UNE PART MANQUANTE
Un drame intimiste d’une immense sensibilité
Jay, quarantenaire français, est installé au Japon depuis des années, où il est devenu chauffeur de taxi. Decidé à vendre sa maison, il est sur le point de rentrer en France. Aidant une amie dont le mari japonais a enlevé leur enfant, il est en fait lui-même à la recherche de sa fille, Lily, qu’il n’a pas vue depuis 9 ans. Remplaçant un collègue qui travaille de jour, lors d’une course, il tombe sur une jeune fille en pleine rééducation, dont le visage lui évoque celui de sa fille. Après l’avoir déposée, alors que celle-ci rejoint ses camarades, ceux-ci l’interpellent par le nom de Lily…
Romain Duris retrouve enfin un rôle à la hauteur du grand acteur qu’il a toujours été. Dans "Une Part Manquante", il donne corps et regard à un homme qui n’a jamais pu se résoudre à partir du Japon, sa femme ayant gardé leur fille lors de leur séparation, et le droit de voir celle-ci lui ayant été refusé. Après l’avoir cherchée pendant neuf ans, il est sur le point de renoncer et de rentrer en France, où l’attend un père compréhensif, mais inquiet (Patrick Descamps, impeccable, même si on ne le verra que par Visio interposée), mais va croiser sa fille, Lily, se demandant alors comment lui révéler qui il est.
Récit d’une obstination tournant à l’obsession, le long métrage fait preuve d’une très grande pudeur que semblent imposer les règles de vie en communauté au Japon. L’injonction à « ne pas faire de scandale », telle une crainte ultime, revient d’ailleurs plusieurs fois au fil du métrage. S’installe ainsi au fil du récit, après les premières scènes avec Judith Chemla (formidable d’incompréhension et de courroux dans le rôle de Jessica) un calme apparent de surface, porté par la mise en scène, dont le répondant est le sang qui bouillonne intérieurement chez les personnages occidentaux. Car en accompagnant Jessica dans son quotidien, c’est toute la politique parentale et le fonctionnement de la garde des enfants en cas de séparation qui est ici radiographié, donnant du Japon une image bien moins lisse et flatteuse que dans beaucoup de films dont l’intrigue s’y déroule.
De la garde accordée automatiquement au premier parent qui prend l’enfant, à la perte pure et simple de l’autorité parentale en cas de divorce, en passant par le fait que les avocats prennent un pourcentage sur les pensions alimentaires et par l'existence de cercles d’entraide, on découvre avec une certaine stupeur européenne ce qui pour nous résonne comme de multiples privations ou injustices. Avec une immense sensibilité, le scénario de Guillaume Senez ("Nos batailles"), cosigné avec Jean Denizot, nous entraîne avec son personnage sur le chemin d’une certaine forme de réconciliation, la violence des situations faisant place à la tendresse d’un père, et aux blessures qu’il a appris à cacher, comme à celle de sa fille, métisse dans un pays visiblement pas si ouvert.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur