VILLE NEUVE
Un intrigant film expérimental, mêlant intime et politique
En 1995, peu de temps avant le second référendum sur l’indépendance du Québec, Joseph se voit prêter une maison en bord de mer, sur les cotes de la Gaspésie, par un ami. Dans ces lieux, il se souvient de quelques souvenirs de bonheur avec sa femme, Emma, a qui il propose en vain de le rejoindre, afin de, peut être, redonner un élan à leur histoire. De son côté, son fils Ulysse ne lui adresse plus la parole…
Il y a dans "Ville neuve", du nom de ce lieu de villégiature dans lequel un mari, séparé, a trouvé refuge, quelque chose de déroutant autant que fascinant. Sur le thème des vieux espoirs que l'on revisite, c'est donc l'histoire d'une famille et celle d'un pays que le metteur en scène met en parallèle. D'un côté, il scrute les mouvements d'un homme isolé, tentant de renouer avec sa femme et son fils, de l'autre il interroge la capacité de ses concitoyens à voter pour une certaine idée de la liberté. Le lien entre les deux ? La politisation du père, ses écrits en forme de monologues, les poèmes qu’elle compose, plus ou moins sombres selon les moments, disant l'amour paternel, la capacité à changer, le doute...
Après une ouverture replaçant les résultats des référendums de 1980 et 1995, et montrant quelques images d'archives à la manière de vieilles diapositives, l'animation en noir et blanc se fait simple ou immersive, faisant souvent peu de cas des repères dans l'espace. Les silhouettes autres que celles des membres de la famille sont souvent d'un noir uni et profond, symbolisant danger ou distance, sauf quand la musique s'en mêle, comme trait d'union entre les êtres humains. Les allusions au bord de mer passent par la pêche, le poisson que l'on découpe ou dont on mange la chair par quartiers. Et l'ambiance du moment, entre manifestations et festoiements, passe par les sons et la multiplicité des silhouettes.
En ces temps où la Catalogne cherche l'indépendance, voici un film qui a la fois nourrit d'espoir, tout en rappelant de cruelles réalités. Félix Dufour-laperrière, lui, fait se former et se défaire les visages sur fond noir, mettant alors la parole en avant. Évitant un trop évident parallèle entre l’union du couple et celle du Canada, il adapte ici librement la nouvelle, La Maison de Chef, longue de 5 pages, de l’écrivain américain Raymond Carver, et y ajoute le contexte propre à son pays, tout en mettant face à face la colère de l'homme et la lucidité de la femme. Une œuvre expérimentale dont le ton séduit et l’image fascine, brouillant les limites entre intime, quotidien et politique.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur