LA VOIE DE L'ENNEMI
Trop plein de bonnes intentions
Remake lointain de "Deux hommes dans la ville" (1973, avec Jean Gabin, Alain Delon et Michel Bouquet, entre autres...), "La Voie de l'ennemi" n'en garde que le trio central et transpose l'action à la frontière mexicaine. Deuxième expérience en langue anglaise pour Rachid Bouchareb ("Indigènes", "Hors-la-loi") après "London River", qui avait valu le prix d'interprétation masculine à Sotigui Kouyate à Berlin en 2009, le film est reparti bredouille du dernier Festival de Berlin où il était présenté en compétition.
La transposition permet d'aborder la difficile question de l'immigration, forcément liée dans ce contexte à celle de la réinsertion. Et Rachid Bouchareb excelle dans cet exercice, en montrant notamment les dures conditions de travail des immigrés (ici un impressionnant et gigantesque élevage de bovins plongé dans la poussière et dans lequel son anti-héros trouve provisoirement du travail...), leur capture par des milices tolérées alors qu'intolérables, ou encore la contradiction entre leur exploitation sans vergogne par les résidents locaux et la volonté farouche des autorités comme des Américains en général d'en stopper le flux continu.
Cette difficile question sert de toile de fond à un film empreint de douleurs multiples. Bouchareb l'aborde au travers du portrait d'un Shérif (Harvey Keitel, sévère et obnubilé par la douleur persistante de la perte de son adjoint), prêt à composer avec certains principes et de celui, bouleversant d'une employée de banque vulnérable (Dolores Heredia), heureuse de la petite vie tranquille et légale qu'elle a pu enfin se façonner, et que l'arrivée dans sa vie de l'ex-taulard pourrait bien remettre en cause.
La faiblesse du film vient malheureusement d'une histoire aux bonnes intentions trop lisibles. Malheureusement la responsabilité que porte le personnage de Brenda Blethyn (déjà présente dans "London River") n'est que peu approfondie. Ainsi, seuls deux personnages parmi les prisonniers en période probatoire sont donnés à voir, au sein d'un scénario qui semble un peu trop partial : un homme âgé supposé être un menteur et le héros du film. L'un voudrait partir en Idaho passer la dernière année de sa vie, l'autre est une cocotte minute qui semble prête à exploser.
Ce dernier est interprété par un Forest Whitaker tout en colère rentrée, qui à force de donner dans l'intensité en permanence, finit par agacer. Dès le début, le spectateur a saisi les rouages du film, de la planche de salut de son personnage qui réside dans sa conversion à l’Islam, à l’étau qui risque de se resserrer autour de lui. Un a priori de spectateur, aussi induit par la première scène où il traîne un homme par les pieds, lui massacrant ensuite la tête à coups de pierres. Le signe d'une violence latente dont on attend une explication qui ne viendra pas forcément (ou pas complètement) et que le scénario ne situe pas forcément où l'on croit.
Heureusement, restent les paysages très graphiques du Nouveau Mexique et l'introduction subtile de l'isolement de la femme flic, aux pantalons trop larges, à l'allure de cow-boy mal fagoté. Sur cette base, Brenda Blethyn (peu crédible tant elle suinte malgré elle la bonté, dans ce rôle d'officier affichant dureté et méfiance uniquement), arrive tout de même à donner le change dans ses sermons et colères envers une police locale qui interfère un peu trop dans le quotidien du libéré. Mais ne faisant pas vraiment le poids face à son partenaire masculin, elle induit aussi l'un des principaux déséquilibres d'un film aussi politique et engagé, que sombre et malheureusement décevant.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur