UNE FEMME INDONÉSIENNE
Une fresque intimiste, pour un destin de femme hors normes
Ayant dû quitter son village de l’île de Java, son bébé dans les bras, accompagnée de sa sœur, condamnant ainsi sans le savoir son père à la décapitation, Nana a ainsi été séparée de son premier mari. Croyant celui-ci mort, elle est désormais mariée depuis bientôt 15 ans avec un autre homme, riche, mais qui la trompe de plus en plus ouvertement…
C’est une destinée assez incroyable que nous conte l’Indonésienne Kamila Andini dans son cinquième long métrage "Une Femme indonésienne", celle d’une femme prise au piège d’un mariage dont l’amour se délite, hantée par un passé douloureux, et peinant à s’imaginer un futur. L’introduction, bribe du passé, est saisissante. Les images sont belles, la forêt est luxuriante, les poursuivants ne sont pas visibles, et seul un homme apparaît au loin, supposé fantôme d’un mari enlevé par « ces gens ». La musique accompagne Nana et sa sœur, qui fuient, emportant un bébé, mais laissant derrière elles bien plus qu’un mari. Elle stoppe lorsque la femme se réveille, introduisant le temps présent, où l’essentiel de l’action se déroulera, alors que l’héroïne a refait sa vie depuis 15 ans avec un homme riche, eu d’autres enfants avec lui, et que les militaires sont sur le point de prendre le pouvoir.
Et ce terme là a ici particulièrement d’importance, dans ce récit au titre anglais plus significatif (traduisible en « Avant, Maintenant, et Alors »), donnant corps finalement à la mécanique du film. Il est en effet ici question de pouvoir, celui certes politique, dans l’opposition apparemment sans fin entre communistes et militaires (le petit point faible du film en termes de clarté), mais aussi celui de l’Homme sur la Femme, qu’il s’agisse d’amour ou de statut social. Globalement, c’est même la question de la soumission ou non, qui émerge au travers du récit, Nana trouvant dans sa prison dorée (dont elle s’échappe par des rêves évocateurs) aussi bien des alliées que des détractrices parmi les femmes qui l’entourent (une belle mère insultante, une maîtresse du mari qui se montre complice, des enfants qui deviennent une monnaie d’échange…). Le parcours du personnage est semé d’embûches et de choix douloureux, mais Happy Salma s’empare avec conviction de cette figure connue en Indonésie.
En termes de mise en scène, Kamila Andini prend son temps pour donner corps à un quotidien fait de rituels, d’habitudes et de conventions, plongeant son héroïne dans une sorte d’engourdissement apparent, divers événements l’obligeant à sortir de sa torpeur. Les décors d’époque, les costumes, comme la photographie, sont de toute beauté, accompagnés d’une musique qui prend par moment le dessus, pour mieux affirmer le retour de sensations chez cette femme qui a laissé beaucoup derrière elle. Les moments de complicité, au bord d’une rivière, autour du thé, ou lors d’une bouleversante scène au restaurant, sont savamment orchestrés afin de bousculer une vie bien rangée. Reparti avec le Prix de la meilleure interprétation secondaire pour Laura Basuki au dernier Festival de Berlin, on ne saurait que trop vous conseiller cette élégante fresque, portrait d’une femme dont la vie semble avoir été dérobée par les soubresauts de son propre pays.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur