Soucieux de bien affirmer les différences entre son film et l’univers du tout récent "Star Wars", Roddenberry a mis un point d’honneur à construire "Star Trek, le film" sur des principes totalement absents de la saga de George Lucas. D’abord, si le scénario a l’air si vide pour nos contemporains, c’est parce qu’il se développe effectivement sur une base extrêmement mince afin de mettre en perspective l’aspect visuel. Par exemple, la redécouverte de l’Enterprise par Kirk tient de l’idolâtrie, tant Wise fait durer la séquence au-delà de toute raison : on va et vient autour du vaisseau le temps d’une stase quasi muette faisant la part belle aux émotions (les yeux de Kirk qui s’illuminent face à son bâtiment) et à la musique de Goldsmith.

Il est peu dire, ensuite, que les événements ne se précipitent pas. Il faut attendre la 30e minute environ pour que l’équipage soit prêt et que l’Enterprise quitte sa base, comme s’il était nécessaire de laisser le temps au public d’apprécier le retour de ses personnages tant aimés (et de découvrir, au passage, les petits nouveaux). Enfin, il devient rapidement évident que le protagoniste principal de ce film n’est autre que V’Ger lui-même, immense nuage magnétique sorti d’un imaginaire grandiloquent, construction électronique et mécanique totalement invraisemblable par ses dimensions comme par sa nature. L’existence même de V’Ger ouvre des horizons philosophiques nouveaux, conférant à ce "Star Trek" une couleur métaphysique qui renvoie à la série d’origine tout en s’inspirant du cinéma d’auteur (avec "2001, l’Odyssée de l’espace" en ligne de mire) – le must pour une production à 46 millions de dollars visant à réunir un maximum de spectateurs ! V’Ger apparaît comme le « méchant » ultime, c’est-à-dire une « conscience » en quête de ses origines, destructrice non par volonté, mais par frustration. Encore aujourd’hui, le voyage de l’Enterprise au cœur de cette entité et le parcours final de Spock dans les entrailles de la machine, restent de remarquables moments de cinéma, aussi nobles que sublimes.

Grand film, petit accueil critique

Il n’est pas donc étonnant que la réception critique soit si mauvaise… À sa sortie, en décembre 1979, les journalistes lui tombent sur le coin du nez avec violence. Ceux-ci lui reprochent, en gros, de ne pas raconter grand-chose et de le faire plutôt mal, avec des personnages vivant des péripéties par écran interposé dans un bain d’effets visuels écrasant tout le reste. Il est difficile de leur donner tort, mais tout dépend du point de vue : avec le temps, ces blâmes sont devenus des qualités faisant de ce "Star Trek" une exception superbe dans l’histoire de la saga au cinéma. Le public, lui, ne boude pas son plaisir : avec 139 millions de dollars de recettes à travers le monde, le film bat, entre autres, le record d’entrées lors du premier week-end d’exploitation, détenu alors par "Superman". Il reçoit même trois nominations aux Oscars mais, comme c’est trop souvent le cas pour les films de science-fiction, dans des catégories techniques (meilleure direction artistique, meilleurs effets visuels, meilleure musique originale).

Le regard de la Paramount est moins bienveillant. Avec, au départ, un budget de 46 millions (le plus élevé en son temps), en comptant les coûts de préparation de "Phase II", le film ne rapporte pas suffisamment au goût du studio, qui met en cause la responsabilité de Gene Roddenberry et lui retire son contrôle artistique pour les suites (sic). Il s’avère néanmoins que "Star Trek, le film" reste celui de la franchise ayant rapporté le plus d’argent jusqu’au reboot par Abrams.

En 2001, la Paramount a sorti le film en DVD dans une édition Director’s cut longue de quatre minutes supplémentaires et aux effets spéciaux remasterisés. On en retiendra surtout une ouverture musicale inédite, sur un fond d’étoiles en mouvement, qui rapproche ostensiblement "Star Trek, le film" des grandes productions épiques hollywoodiennes ("Lawrence d’Arabie", "Docteur Jivago", "Ben Hur", "Cléopâtre"). La plus belle façon de rendre hommage à cette œuvre que l’on aurait tendance à sous-estimer pour la plus mauvaise des raisons : le passage inexorable du temps.

Eric Nuevo Envoyer un message au rédacteur