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ABUS DE BOUQUINS : Carnet de l’aventurier du Dr Jones

Au mois de juin de cette année, un de nos rédacteurs historiques, François Rey, a sorti un livre « non officiel » mais très complet sur Indiana Jones. Il était temps que nous vous le présentions puisquil présentera la « Journée Indiana Jones » organisée à lInstitut Lumière le 30 décembre 2023 et quil y dédicacera son livre. Alors cest parti pour une virée avec Indy et François !

Il est difficile d’être plus complet sur un personnage aussi culte (à part, évidemment, la quasi absence du dernier film puisqu’il est sorti trop récemment). Le livre commence par une « chronologie du personnage » (qui permet de remettre dans l’ordre tout un tas de données sur le héros et son entourage, auxquels s’ajoutent quelques repères historiques) et par une « chronologie sélective des œuvres principales » (oui, on a bien dit « sélective ») qui donne déjà le tournis : si vous pensiez qu’Indiana Jones n’était le héros « que » de cinq longs métrages, vous aurez déjà des surprises dès la page 6 !

Ensuite, l’aventure filmique se déroule à hauteur d’Indy, donc dans l’ordre de ses aventures et non en fonction de l’année de sortie des films. C’est donc "Indiana Jones et le temple maudit" (sorti en 1984) qui ouvre le bal, car l’histoire se déroule en 1935, soit un an avant celle des "Aventuriers de lArche perdue" (1981) qui constitue donc la deuxième partie de l’ouvrage, avant d’enchaîner sur "Indiana Jones et la dernière croisade" (1989) qui débute certes en 1912 avec un flashback mais se déroule ensuite en 1938, et enfin "Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal" (2008) dont l’histoire se passe en 1957.

Pour chaque film, moult détails de natures diverses : analyses des références ou inspirations historiques et culturelles (ce qui constitue un des meilleurs atouts de l’ouvrage), zooms sur certains personnages (Marcus Brody, Sallah, Henry Jones Sr…), clins d’œil ou comparaisons avec d’autres films… Signalons aussi des pages sur les accessoires cultes d’Indiana Jones : « Apprendre à utiliser un fouet » et « Le fédora, histoire d’un chapeau mythique ». Le tout est richement illustré et magnifiquement mis en page avec un design « carnet de bord » (traces de tasses de café comprises) très appréciable.

On se serait presque contenté de la soixantaine de pages explorant la quadrilogie, mais l’auteur a plus d’un tour dans son sac et enchaîne avec une partie sur la série "Les Aventures du jeune Indiana Jones" (évoquant aussi les téléfilms), puis une autre sur les jeux vidéo et les livres consacré au célèbre archéologue. L’ensemble du livre est à la fois instructif et divertissant, avec une impressionnante capacité à tirer des fils thématiques au-delà de la saga (par exemple en explorant la manière dont certains sujets, comme le Graal, ont été abordés dans l’histoire du cinéma). Si on voulait être tatillon, on pourrait seulement regretter que les adaptations BD aient été délaissées (notamment la trilogie dessinée par Giancarlo Alessandrini et écrite par Claude Moliterni).

Entretien avec François Rey

Pour compléter notre compte-rendu, nous avons posé quelques questions à l’auteur.

Pourquoi avoir choisi de faire un livre sur ce héros et pas un autre ?

Je souhaitais écrire depuis quelques temps un livre hybride, entre le cinéma et un autre domaine qui me passionne, mais surtout pouvoir parler du cinéma, ou d’une œuvre au-delà de l’analyse filmique traditionnelle. C’est-à-dire utiliser ce second domaine (en l’occurrence, ici, l’Histoire) comme prisme pour parler du cinéma et vice-versa. Comme je suis fan de « Tintin c’est l’aventure », un périodique publié par "Géo", l’Histoire et la Science me faisaient de l’œil depuis un moment. J’avais trois personnages en tête de liste : Indiana Jones, Nathan Drake (des jeux vidéo "Uncharted") et les héros de la série des "Assassin’s Creed". On va dire que la sortie d’un nouvel Indiana Jones au cinéma a aidé l’éditeur à me donner un feu vert sur ce personnage. La contrepartie fut de laisser un délai très court pour écrire le livre… Ce fut donc très intense !

Comment as-tu procédé pour tes recherches, et notamment sur les comparaisons avec la réalité historique ?

C’est une question très intéressante, car elle fait appel à la fois à mes acquis et aux grandes difficultés rencontrées lors de l’écriture. Comme le sujet m’intéressait depuis longtemps, j’avais plus ou moins les grandes lignes pour chaque chapitre. Je savais que je souhaitais parler de l’occupation de l’Inde par l’Empire Britannique, des croisades, des artefacts religieux…et que pour ces sujets, je voulais opérer sur un équilibre réalité / films / univers culturel étendu. Par exemple, pour l’Inde, je voulais écrire sur, bien entendu, les aventures d’Indiana dans le pays, la place des colonies dans l’Histoire, mais aussi comment les autres œuvres, que ce soient des films ou des romans, ont abordé ce sujet. Donc là-dessus, ce fut assez simple : de la documentation soit en bibliothèque, soit sur Internet où l’on trouve facilement de nombreux articles (comme "National Geographic") ou des publications universitaires. D’ailleurs, petit conseil, Wikipédia est très bien pour une chose : pas pour le contenu qui n’est pas toujours vérifié, mais pour la liste d’ouvrages en notes, à la fin de chaque article. C’est un très bon point de départ bibliographique.

Ensuite, les difficultés rencontrées furent les déconvenues face à des certitudes que la fiction a pu faire passer pour de la réalité. En effectuant mes recherches, tout ce que je pensais savoir avec conviction sur le parti nazi et les recherches occultes s’est un peu retourné contre moi ! Mais cela m’a permis, une fois la vérité rétablie, d’alimenter mon article dans ce sens : les œuvres ont une responsabilité envers l’Histoire et un devoir de mémoire important. On ne peut pas raconter n’importe quoi sous prétexte que cela sera plus cool que la vérité.

Enfin, il y a des choix éditoriaux à faire. J’aurais adoré écrire sur l’histoire des Maharadjas, mais en 2 ou 4 pages, cela aurait été difficile d’être concis et de ne pas juste survoler le sujet. Cette thématique a donc été abandonnée.

Comment s’est opéré le choix des illustrations et de la mise en page graphique ? Ya-t-il eu des blocages en termes d’autorisations ?

Nous étions partis sur quelque chose de beaucoup plus traditionnel au départ, mais à mesure que l’écriture avançait, l’idée de jouer le jeu complètement sur l’aspect carnet s’est imposée d’elle-même. J’ai eu la chance de travailler avec une graphiste/maquettiste très talentueuse, Marie Nups (cherchez-la sur LinkedIn, elle est vraiment top !), à qui j’ai pu accorder toute ma confiance. J’ai ensuite, de façon pointilleuse, choisi une poignée d’illustrations supplémentaires… mais plus pour leur valeur affective. Par exemple, je suis un fan absolu de Drew Struzan, et il me fallait ses illustrations dans le livre.

Il n’y a pas eu de blocages en termes d’autorisations car il existe une sorte de tolérance pour les livres qui ont pour but d’apporter du savoir, d’étudier un sujet plutôt que de capitaliser sur une licence. Mais surtout, nous avons joué la transparence de l’œuvre non officielle en n’utilisant pas le nom « Indiana Jones » dans le titre. C’est vraiment là-dessus qu’il faut faire attention et je pense que Lucasfilm a dû apprécier que nous soyons respectueux sur ce point. Bon nombre de livres, dont un que je cite dans mes remerciements, n’ont pas cette délicatesse et s’exposent à un possible courroux. Mais dans les faits, on fait plus de bien au personnage qu’on ne profite de lui. Dans tous les cas, je n’ai jamais cherché à opérer sous le radar de Lucasfilm. Cet été, j’étais très fier de remettre un exemplaire à Doug Chiang, l’actuel vice-président… et Spielberg devrait avoir le sien courant 2024 !

Pourquoi, alors que tu as élargi vers les jeux vidéo et les romans, avoir délaissé les adaptations BD ?

J’aurais souhaité le faire, mais les pages n’étaient pas extensibles car je voulais vraiment (avec l’éditeur) sortir un livre à moins de 20 euros. Il y avait des pages dédiées aux BD, surtout qu’elles sont nombreuses. Mais dans un souci d’équilibre, nous avons décidé d’offrir quelques pages supplémentaires au quatrième film, qui est un peu l’enfant pauvre et délaissé de la saga. C’est donc la dernière partie qui a dû être limitée en nombre de pages et, plutôt que de me privilégier un médium qu’un autre, j’ai privilégié les sujets et thèmes abordés. Mais ce fut un crève-cœur de laisser partir certaines BD, comme celles du duo Moliterni/Alessandrini, qui furent les premières œuvres qui me permirent de découvrir Indiana, après les avoir reçues en cadeau dans une station contre un plein d’essence quand j’étais petit [NDLR : c’est un peu le cas aussi de l’auteur de cet article].

D’après toi, qu’est-ce qui explique le succès de ce personnage ?

Je pense que le métier d’archéologue a dû faire rêver beaucoup de spectateurs. Même s’il faut prendre sa représentation dans les films avec beaucoup de pincettes, comme je l’écris dans le livre. Et puis, si on contextualise, à la même période que la trilogie d’origine, ce sont les gros bras à la Stallone qui dominaient les écrans. On pouvait se sentir quand même plus proche d’Indiana Jones que de Rambo. C’est la vulnérabilité apportée par Harrison Ford qui, je pense, explique le succès du personnage. C’est d’ailleurs pour cette raison que Spielberg n’a même pas proposé le rôle à Charlton Heston qui fut son premier choix pendant un très court instant. On trouve quelque chose de très européen, voire très français, chez Harrison Ford. Il est sarcastique, en prend plein la tronche, est un séducteur un peu moralement limite mais bat tous les méchants au final. C’est un peu un Jean-Paul Belmondo. D’ailleurs, "L’Homme de Rio" est l’inspiration principale du personnage et non pas Tintin, comme on l’a souvent lu à tort.

As-tu une certaine frustration de ne pas avoir pu parler du cinquième opus  ("Indiana Jones et le cadran de la destinée") qui est sorti la même année que ton livre ?

Oui, complètement. En même temps, ce cinquième opus m’a permis d’écrire le livre. Mais oui, je rêve d’une édition augmentée qui pourrait l’inclure, maintenant que l’on sait que c’est fini pour de bon. D’ailleurs, je rêve d’une édition augmentée qui ferait le triple de pages, où je couvrirais de façon exhaustive les œuvres parallèles aux films. Mais cela porterait probablement le prix du livre à 60 ou 70 euros et je doute que des lecteurs puissent être intéressés d’y mettre ce prix. Malheureusement, être auteur demande aussi d’être pragmatique.

L’Institut Lumière organise donc une journée dédiée à Indiana Jones, que tu vas présenter. Peux-tu nous en dire plus ?

Je suis tout d’abord extrêmement fier d’avoir été appelé à y participer. D’autant plus que c’est la première fois qu’une rétrospective est dédiée à Steven Spielberg sous le Hangar du Premier-Film. Il y a eu un travail incroyable, que l’on a du mal à imaginer, de la part de Jérémy Cottin, le chargé de mission programmation, pour l’organiser. C’est assez magique. L’autre invité de la rétrospective était Laurent Bouzereau, le réalisateur de making-of officiel de Spielberg, qui est venu présenter "Duel" en début de mois. J’ai grandi avec ses livres et ses documentaires, c’est fou ! Cela sera donc une journée dédiée à Indiana avec la projection des quatre premiers films. J’aurai le plaisir de dédicacer mon livre entre les projections des deux premiers.

Informations

Références bibliographiques : François Rey, "Carnet de l’aventurier du Dr Jones", éditions Ynnis, 2023. (Présentation sur le site officiel de l’éditeur)

« Journée Indiana Jones » à l’Institut Lumière le 30 décembre 2023. (Précisions sur le site officiel de l’Institut Lumière)

Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur

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