ZAHORÍ
Récit initiatique et utopies patagoniennes
Mora, fille d’immigrés italiens, vit au fin fond de la Patagonie. La jeune ado s’affirme à contre-courant de ce qu’attendent ses parents, l’école ou les normes patriarcales. Le seul à être vraiment à son écoute est Nazareno, un vieux Mapuche hanté par son passé…
Pour son premier long métrage, Marí Alessandrini fait un choix ô combien pertinent en termes de cadre, optant pour le CinemaScope pour filmer la Patagonie. On retrouve ainsi certains codes esthétiques du western dans ce qu’il conviendrait d’appeler ici un « southern », puisque la réalisatrice rend hommage à la sauvage région de son enfance, véritable front pionnier du sud de l’Argentine.
Alessandrini exploite magnifiquement la rudesse et l’immensité de ces paysages, montrant la complexité qu’ont les humains à apprivoiser un tel territoire, confrontés aux vents, à l’aridité ou à l’éloignement. Ce décor met alors l’être humain face à sa petitesse et à sa vanité. Ainsi, tous les protagonistes se heurtent à la quasi impossibilité de mettre en œuvre leurs idées et désirs, d’autant que les humains eux-mêmes se mettent des bâtons dans les roues à cause de leurs opinions divergentes. Parmi ces personnages, figurent notamment un couple rêvant d’autosuffisance et d’écologie, et deux évangélistes anglophones parcourant cette steppe à la recherche d’habitants à convertir. En fait, en mêlant le drame et la poésie à un humour minimaliste lorgnant du côté de l’absurde et du burlesque, Marí Alessandrini met en images la définition de l’utopie : la réalisation impossible de rêves vus comme parfaits par les uns et contestés par les autres.
Deux personnages plus importants font face à leurs propres démons : un vieil homme hanté par le souvenir lointain l’amour de sa vie, et surtout, au centre de ce film, une ado fascinée par le mode de vie des « gauchos » qui semble inaccessible pour elle à cause de son sexe, de son origine étrangère et du végétarisme de ses parents.
Malgré toutes ces qualités et ces intérêts, "Zahorí" se heurte à des choix de mise en scène discutables. Même si la réalisatrice porte avant tout son attention sur Mira, elle se perd dans sa volonté de brosser une galerie de portraits en parallèle. Or, soit ils ne sont pas pleinement exploités et développés, soit le lien avec Mira est absent ou flou. Le traitement du vieux Nazareno est plus ample, mais Marí Alessandrini gâche ce personnage en recourant abusivement à des séquences plus ou moins mystiques, faites d’hallucinations et de rêveries mélancoliques, qui alourdissent le récit. Quant à la jument, il faut attendre longtemps pour sa présence ait un sens, et même si elle devient un enjeu important, cela ne suffit pas à justifier le choix de son nom comme titre du film. Au final, reste donc un sentiment d’inachevé face à ce beau mais frustrant long métrage.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur