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Critique Série : BOSS
Série créée par Farhad Safinia
Avec Kelsey Grammer, Connie Nielsen, Hannah Ware, Jeff Hephner, Kathleen Robertson, Martin Donovan…
Première diffusion en France : 2012 sur OCS
Format : 55 minutes en moyenne par épisode (8 épisodes pour la saison 1)
Synopsis
Dans les coulisses du pouvoir de la ville de Chicago, le maire, Tom Kane, atteint de dégénérescence mentale, tente de cacher son état à son entourage, lequel est bien trop occupé pour se rendre compte du moindre signe inhabituel. Sa femme et lui ne partagent plus rien, ses collaborateurs ont trop de respect pour lui et le craignent trop pour poser la moindre question, et Ben Zajac, qui s'imagine en futur gouverneur de l'Illinois, est rongé par l'ambition. Sa fille, Emma, est la seule à soupçonner que quelque chose ne tourne pas rond mais elle est encore loin de la vérité...
Critique : Dans l’ombre du pouvoir
À l’inverse de la plupart des séries, dont on ne sait si elles seront renouvelées, annulées et donc un jour terminées, la fin de Boss est énoncée dès l’introduction du pilote : le personnage principal est atteint d’une maladie neurologique incurable (à mi chemin entre Alzheimer et Parkinson). La série fonctionne dès lors comme un compte à rebours, la désagrégation progressive d’un homme de pouvoir, d’influence, figure forte que son entourage n’imagine pas une seconde voir vaciller.
Bien heureusement, le petit jeu du « qui saura qu’il est malade le premier ? » est vite évacué pour dessiner une peinture à la fois impressionniste et dramatique (au strict sens du drama à l’américaine) du microcosme politico-médiatico-financier. Sur fond de scandales en tous genres, « Boss » brosse le portrait d’un homme charismatique, contradictoire, dévoré par l’ambition et par cette étonnante conviction que ses actes les plus dégueulasses ont un sens et relèvent in fine de l’intérêt général. C’est là où cette saison 1 bouleverse : un maire peu scrupuleux, prêt à sacrifier sa propre famille pour conserver son trône (la métaphore est d’ailleurs filée dans tous les dispositifs de mise en scène de la série), qui dans le même temps se voit contraint d’installer des caméras dans son bureau pour enregistrer ces moments où il perd la mémoire. Un control-freak qui revoit par webcam interposée sa propre déchéance, ses pertes totales de contrôle…
Personnage méphistophélique par excellence, Tom Kane possède l’épaisseur d’un Tony Montana ou d’un Michael Corleone qui aurait troqué la drogue pour la politique. On retrouve chez ce personnage comme chez ces illustres mafieux une ambition sans limite. Celle-ci se traduit par l’instrumentalisation des proches, le sacrifice consenti ou non de ces derniers, et surtout la volonté de s’accaparer le pouvoir qui va jusqu’à l’absurde, faisant fi de toute idée de transmission qu’elle soit familiale ou professionnelle. Roi shakespearien que sa maladie condamne à ne pas voir au-delà de sa propre fin, Tom Kane reçoit ses spin-doctors comme il recevrait ses vassaux. Car tout dans "Boss" renvoie aux intrigues de cour et donne à voir une vision contemporaine d’un système féodal, ou la démocratie ne serait qu’un simulacre : le sort d’une élection est ici soigneusement orchestré, chaque camp déplaçant ses pièces sur l’implacable échiquier politique.
"Boss" dépeint alors des responsables politiques si malfaisants, si arrivistes, que le trait semble parfois un peu forcé. Ce serait oublier la force romanesque de la série, filmée comme un thriller, avec un réalisme et une proximité qui n’est pas sans rappeler l’illustre grand frère "The Wire". Gus Van Sant, qui dirige le pilote, imprime ce style visuel et narratif, repris dans les 7 épisodes qui suivent. Il apporte aux scènes de sexe une intimité et une crudité rare, que ce soit à la TV ou au cinéma, rendant particulièrement hypnotique ce spectacle du pouvoir, qui prend des atours charnels au gré de ces scènes qui semblent exprimées toutes les pulsions contrariées de ces personnages corsetés dans leur hypocrisie quotidienne.
Grande réussite, "Boss" ne serait rien sans son casting impeccable, porté par Kelsey Grammer qui remporta à juste titre le Golden Globe du meilleur acteur pour son interprétation puissante d’un Boss qui ne l’est pas moins.