YURT
Pris en étau
1996, Ahmet, adolescent de 14 ans, est contraint par son père, en plus du lycée privé la journée, de suivre les cours religieux en soirée dans un Yurt, établissement musulman, où il reste dormir chaque soir au pensionnat. Mais Ahmet ne comprend pas très bien ce qu’il fait là, ne se pliant à tout cela que par respect et amour pour son père…
Passé par la section Orizzonti du dernier Festival de Venise, le film turc "Yurt" aborde, avec les yeux de l’adolescence, la défiance entre laïques et musulmans en Turquie au milieu des années 90. Et c’est autour du personnage d’Ahmet, jeune homme sur le point de découvrir ses premiers émois, que va se faire sentir tout le poids de deux sociétés qui se sentent menacées l’une par l’autre. Obligé de chanter son allégeance à l’esprit d’Atatürk le matin dans son lycée privé, il doit s’adonner à l’étude du Coran et à des prières collectives le soir. Mais au travers de ce portrait, c’est surtout ce que projettent les autres sur sa personne qui va être mis en évidence, d’un potentiel petit ami loin des mouvements religieux pour une possible petite amie, à la peur de la damnation pour un père riche, tentant surtout de racheter ses propres pêchés plus que protéger son fils.
Mis en lumière dans un sublime noir et blanc, le long métrage fonctionne comme une lente descente aux enfers, offrant à son jeune héros de régulières respirations dont il s’empare telles des bouées de sauvetage : des dérapages en voiture avec un père complice, un jeu de ballon improvisé en salle d’étude coranique, un morceau de L’hiver de Vivaldi viran au rêve érotique (magnifique scène avec une statue antique de Femme)... La mise en scène, quant à elle, suggère le caractère carcéral pour lui de ses premiers moments à l’école coranique (barreaux aux fenêtres, surveillance par des pensionnaires eux-mêmes…) et la restriction de libertés qui s’impose peu à peu au personnage (suppression des de Bon Jovi qui « éloignent les anges », limitation des programmes télévisuels aux documentaires animaliers, interdictions des « initiatives » qui améliorent le quotidien...) et le fossé qui se creuse peu à peu avec ce père ayant viré religieux. Jusqu’au moment où plus aucune issue ne s’offre à lui, entre harcèlement à son lycée privé et maltraitance à l’école coranique, un rêve érotique sur , et une virée improvisée avec un ami permettant de redonner des couleurs à la vie, et du même coup à la photo du film.
Dénonçant tout de même le traitement des femmes souvent mariées de force (« elle s’habituera ») comme la fine limite entre corruption et mécénat, moins politique que libérateur, le scénario de "Yurt" emprunte au final une route sinueuse, entre droit au choix individuel (de sa religion, ses fréquentations, sa liberté), mais aussi conciliation possible entre laïcité et religion. Parvenant à générer des montagnes russes émotionnelles, le film doit en tous cas énormément à son lumineux interprète principal, le jeune Doğa Karakaş, dont le regard est capable de transmettre mille nuances.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur