Festival Que du feu 2024 encart

WE

Un film de Rene Eller

L’oisiveté, mère de tous les vices

Dans les Flandres, un groupe de huit jeunes ne sait que faire de son été. Afin de se faire un peu d’argent et de pimenter leur morne quotidien, ils décident de se lancer dans le porno amateur, puis dans la prostitution, jusqu’à ce que quelque chose vienne mettre un frein à leur activité…

We ! film image

"We" est un film prétentieux, à plusieurs de niveaux. Tout d’abord, dans son ambition, ce qui en soit pourrait-être louable si le résultat n’était pas caricatural et partiel. Le film veut dépeindre, sur le modèle de Verhoveen, Clarke ou Van Sant, un certain état de la jeunesse. Ici, c’est la jeunesse aisée née à la fin des années 90 qui va faire les 400 coups l’été venu. Grande prétention donc, car les trois précédents réalisateurs avaient assuré leur arrière, contrairement à Rene Eller, en comprenant que l’empathie du spectateur envers les jeunes était essentielle pour qu’ils ne passent pas pour des petits cons ingrats et pourris gâtés qui font des conneries parce qu’ils s’ennuient. Et surtout, ils avaient également compris qu’il faut une gradation dans les exactions qu’ils commentent.

Pour prendre un exemple plus récent, le "Spring Breakers" d’Harmony Korine fonctionne car le passage à l’ultra-violence de deux jeunes filles, est amené progressivement. Le spectateur est de leur côté et a senti le dérapage possible. Ici, si l’idée de faire un porno entre amis passe encore (difficilement, mais soyons charitables), le passage à la prostitution, sans que personne ne bronche, est complètement injustifié. Il en va de même pour les jeux sexuels qui existent entre eux. Mais tout cela aurait pu passer auprès du spectateur si la pression des pairs, nécessaire pour la concrétisation de telles activités, avait été mise en scène, mais il n’en est rien. Thomas, le « chef », n’est rien d’autre qu’un jeune riche revanchard, amoureux de l’argent et du pouvoir, sans aucun charisme. Incapable de justifier, dans sa seule section, que le groupe l’ait suivi sans broncher, le film s’effondre. Dommage donc. Un coup dans l’eau.

"We" est également un film prétentieux dans sa forme. Le film est en quatre parties, chacune correspond à un personnage dont le nom apparaît sur un panneau néon en introduction et dont la voix-off va rythmer la narration. Si dans le cas de Simon, qui ouvre le film, la voix-off vient régulièrement compléter ou mettre en contexte les images, les rares fois où elle ne les répète pas tout simplement, la deuxième section du film, celle de Ruth, vient montrer qu’il ne s’agit que d’une version de l’histoire, un point de vue, parfois mensonger et que Simon est un hypocrite. Perte de repère, l’image n’est donc pas l’illustration de ce que dit la voix. Mais alors quel est le point de vue, que voit-on exactement ? Ainsi, le film qui semblait commencer comme "Rashomon", ayant sans doute la volonté de montrer qu’il n’existe pas de vérité, car, comme chez Kurosawa, le film s’articule autour d’un procès où les jeunes viennent témoigner, échoue selon ses propres critères.

Pour conclure, le film se tire lui-même une balle dans le pied, s’achève en quelque sorte, quand, dans une dernière scène en voiture, extrêmement maladroite, il justifie les exactions de Thomas. "We" est toutefois un film qui fait preuve d’une extrême cohérence. En effet, son esthétique clipesque se voit renforcée par des personnages vides et caricaturaux, sans grande présence à l’écran. Un film qui est dérangeant, non pas selon ses propres termes, mais dans ses erreurs et dans la morale inconsciente qu’il porte.

Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur

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