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ANALYSE : la guerre des guerres

La situation est inédite dans le cinéma français. C’est la première fois que deux films ("La Guerre des boutons" et "La Nouvelle Guerre des boutons"), tous deux adaptés d’un même matériau (un film lui-même déjà adapté d’un livre), sortent dans un laps de temps aussi rapproché, à savoir une semaine. Comment analyser le phénomène, qui plus est après les multiples commentaires ? Faut-il y voir le verre à moitié vide, ou à moitié plein ?

Le premier réflexe est de considérer la situation d’un œil mauvais, et de penser que le cinéma français est tombé bien bas. Les films vont obligatoirement se partager les entrées que l’un des deux aurait pu accumuler à lui seul. C’est peut-être vrai. Comment également justifier qu’un des deux producteurs n’ait pas laissé tomber le projet, sachant que le premier était déjà sur le coup. Yann Samuell a commencé à développer son film "La Guerre des boutons", chapeauté par le producteur Marc de Pontavic. Peu de temps après, Thomas Langman, qui a reçu un scénario adaptant l’histoire, lance son projet réalisé par Christophe Barratier. De Pontavic et Samuell, arrivés dans la place les premiers, considèrent ainsi qu’ils n’ont pas à céder leur tour, d’autant qu’ils ont déjà convaincu des financiers de les supporter. Thomas Langmann, fils de Claude Berri s’il est besoin de le rappeler, n’entend pas abandonner son projet pour autant. L’homme a un égo surdimensionné, mais il n’en reste pas moins un excellent producteur, attaché à des projets divers, parfois à part ("Mesrine", "The Artist"), et n’entend pas qu’on lui apprenne son métier. Tous deux se font la même réflexion : le marché décidera, et un des films ne se fera pas. Mais, miracle, les deux se font : à trois jours du tournage, "La Guerre des boutons" réussit à trouver les 3 millions d’euros qui lui manquent et le film se tourne.

© UGC Distribution

Quelque part, c’est une bonne nouvelle pour le cinéma français que deux films assez importants aboutissent malgré tout. Cela veut dire qu’il y a de l’argent, qu’il est dépensé dans des productions nationales par des producteurs qui parient gros. Bien sûr, l’histoire est connue et les castings, portés par des stars, magnétisent facilement l’argent. Les producteurs n’en ont pas moins une peur bleue que leur film ne soit pas celui qui l’emporte. Samuell aurait pu se dégonfler : il a eu plus de difficulté à trouver son financement et son film ne s’est pas vendu dans le monde entier. Barratier également, car il sait qu’il y a de fortes chances qu’il arrive en deuxième position en termes de sortie, ce qui sera le cas. Mais personne ne baisse les bras. Les équipes des deux clans ne sont pas particulièrement flatteuses en ce qui concerne le projet opposé, et le clan Samuell raconte les chèques en blanc proposés pour arrêter le tournage et filmer autre chose, les appels à l’équipe technique faisant pression… La presse parle de « guerre » et Langmann, à la sortie du film concurrent, le traite de « téléfilm ». Celui-ci, "La Guerre des boutons", parvient tout de même à sortir une semaine avant « La nouvelle guerre des boutons », lequel avait déjà avancé sa date de sortie -Christophe Barratier prétend d’ailleurs que le travail s’est fait dans l’urgence (on veut bien le croire), mais que rien n’a été bâclé (on est déjà plus septiques...). La post-production des films, dont le tournage s’est achevé en juillet, s’est donc faite à la vitesse de la lumière, le but était de sortir avant l’autre… Et l’on se souvient que dans le duel "Coco avant Chanel" et "Coco Chanel et Igor Stravinsky", le premier avait imposé un K.O.

© Mars Distribution

Et le résultat, qu’en est-il ? Le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide ? Un peu des deux, mon général, mais il y a à nouveau deux manières de considérer les choses. La qualité des films tous d’abord. De ce point de vue, la différence n’est peut-être pas aussi importante qu’on le dit ici et là, même si celui de Samuell, "La Guerre des boutons" desservi par une mise en scène inexistante mais avantagé par son scénario plus solide et assez sombre, ses batailles violentes entre les mômes et son vrai propos sur l’égalité des chances, est légèrement meilleur que son concurrent "La Nouvelle Guerre des boutons". Celui-ci est censé viser un public plus mûr, en abordant la Seconde Guerre mondiale, mais sans rendre le sujet vraiment présent (sauf dans une fin un peu étrange, qui se termine par un carton nous livrant l’avenir de personnages alors que ceux-ci n’ont jamais existé). Le film perd beaucoup en intensité à cause des comédiens inégaux, de clichés pas évités, et d’une musique sans retenue. On reste donc globalement un peu plus convaincus par "La Guerre des boutons" de Samuell, parce qu’un bon scénario a plus d’impact qu’une bonne mise en scène, sans pour autant que cela débouche sur un K.O.

Mais ce qui surprend le plus dans l’histoire, et qui peut nous réjouir, est que ces films ne sont en aucun cas des copies l’un de l’autre, ou des copies de l’original, dont ils se distinguent clairement. Thomas Langmann, quand il affirmait de façon très démagogique pour se défendre avoir fait une « deuxième deuxième » guerre des boutons malgré tout, proclamait qu’il n’était pas rare que deux thrillers sortent à peu de temps d’intervalle en se ressemblant beaucoup, sans que personne ne s’en émeuve. Ici, deux clans de gamins s’opposent et se livrent à des batailles au cours desquelles ils se piquent leurs boutons. Le reste est histoire de cinéma, de mise en scène et de personnalité, avec d’une part un joli film académique, soigné, mais un peu mièvre, d’autre part un film coup de poing, qui rentre dedans sans prévenir. Tous deux sont également bien différents de l’original, mais malheureusement aucun ne parvient à le surpasser, ne serait-ce qu’au niveau de l’émotion (même si le film de Samuell ne s’en tire pas trop mal). La principale faute, à mon humble avis, à des post-production beaucoup trop courtes qui ne semblent pas avoir permis au réalisateur de peaufiner leur travail et de faire leur métier jusqu’au bout.

Il n’y aura donc pas de victoire écrasante, ni de l’un, ni de l’autre, mais juste deux films visant des sensibilités complètement différentes, et qui auront fait beaucoup de bruit, pas forcément pour de bonnes raisons. Car encore une fois, on sait qu’à partir d’un même sujet, les traitements sont tellement nombreux. Le début de l’année 2012 nous proposera d’ailleurs une adaptation de "Millénium", assez peu de temps après la sortie en salles du film suédois. S’agit-il là encore d’un vague remake américanisé comme le prétendent certains, ou simplement d’une adaptation de l’histoire différente ? Réponse en février 2012.

Ivan Chaslot Envoyer un message au rédacteur

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