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COURTS MÉTRAGES : 4 adaptations de Roald Dahl par Wes Anderson sur Netflix

Wes Anderson a été prolifique en 2023 : outre le long métrage "Asteroid City" (en compétition à Cannes puis sorti en salles en juin), il a livré 4 courts métrages adaptés de l’œuvre de Roald Dahl, directement sortis sur Netflix en septembre, après la présentation du plus long d’entre eux à Venise : "La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar".

On ne manque pas d’exemples d’adaptations de l’œuvre de Roald Dahl sur petit ou grand écran : "Charlie et la chocolaterie" de Mel Stuart (1971) ou Tim Burton (2005), "Matilda" de Danny DeVito (1996), "James et la Pêche géante" de Henry Selick (1997), "Le Bon Gros Géant" de Steven Spielberg (2016)... Son univers est toujours aussi enthousiasmant plus de trente ans après la mort de l’auteur, avec "Wonka" qui vient de sortir en décembre 2023.

Wes Anderson s’y est lui aussi déjà frotté – et avec succès – lorsqu’il a réalisé en 2009 son premier film d’animation : "Fantastic Mr. Fox". Le voilà donc de retour auprès de l’auteur gallois en adaptant quatre de ses nouvelles. Présenté à la Mostra de Venise le 1er septembre 2023, le moyen métrage "La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar" débarque sur Netflix le 27 septembre, suivi de trois autres courts métrages : "Le Cygne", "Le Preneur de rats" et "Venin".

Tous filmés début 2022 à Londres, les quatre films partagent évidemment l’esthétique habituelle du cinéaste et les marqueurs typiques de sa mise scène (par exemple la narration face caméra), ainsi qu’une bonne partie de la distribution puisque plusieurs acteurs reviennent d’un court métrage à l’autre et jouent parfois plusieurs rôles dans un même film. Notons notamment Ralph Fiennes, qui est le seul présent dans tous les films, majoritairement comme incarnation de Roald Dahl lui-même. Si certains ont déjà joué sous la direction de Wes Anderson – c’est le cas de Fiennes (déjà vu dans "The Grand Budapest Hotel") ou de Rupert Friend ("The French Dispatch", "Asteroid City") – d’autres font leurs débuts dans son univers : Benedict Cumberbatch, Dev Patel, Ben Kingsley et Richard Ayoade.

Ces quatre films partagent aussi un principe de pseudo-transparence : des personnages-machinistes sont régulièrement visibles à l’écran pour faire évoluer certains décors ou costumes, et ceux-ci sont interprétés par de véritables collaborateurs du réalisateur, comme les accessoiristes Benoît Herlin et Octavio Tapia ou l’assistant Eliel Ford. Notons enfin un autre point commun : avant le générique de fin, chaque film propose un court texte expliquant les circonstances de l’écriture de l’histoire originale par Roald Dahl.

LA MERVEILLEUSE HISTOIRE DE HENRY SUGAR

Titre original : The Wonderful Story of Henry Sugar
Avec Benedict Cumberbatch, Ralph Fiennes, Dev Patel, Ben Kingsley, Rupert Friend, Richard Ayoade, Jarvis Cocker, David Gant…
Durée : 37 minutes
Date de sortie sur Netflix : 27 septembre 2023

Synopsis : Un homme riche, Henry Sugar, découvre l’histoire d’un Indien ayant développé la capacité de « voir sans ses yeux ». Ayant une addiction aux jeux d’argent, il y voit une possibilité de réussite s’il développe le même don prodigieux…

Note : 5/5

C’est le morceau de choix et celui qu’il ne faut pas louper ! Avec la minutie et la malice qu’on lui connaît, Wes Anderson nous propose un récit enchâssé aussi exigeant qu’exaltant pour le public. Au menu (attention accrochez-vous !) : Roald Dahl (Ralph Fiennes) parle de sa manière d’écrire et raconte une histoire, dans laquelle le Henry Sugar du titre (Benedict Cumberbatch) raconte à son tour son histoire et celle qu’il lit dans le livre du médecin Z.Z. Chatterjee (Dev Patel), lequel prend le relai pour parler d’Imdad Kahn (Ben Kingsley), un Indien capable de voir quand il a les yeux fermés ou bandés, lequel conte à son tour son propre passé. Tout cela avec évidemment quelques allers-retours entre les différentes narrations. Oui, ça peut donner le tournis, mais c’est tellement beau, captivant et drôle que le jeu en vaut la chandelle en termes d’efforts nécessaires pour ne pas perdre le fil.

Avec des décors gigognes et/ou amovibles qui renforcent à la fois la théâtralité assumée et la magie du côté conte fantastique, "La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar" fascine de bout en bout. On retrouve avec bonheur les influences multiculturelles de Wes Anderson (surtout cette Inde qu’il avait déjà mise en scène dans "À bord du Darjeeling Limited") et son art graphique millimétré qui donne ici l’impression de plonger dans un album jeunesse en pop-up. On admirera par exemple la scène où le personnage de Ben Kingsley narre sa quête du yogi lui ayant permis d’acquérir son don, avec une splendide fresque animée dans la partie supérieure de l’écran alors que le personnage est rajeuni « en direct » (changement de postiches) dans la moitié inférieure. Côté interprètes, on retiendra particulièrement le jeu de ce même Ben Kingsley (qui remet un costume de personnage indien plus de 40 ans après son rôle oscarisé dans "Gandhi") et celui de Benedict Cumberbatch.

LE CYGNE

Titre original : The Swan
Avec Rupert Friend, Ralph Fiennes, Asa Jennings…
Durée : 17 minutes
Date de sortie sur Netflix : 28 septembre 2023

Synopsis : Un jeune garçon est harcelé par deux autres garçons, plus forts physiquement mais bien moins intelligents que lui…

Note : 3/5

C’est au tour de Rupert Friend de s’occuper de la narration principale dans "Le Cygne", d’après une nouvelle issue du même recueil que "La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar", publié en 1977. Tout commence avec une véritable envie de s’enfoncer dans le décor que sillonne l’acteur : une sorte de couloir extérieur entre deux haies dont surgissent les différents « machinistes » et le seul véritable personnage du film (le garçon harcelé). La performance de Rupert Friend, qui singe ponctuellement la voix voire l’expression des personnages de son récit, est particulièrement engageante, tout comme la façon dont le rôle du gamin harcelé est de facto partagé par Friend lui-même et par le jeune Asa Jennings.

Pourtant, ce court métrage s’avère moins palpitant. À cause d’un décor plus monotone et d’une photographie austère (pour ne pas dire déprimante, avec son ciel gris), l’atmosphère paraît fade par comparaison si l’on a déjà vu le moyen métrage précédent. La conclusion manque également de rythme, alors que cette fin devrait bouleverser.

Le récit ne manque toutefois pas d’intérêt, entre autres pour la thématique du harcèlement (avec la bonne idée de ne jamais représenter les harceleurs). Parmi les réjouissances, figure également une scène qui réinvente le stéréotype du personnage attaché sur un chemin de fer. Enfin, notons que la relative frugalité des moyens permet à Wes Anderson d’avoir souvent recours au hors champ et à la suggestion, ce qui n’est pas si commun chez lui, son style lorgnant plutôt vers la sur-représentation de n’importe quel détail (généralement on voit et entend tout ce qui est vu et entendu par les personnages de ses films, et même tout ce qui est mentionné dans les dialogues ou pensé par les protagonistes).

LE PRENEUR DE RATS

Titre original : Ratcatcher
Avec Richard Ayoade, Ralph Fiennes, Rupert Friend…
Durée : 17 minutes
Date de sortie sur Netflix : 29 septembre 2023

Synopsis : Un garagiste fait appel à un dératiseur. Celui qui se présente a l’air de bien s’y connaître, mais peut-être un peu trop…

Note : 3/5

Adaptation d’une nouvelle parue en 1953, "Le Preneur de rats" utilise une unité de lieu (un garage auto et ses alentours immédiats) mais pas de temps (des ellipses ou accélérations suggérées par la narration). Outre les quelques machinistes qu’on a désormais l’habitude de voir après le visionnage des deux précédents films, le casting se limite à trois acteurs : alors que Richard Ayoade prend en main la narration (il jouait deux personnages dont le yogi dans "La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar"), Ralph Fiennes, tout en continuant d’interpréter Roald Dahl le temps d’un bref interlude (seule rupture de l’unité de lieu), incarne le dératiseur du titre. Méconnaissable (moins qu’en incarnant Voldemort, certes, mais quand même…), Fiennes donne corps à ce personnage troublant et répugnant.

Jouant partiellement avec la suggestion, quand le dératiseur est supposé montrer des objets ou animaux qu’il sort de ses poches alors que les mains de Fiennes sont vides et ne font que mimer, Wes Anderson nous surprend ensuite lors du point culminant du film : l’inquiétant personnage dégaine cette fois une sorte de rat empaillé pour matérialiser un animal supposé vivant, lequel bouge ensuite quelques temps par la magie de l’animation en volume dont Anderson est coutumier ("Fantastic Mr. Fox", "L’Île aux chiens"…), puis Rupert Friend, qui interprète le garagiste, imite soudainement le rat pour un face à face avec le dératiseur dans une scène qui joue ponctuellement avec les codes du film d’horreur tendance Universal Monsters ! La conclusion, abrupte, peut laisser perplexe et demande un peu d’attention de notre part pour la comprendre : il convient donc de bien observer le regard des personnages et un détail du décor.

VENIN

Titre original : Poison
Avec Dev Patel, Benedict Cumberbatch, Ben Kingsley, Ralph Fiennes …
Durée : 17 minutes
Date de sortie sur Netflix : 30 septembre 2023

Synopsis : En Inde, un Anglais est contraint de rester immobile dans son lit en attendant qu’un serpent venimeux, qui s’est faufilé sous son drap, s’en aille. Lorsque son assistant arrive chez lui et prend connaissance de la situation, celui-ci appelle un médecin pour le sauver en cas de morsure…

Note : 4/5

C’est une autre nouvelle du recueil de 1953 qui sert de base au scénario du quatrième et dernier film. Retour en Inde, avec Ben Kingsley en médecin indien, Dev Patel en assistant et narrateur, et Benedict Cumberbatch dans le rôle de l’homme cloué au lit à cause d’un dangereux serpent qu’il ne faut surtout pas perturber. Cumberbatch est remarquable dans son interprétation minimaliste imposée par la posture de son personnage, jouant avec le moindre détail insignifiant de son visage (en particulier ses zygomatiques qui sont explicitement mentionnés dans le récit).

Accentuant la manière dont il a pu le faire dans certaines séquences de ses longs métrages, Wes Anderson parvient à installer une vraie tension, en ayant recours par exemple à un ventilateur plafonnier qui contribue à instaurer une ambiance de film de guerre – le réalisateur s’amuse avec le codes du genre, le dialogue faisant aussi un clin d’œil aux scènes dans lesquels un soldat est sur le point de mourir avec d’autres combattants à son chevet, alors que le protagoniste incarné par Patel est lui-même un militaire. Évidemment, l’absence total du serpent à l’écran alimente aussi ce suspense, alors que la narration de Dev Patel apporte des touches plus humoristiques.

Plus encore qu’avec "Le Preneur de rats", Wes Anderson nous propose ici un véritable film à énigme : à nous, en effet, de trouver une explication à cette histoire qui donne l’impression de se terminer en queue de poisson (ou plutôt de serpent) ou à ce plan mystérieux qui montre Patel manifestement ailleurs et à un autre moment (en témoignent sa tenue blanche et sa grosse cicatrice) alors qu’il continue de nous narrer l’événement principal. On pourra certainement questionner la santé mentale de certains personnages, et il n’est pas interdit non plus de voir ce court métrage comme une réflexion sur la guerre, le racisme et le colonialisme (le serpent, le venin et le chloroforme étant de possibles métaphores).


Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur

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